Isabelle Chassot: Harmoniser les études, pas les centraliser
Fribourg, 15 novembre 2004 (Apic) L’harmonisation des études en Suisse ne peut pas signifier une centralisation à la française. Partisane d’une harmonisation « à laquelle personne ne s’oppose raisonnablement », la Conseillère d’Etat démocrate-chrétienne fribourgeoise Isabelle Chassot a rejeté lundi 15 novembre l’idée de classer les établissements de formation en Hautes écoles élitaires et Universités de masse.
Intervenant lundi lors du « Dies Academicus » de l’Université de Fribourg, placé sous la présidence d’honneur du Conseiller fédéral Joseph Deiss, président de la Confédération et ancien professeur, la directrice de l’Instruction publique, de la culture et du sport ne veut pas d’une centralisation. Une telle mesure, préconisée par certains milieux, risque d’avoir pour corollaire la fermeture d’un grand nombre d’institutions actuelles, sans apporter aucun bénéfice tangible.
Mise en garde contre une mentalité de casino néo-libérale
« Au risque d’être taxée de passéisme, je considère que, pour les Hautes écoles aussi, la centralisation ne constitue pas une perspective souhaitable dans un Etat fédéraliste, plurilingue et pluriculturel », a insisté Isabelle Chassot. Derrière le discours sur la qualité de la recherche et de la formation, « l’objectif final n’est-il pas d’augmenter la compétitivité économique », a-t-elle lancé, rejoignant ainsi la thèse d’Urs Altermatt, recteur de « l’alma mater friburgensis ».
Ce dernier a relevé qu’à une époque où les Etats-Unis dominent le monde, l’américanisation voire la « commercialisation » affectent aussi le système universitaire, en même temps que s’éloigne l’humanisme du XIXe siècle cher à Alexander von Humboldt. L’Université, au contraire, comme membre de la société civile, a le devoir de défendre la liberté de la recherche et de la science. La formation est avant tout un bien public et ne doit pas être asservie à des impératifs économiques ou à la recherche du profit individuel. « Si l’Université n’est plus en mesure de se mettre en avant à travers la réflexion, elle court le danger de perdre sa position publique et de devenir le jouet d’intérêts privés ».
« Si je souhaite mettre l’accent sur les devoirs sociaux et politiques des Universités, c’est pour mettre en garde contre une mentalité de casino néo-libérale (.) qui risque d’avoir d’énormes conséquences sur la cohésion fédérale et multiculturelle de la Confédération suisse », a lancé le recteur. Et de souligner la performance d’intégration réalisée par l’Université de Fribourg: non seulement entre Suisse allemande et Suisse romande, mais aussi au-delà, en se liant aussi au réseau européen.
Méfiant face à un certain « fétichisme des chiffres » qui ne tiennent pas assez compte des facteurs régionaux et sociaux, le recteur Altermatt a regretté que jusqu’à présent, aucune classification des Universités n’a pris en compte cette fonction d’intégration, « une fonction politique déterminante pour la cohésion de la Suisse ».
Le président Joseph Deiss dit non à un catastrophisme exagéré
Hôte d’honneur de la fête, Joseph Deiss – dont le nom ornera dès l’an prochain la porte d’entrée de l’aula des bâtiments de l’Uni 2, sur le Plateau de Pérolles – a relevé la nécessité pour la Suisse d’entreprendre une réflexion politique de fond. Dénonçant le « catastrophisme exagéré » qui fait dire que les institutions suisses sont en panne et que l’Etat est en crise, le président de la Confédération a estimé que l’on cède ainsi à un catastrophisme exagéré qui nous détourne des vrais problèmes.
« S’il y a une panne en Suisse, c’est bien celle de la pensée politique », a-t-il reconnu. Quant au Conseil fédéral, dont la composition et le style ont été bouleversés par l’arrivée de l’UDC Christoph Blocher en décembre de l’an dernier, même « si les discussions sont plus incisives et l’on recourt plus souvent au vote pour trancher », il continue d’assumer son rôle « d’autorité directoriale et exécutive suprême de la Confédération ». Mais si le système fonctionne et si les institutions suisses ne sont pas mises en cause, il a dénoncé leur « utilisation délétère » par ceux qui mettent l’intérêt partisan au-dessus de l’intérêt général. « Il faut impérativement, dans ce pays, replacer le sens du bien commun au sommet de la hiérarchie des vertus politiques », a-t-il encore constaté. Et de souhaiter une réflexion approfondie qui s’avère plus nécessaire que jamais et à laquelle l’Université doit apporter sa contribution. « Pour nous stimuler, pour nous aider à mieux penser, je compte sur vous, représentants du monde académique », a-t-il lancé.
« Pourquoi autant d’invalides? »
Dans sa conférence intitulée « Pourquoi autant d’invalides? », le vice- recteur Erwin Murer a pour sa part analysé la crise actuelle de l’assurance invalidité (AI). Durant ces dix dernières années, les dépenses de l’AI pour les rentes versées sont passées de 3,3 à 6,4 milliards de francs, sans compter l’apport des caisses de pension. Avec cette somme, en quelques années, « on pourrait financer la construction des NLFA ».
