Apic Interview
L’Ecole de la Foi de Fribourg essaime en Côte d’Ivoire dès 2005
Jacques Berset, agence Apic
Fribourg, 7 octobre 2004 (Apic) L’Ecole de la Foi de Fribourg va essaimer à Yamoussoukro, capitale politique de la Côte d’Ivoire, dès 2005. Les premiers élèves sont attendus en 2007. Ainsi s’accomplira le rêve du Père Jacques Loew, fondateur de l’Ecole de la Foi à Fribourg en 1969. Cette figure marquante du mouvement des prêtres ouvriers pensait s’implanter en Afrique dès les années 70.
Ce projet, que le « docker de Dieu » avait d’abord imaginé au Cameroun, va voir le jour en Côte d’Ivoire, grâce notamment à l’appui de l’Eglise locale. L’Ecole de la Foi veut répondre à un afflux croissant d’élèves africains et favoriser une démarche d’inculturation. Elle offre à ses disciples une formation théologique de deux ans centrée sur la Bible.
La fondation d’une telle institution en Afrique est certainement indiquée du moment qu’à la rentrée de cet automne, fin septembre, une moitié des étudiants de l’Ecole de la Foi à Fribourg (www.ecole-foi.ch) viennent de ce continent. Sur 31 élèves inscrits, des visas sont encore attendus pour 3 personnes, tandis que 9 autres visas ont été refusés. à des Africains. Il faudrait pourtant 65 « disciples » pour que l’Ecole tourne financièrement, déclarait ce printemps Claude Ducarroz, directeur de l’Ecole de la Foi depuis 2001.
Soeur Marie-Gabrielle Bérard, cheville ouvrière du projet de Yamoussoukro
Cheville ouvrière du projet ivoirien, Soeur Marie-Gabrielle Bérard, ancienne directrice de l’Ecole de la Foi, est optimiste: « On pourrait construire la maison pour l’intendance en y plaçant une famille dès 2005 ». Il « reste » quelque 8 millions de francs suisses à trouver! Raison pour laquelle la religieuse ursuline de Sion visite ces jours-ci, en compagnie de Mgr Paul Siméon Ahouanan Drjo, évêque de Yamoussoukro, diverses organisations et oeuvres d’entraide catholiques en Suisse et en Allemagne pour trouver les fonds nécessaires.
La clôture de la parcelle de 25 hectares, située tout près de l’immense Basilique Notre Dame de la Paix – réplique de la Basilique Saint- Pierre de Rome – est terminée. Elle a été financée par la Fondation de l’Ecole de la Foi (250’000 francs suisses) tandis que le terrain a été donné comme contribution par l’évêché de Yamoussoukro, qui appuie la formation de l’Ecole orientée à la fois vers l’évangélisation et le développement.
Apic: L’Ecole de la Foi de Yamoussoukro se veut inculturée dans la réalité africaine.
Mgr Ahouanan Drjo: Au-delà de son universalité, l’Eglise n’a pas le même visage partout! A Yamoussoukro, cette école internationale aura avant tout un visage africain. Le contenu de la foi est unique pour toute l’Eglise, mais il doit être inculturé! Nous avons des réalités et des problèmes spécifiques.
Yamoussoukro, d’ailleurs, avec ses 180’000 habitants, est un monde en soi: les grandes écoles côtoient les quartiers d’où viennent les gens du Nord, du Burkina Faso, du Niger, du Mali. Et pourtant, on cohabite! La ville, qui est en fait le village natal de feu le président Houphouët- Boigny, située au centre du pays, a été voulue très cosmopolite.
Apic: Comment vivez-vous ce cosmopolitisme ?
Mgr Ahouanan Drjo: Dans nos messes, que ce soit à la cathédrale ou la basilique, on a toujours deux chorales. L’une chante en français, l’autre dans une des langues africaines. La langue du terroir est le baoulé, mais d’autres langues ivoiriennes sont présentes (le pays compte une soixantaine d’ethnies et autant de langues), sans compter celles venues des pays voisins.
Dans ce jeune diocèse de près de 20’000 km2, fondé en 1992 en le séparant de celui de Bouaké, on compte 124’000 catholiques sur une population de quelque 956’000 habitants. Les musulmans, venus du Nord, forment le quart de la population et la majorité d’entre eux sont d’origine étrangère. Ce sont eux qui tiennent aujourd’hui encore le commerce. Ils côtoient les adeptes des religions traditionnelles africaines (appelées improprement animistes ou fétichistes) qui forment une bonne moitié de la population.
Mais depuis quelques années, l’Eglise connaît beaucoup de conversions, des baptisés venus des religions traditionnelles. La nuit de Pâques, à la cathédrale, nous avons baptisé 300 adultes! Quand je suis arrivé dans le diocèse, il y avait douze paroisses et j’en ai déjà créé six autres.
Apic: L’évangélisation se fait beaucoup par les communautés de base.
Mgr Ahouanan Drjo: Dans mon quartier, le Quartier Energie, comme dans les autres, on forme des communautés de base. Les chrétiens ne restent pas entre eux, mais vont à la rencontre des autres. En cas de maladie, ils cotisent et vont visiter les gens sans leur demander leur religion, leur ethnie ou leur certificat de baptême.
Les chrétiens sont ouverts et agissent au niveau des quartiers sans qu’il n’y ait de tensions. A Yamoussoukro, nous avons même un forum des chefs religieux qui rassemble toutes les confessions et religions traditionnelles. Le siège se trouve à l’évêché, c’est la coexistence! De toute façon, un franciscain comme moi, qui vit de l’esprit d’Assise, ne peut pas entrer en conflit (grand éclat de rire, ndr).
