Des propos qualifiés de « peu courtois » et de « peu diplomatique
Rome, 20 octobre 2004 (Apic) Le président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens juge positif le dialogue entre juifs et catholiques. Le rabbin chef de Rome y relève des limites. En ayant des propos durs à l’égard de Rome. Au point de faire dire à un haut prélat de la curie que « nous avons pris une douche froide », estimant que le rabbin Riccardo Di Segni avait été « peu courtois » et « peu diplomatique ».
Riccardo Di Segni, rabbin chef de Rome, a pointé les limites existant dans les progrès du dialogue entre catholiques et juifs lors de l’inauguration du séminaire universitaire de l’université pontificale grégorienne « L’Eglise catholique et l’hébraïsme de Vatican II à aujourd’hui », tenu le 19 octobre au soir. Lors de cette même séance, le cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens a, quant à lui, souligné « l’extraordinaire développement de ces relations » devant les 12 membres de la Commission de dialogue du Saint-Siège et du Grand Rabbinat d’Israël, réunis dans les environs de Rome du 17 au 19 octobre 2004.
Le rabbin de Rome, qui ne participe pas à la Commission de dialogue du Saint-Siège et du Grand Rabbinat d’Israël, a demandé que le dialogue entre catholiques et juifs « ne soit pas un respect de façade » car « l’idéal est loin de la vérité ». « Il faut construire un espace de liberté qui ne soit pas arrogant et agressif pour nos fois. Le dialogue peut suivre la règle de la courtoisie diplomatique, mais ne pas être une tractation diplomatique fondée sur des concessions réciproques », a-t-il estimé.
« L’Eglise a inévitablement mené le dialogue avec son propre langage, avec sa propre mentalité et sa propre culture, sa vision de monde et ses exigences », a-t-il insisté, soulignant ainsi « l’asymétrie des rapports » et la « fragilité des conquêtes ».
Controverse
Riccardo Di Segni a illustré très concrètement ses propos. Rappelant la canonisation d’Edith Stein en 1998, et un éventuel procès en béatification d’Israele Eugenio Zolli, rabbin de Rome durant la seconde guerre mondiale converti au catholicisme, il a déploré que l’on affirme pas encore assez clairement « qu’un juif converti n’est plus un objectif pour l’Eglise ». Le rabbin a aussi rappelé les controverses antisémites autour du film de Mel Gibson, « La Passion du Christ ». Lors de la sortie du film en février 2004, Riccardo Di Segni avait estimé que ce long métrage était un obstacle au dialogue avec les catholiques.
Enfin, le rabbin chef de Rome s’est tout de même félicité des relations existant actuellement entre les deux religions. « Il y a quelques années ce dialogue aurait été impossible ». Aujourd’hui « l’implication d’une partie du monde rabbinique orthodoxe est probablement l’un des signes les plus importants d’une mutation », a-t-il expliqué en référence aux milieux les plus conservateurs de la religion juive.
« Nous avons pris une douche froide », a déclaré à I’Apic un haut prélat de la curie, estimant que Riccardo Di Segni avait été « peu courtois » et « peu diplomatique », alors qu’un très bonne entente existe entre les 12 membres de la Commission de dialogue entre le Saint-Siège et le Grand Rabbinat d’Israël.
Autre son de cloche, autres arguments
Le cardinal Kasper a quant à lui insisté sur « l’extraordinaire développement au 20e siècle des relations entre catholiques et juifs » et « son immense impact sur le monde entier ». Le haut prélat a aussi souligné que le conflit en Terre Sainte ne « marque pas la fin de ce dialogue, mais au contraire rappelle l’urgence de ce dernier entre les trois religions issues du judaïsme ».
« Il n’y a pas d’alternative au dialogue » et la Commission de dialogue entre le Saint-Siège et le Grand Rabbinat d’Israël est « un petit signe d’espérance dans ce conflit » a-t-il poursuivi. Celle-ci n’a pas pour but de traiter des aspects politiques du conflit, mais « d’aborder des questions éthiques et religieuses ».
« La chrétienté a un rapport particulier avec le judaïsme, elle ne peut pas ne pas faire le lien avec lui », a également déclaré le cardinal allemand. Face au renouveau de l’antisémitisme, il « est nécessaire de transmettre le message de la Constitution conciliaire « Nostra aetate » (28 octobre 1964, posant les bases du dialogue judéo-catholique fondé sur l’oecuménisme et le refus de l’antisémitisme, ndlr) aux nouvelles générations, par le biais d’une imprégnation et d’une éducation permanente ».
Le dialogue passe par des « contacts en tête-à-tête, réguliers et amicaux, positivement conflictuels », a-t-il aussi précisé, soulignant que les Eglises locales avaient leur responsabilité propre en ce domaine. Ainsi le cardinal Kasper a invité les conférences épiscopales à travailler dans le sens du dialogue.
Des points encore à aborder
Le cardinal a aussi relevé les points qui restent encore à aborder pour le poursuivre : l’histoire commune entre catholiques et juifs, la shoa, et enfin la définition d’une « théologie chrétienne du judaïsme ». « Il faut d’abord comprendre pour en parler et lutter contre l’ignorance réciproque », a expliqué le cardinal Kasper, en invitant les futurs rabbins et prêtres à approfondir leur connaissance de la religion de l’autre.
Enfin, le président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, auquel est rattachée la Commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec les juifs, a invité catholiques et juifs à « une coopération sociale pratique », dans les domaines de la famille, du terrorisme, de la faim et de la pauvreté, afin « d’éviter une nouvelle catastrophe humaine ».
Le 19 octobre, dans une déclaration commune concluant leurs travaux, le Grand Rabbinat d’Israël et le Saint-Siège ont aussi appelé les autorités politiques à respecter le caractère sacré de Jérusalem, et les autorités religieuses à dénoncer publiquement les profanations religieuses visant juifs et chrétiens. Les signataires du document ont aussi précisé « que la prise de conscience du changement dans la relation entre catholiques et juifs n’est pas assez forte au sein de (nos) communautés respectives ».
Les 12 membres de cette Commission de dialogue devraient se retrouver pour une cinquième rencontre, à Jérusalem cette fois-ci, au mois de juin 2005. Ces rendez-vous constituent l’un des canaux de discussions entre le monde juif très diversifié et les catholiques. Contrairement au Comité international de Liaison (ICL) entre le Vatican et la communauté juive mondiale, dont la dernière rencontre remonte au mois de juillet 2004, les discussions entre le Grand Rabbinat de Jérusalem et le Saint-Siège portent uniquement sur des thèmes strictement religieux. (apic/imedia/hy/pr)
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