Cette augmentation est due, selon Erwin Murer, à une application problématique du droit et au surmenage de la médecine qui l’assiste. La solution doit être envisagée à ses yeux par le biais d’un véritable travail pluridisciplinaire associant le droit et la médecine et l’accent doit être mis sur les mesures préventives. Mais pour lui, l’argument humain est encore plus préoccupant: de plus en plus de personnes de plus en plus jeunes doivent-elles vraiment finir à l’écart de la société, entretenues par une rente ? JB
Encadré
La Faculté de théologie à la croisée des chemins
La Conseillère d’Etat Isabelle Chassot a brisé une lance en faveur d’une collaboration encore plus étroite de l’Université de Fribourg avec la Faculté de théologie de Lucerne. S’il y a déjà des collaborations avec les Facultés de Berne et de Neuchâtel dans le domaine de l’histoire de l’Eglise, il ne serait néanmoins pas possible à ses yeux de concevoir un programme commun, notamment pour des raisons confessionnelles. La Faculté de théologie catholique de Lucerne représente par contre le partenaire naturel. « Aussi bien moi-même que mon collègue lucernois (Anton Schwingruber, ndr), nous tenons à ce que nos Facultés respectives puissent délivrer des ’masters’ et des doctorats et garder leur place parmi les meilleures Facultés européennes. »
Le constat est simple: si ces Facultés veulent faire face aux exigences posées par l’introduction du système de Bologne et aux pressions budgétaires, elles doivent réunir leurs forces. Pour ce faire, « nous allons ainsi prochainement signer un mandat adressé aux recteurs de nos Universités respectives. Ils seront chargés de nous présenter, d’ici avril 2005, un rapport indiquant les moyens d’instituer une collaboration étroite entre les deux Facultés. » Il comprend notamment un programme de « master » commun, une réflexion sur le développement coordonné – donc exclusif – des domaines d’excellence et une proposition pour les professeurs enseignants dans les deux Facultés. Isabelle Chassot s’est dite prête à aider la Faculté de théologie de Fribourg – et toutes les autres – à innover, « ne souhaitant pas les voir dépérir à petit feu ». JB
Encadré
Distinctions académiques: aucune femme honorée
Les diverses distinctions académiques sont allées cette année uniquement à des représentants de la gent masculine, ce qui a provoqué quelques mouvements d’humeur chez certains participants. La Faculté de théologie a décerné deux titres de « docteur honoris causa »: au professeur de sociologie allemand Klaus Leisinger et au compositeur américain Dave Brubeck. Professeur en sociologie du développement à l’Université de Bâle et directeur de la fondation Novartis pour le développement durable, Klaus Leisinger a reçu sa distinction pour son engagement fondé sur les valeurs chrétiennes. Il a toujours encouragé le dialogue sur les questions éthiques controversées. Le professeur Leisinger a appelé l’Eglise et la théologie à se positionner pour trouver un consensus et s’est investi pour la paix et l’amélioration des conditions de vie des plus pauvres dans les pays en voie de développement. Compositeur, Dave Brubeck – véritable légende du jazz – est récompensé pour avoir rassemblé durant 40 ans un corpus d’oeuvres orchestrales religieuses d’une grande subtilité intellectuelle, à travers lesquelles il exprime la foi chrétienne avec une telle profondeur d’émotions qu’il peut aujourd’hui être considéré comme un théologien.
Honoré par la Faculté de droit, le juge fédéral Hans Wiprächtiger a été récompensé pour ses travaux en droit pénal. Depuis plus de 30 ans, ce Lucernois contribue aussi bien au niveau cantonal que fédéral à donner à la justice non seulement une dimension scientifique, mais également humaine.
La Faculté des lettres a honoré le Fribourgeois Paul Grossrieder, ancien directeur général du Comité International de la Croix Rouge, « pour son engagement courageux ». En tant que délégué du CICR, il s’est engagé dans plusieurs missions dans des régions à risques (Irak, Angola, Afrique du Sud, Israël). Ancien enseignant en philosophie et religion, expert en relations internationales au Conseil pour les Affaires Publiques de l’Eglise (Vatican) et représentant du Saint-Siège aux réunions de la CSCE (Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe), il a travaillé sans relâche en faveur des droits de l’Homme en Europe, en Afrique et en Asie.
La Faculté a également décerné un titre de « docteur honoris causa » à l’Américain Richard Shavelson, professeur en sciences de l’éducation et ancien doyen de la Faculté des sciences de l’éducation à l’Université de Californie (Santa Barbara) et de la Faculté d’éducation à l’Université de Stanford.
La Faculté de sciences économiques a honoré René L. Frey, professeur en macroéconomie et directeur du Département des sciences économiques au Centre WWZ de l’Université de Bâle. Nicholas J. Turro, professeur de chimie à l’Université de Columbia (New York), a été récompensé par la Faculté des sciences pour ses travaux de pionnier traitant de l’influence du spin nucléaire sur les réactions photochimiques. Il est l’un des pères fondateurs de la photochimie organique moderne. Docteur honoris causa de cette même Faculté, le Genevois Jacques Weber, professeur de chimie, docteur en sciences physiques et doyen de la Faculté de sciences de l’Université a apporté une contribution fondamentale à l’émergence de la « chimie computationnelle » en Suisse.
Le Sénat de l’Université a octroyé à Urs C. Reinhardt le titre de sénateur honoraire pour ses activités en tant que président du Conseil de l’Université de 1991 à 2003. Durant cette période, il a attaché une grande importance au développement et au rayonnement de l’Université, et a contribué à l’élaboration de la charte de l’Université pour laquelle il a défendu l’inscription des valeurs chrétiennes.
Le titre de membre d’honneur a été décerné par le Sénat à Gerhard Schuwey, qui prend sa retraite comme directeur de l’Office fédéral de l’éducation et de la science. Il est honoré pour ses activités au Département fédéral de l’intérieur durant les 37 dernières années, où il a oeuvré en faveur des Universités suisses, notamment en étant associé à l’élaboration de la première loi fédérale sur l’aide aux Universités. Le Rectorat a finalement décerné le « Prix du Sport universitaire du Rectorat » au guide valaisan Philippe Gay, ancien étudiant en géologie auprès de la Faculté des sciences. (apic/be)
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