Apic: Malgré cette vision idyllique, la Côte d’Ivoire traverse une période difficile.
Mgr Ahouanan Drjo: La crise que nous vivons actuellement n’est pas un conflit ethnique ou religieux, c’est une crise politique. Les politiciens africains essaient de tirer toutes les ficelles possibles, pour obtenir de l’appui d’où qu’il vienne. On voulait tout simplement prendre par la force la place du président. Le coup d’Etat a échoué et s’est transformé en rébellion.
Jusqu’à Yamoussoukro, c’est la zone gouvernementale, la « zone libre », si l’on veut. Il y aussi des barrages où l’on contrôle les pièces d’identité, mais on se heurte aux vrais barrages, ceux des rebelles, peu après la capitale. Nous sommes situés tout près de la « zone de confiance » où se trouve l’armée française dans le cadre de l’Opération Licorne, mais une partie de mon diocèse est déjà dans la zone rebelle. Personnellement, je vais où je veux, librement; je n’ai pas besoin de laissez-passer!
L’Eglise prône le dialogue et demande que l’on trouve une plateforme de consensus, que l’on dialogue. Il est vrai que le pays connaît désormais une grande pauvreté: on a eu du mal le mois dernier à payer les fonctionnaires, et l’on ne sait pas comment cela va aller les prochains mois. Cette guerre a profondément secoué la Côte d’Ivoire dans ses bases économiques et l’a fait même reculer dans ses bases morales: l’insécurité, les rackets, les vols, les attaques contre les personnes sont désormais monnaie courante.
On note malheureusement une nette dégradation de la valeur humaine en Côte d’Ivoire. On peut aujourd’hui vous tuer comme un animal. Mais tout de même, le pays a encore du ressort et des potentialités, malgré la crise.
Apic: Dans quelle perspective considérez-vous l’Ecole de la Foi de Yamoussoukro ?
Mgr Ahouanan Drjo: Pour le moment, l’Eglise a donné le terrain et l’association de l’Ecole de la Foi a déjà construit les 2 km de clôture. Mais nous avons besoin de financements pour que le projet aboutisse, c’est pour cela que nous visitons, en Suisse et en Allemagne, l’Action de Carême, Misereor, l’Aide à l’Eglise en Détresse. Nous avons déjà rencontré la Congrégation pour l’évangélisation des peuples à Rome. Pour l’instant, nous cherchons de l’argent pour réaliser notre projet. JB
Encadré
Une collaboration avec la Faculté de théologie et de développement des Dominicains
L’Ecole de la Foi de Yamoussoukro aura pour priorité l’évangélisation – son but premier -en mettant un accent particulier sur le développement, prioritaire dans les pays du Sud. Elle accueillera comme à Fribourg, pour une formation de deux ans, des adultes catholiques de diverses nationalités, laïcs mariés ou célibataires, religieux, religieuses, prêtres.
Non seulement les Eglises locales d’Afrique, mais également les Supérieurs religieux de nombre de pays africains souhaitent la réalisation de ce projet sur le continent. L’Ecole de la Foi, avec sa spécificité propre, va collaborer avec les Dominicains, qui mettent sur pied à Yamoussoukro, dès 2005, une nouvelle Faculté de « Théologie et Développement ».
La vie en fraternités est une originalité proposée par l’Ecole. Elle a pour but de construire l’Eglise Famille, au-delà des clans, des ethnies et des racismes. Elle se développe en direction des Communautés ecclésiales de base, dans la fidélité au Concile Vatican II. L’Ecole de Yamoussoukro sera à la fois théorique et pratique, et combinera évangélisation et développement, par la réalisation de petits projets (cultures, élevage de poules et de lapins) qui contribueront à la fois à la formation et au financement du Centre.
Les 15 pavillons prévus offriront 98 places pour les « disciples », encadrés par une équipe de professeurs et d’animateurs, logés dans 3 autres maisons. Des pavillons seront également construits pour diverses activités (réfectoire, cuisine, buanderie, administration, bibliothèque, salle de lecture, salles de classe, salle et terrain de sport, magasins, etc.). La chapelle, en forme de poisson, seul élément remarquable du point de vue architectural, dominera la colline. JB
Encadré
Des demandes de soutien tous azimuts
Soeur Marie-Gabrielle Bérard veut voir le phénomène de la violence en Côte d’Ivoire comme une incitation à travailler d’autant plus pour mettre en place un centre de rayonnement de l’évangélisation. « C’est ce que nous voulons faire avec l’Ecole de la Foi: recréer un tissu social humain, en offrant une expérience qui va au-delà de l’humain ».
Outre les oeuvres d’entraide catholiques en Suisse et en Allemagne, l’ancienne directrice de l’Ecole de Fribourg a déjà fait des demandes de soutien à l’Union des supérieures majeures en Suisse romande et à son pendant en Suisse alémanique et au Liechtenstein, la Vonos.
Elle a également fait des démarches auprès de la Conférence des religieux au Canada, la Fédération des ursulines, et d’autres instances. La religieuse valaisanne avait imaginé de démarrer la construction en 2005, à condition d’avoir au moins les 2/3 de la somme. « Comme on ne les aura pas, nous allons donc surseoir les travaux d’une année. » La mise en valeur du terrain a déjà débuté, mais les responsables de la nouvelle Ecole de la Foi pensent pouvoir construire, dès 2005, la maison pour l’intendance en y plaçant une famille. Les premiers élèves – ils seront une centaine – sont attendus pour 2007. JB
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