Apic interview
L’Eglise catholique davantage à l’écoute des homosexuels
Jean-Claude Noyé, correspondant de l’Apic à Paris
Paris, 10 décembre 2004 (Apic) Chef adjointe du service religion au quotidien La Croix, Claire Lesegretain a mené une enquête sur l’homosexualité et les chrétiens (1). Elle donne la parole à des personnes de culture et de milieux variés: catholiques et protestants engagés, laïcs, célibataires ou en couple.
Ces portraits sont étayés par des entretiens avec des « experts »: historiens, psychanalystes, exégètes, prêtres, théologiens. Par-delà la variété des situations et des parcours, souvent douloureux, c’est un même attachement au Christ qui se dessine en filigrane. L’attitude pastorale de l’Eglise catholique semble mieux prendre en compte le vécu propre aux homosexuel(le)s. Même si elle continue à juger les actes homosexuels « intrinsèquement désordonnés ».
Apic: La doctrine de l’Eglise catholique vis-à-vis de l’homosexualité est- elle restée constante?
Claire Lesegretain: Sur le fond, sa position n’a jamais varié. Elle distingue les personnes des actes. Le catéchisme de l’Eglise catholique fait valoir que les personnes homosexuelles « doivent être accueillies avec respect, compassion et délicatesse car leur condition constitue pour la plupart une épreuve ».
Mais le même catéchisme déclare aussi que « les actes homosexuels sont intrinsèquement désordonnés et ne peuvent en aucun cas être légitimés car ils ne sont pas conformes à l’ordre voulu par Dieu ». Ils sont « contraires à la loi naturelle » et ils « ferment l’acte sexuel au don de la vie ». Ils ne « procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable ». De fait, l’Eglise catholique souligne que c’est ensemble que l’homme et la femme sont faits à la ressemblance de Dieu et que c’est ensemble qu’ils sont appelés au bonheur.
Comme le souligne Véronique Margron, dominicaine et théologienne, le discours magistériel a sa propre cohérence: la sexualité est fondée sur la différence sexuelle qui rend possible la procréation. Et sa pleine signification s’exprime dans le mariage. Ce système, qui s’appuie sur la Bible et la Tradition, refuse la cohabitation juvénile, le concubinage et, à fortiori, les actes sexuels vécus hors de la différence sexuelle.
Apic: Si la doctrine n’a pas varié, l’attitude pastorale a pour sa part évolué!
C.L: Oui, et même considérablement. On est passé d’un discours culpabilisant et volontariste, du type « faut que », « y’à qu’à » à la prise en compte que l’homosexualité est, pour beaucoup de personnes, une orientation profonde et qu’elles doivent non pas la nier, la refuser, mais l’accepter et chercher à vivre, à travers elle, le meilleur chemin « d’humanisation » possible. Cette dernière expression est souvent utilisée par les experts à qui j’ai donné la parole: psychanalystes, exégètes, prêtres, théologiens, etc.
L’attitude des accompagnateurs chrétiens vis-à-vis des personnes homosexuelles est globalement beaucoup plus fine aujourd’hui. Des travaux comme ceux du Père Xavier Thévenot ont beaucoup contribué à cet infléchissement. Publié en 1985 au Cerf, son livre « Homosexualités masculines et morale chrétienne » reste un titre de référence. Son livre « Mon fils est homosexuel! Comment réagir? Comment l’accompagner? » (2001, Ed. Saint-Augustin) a également eu un impact certain. Par ailleurs, la relative banalisation de l’homosexualité dans le grand public a forcément eu des retombées sur les milieux chrétiens. Notamment après l’adoption en 1998 du PACS (Pacte civil de solidarité). Mais aussi du fait du travail de vulgarisation effectué par la presse magazine. Du coup, les chrétiens homosexuels sont moins exposés à la culpabilité, ils se cachent moins. Et ceux que j’ai rencontrés disent généralement qu’ils sont acceptés dans leur paroisse ou les mouvements dans lesquels ils militent. Pour peu qu’ils gardent un minimum de discrétion.
Apic: Que proposent aujourd’hui les accompagnateurs chrétiens aux personnes homosexuelles qui se confient à eux ?
C.L: Auparavant, on leur demandait de vivre coûte que coûte la continence ou de s’engager dans le mariage, ce qui a donné lieu à beaucoup de drames. Aujourd’hui beaucoup d’accompagnateurs leur suggèrent plutôt d’essayer de trouver la plus grande fécondité possible dans leur vie. C’est-à-dire de vivre une réelle ouverture aux autres. Ce qui suppose de ne pas s’enfermer dans les ghettos homosexuels. Et, autant que faire se peut, de rechercher la continence avec l’aide du Seigneur, de la prière et des sacrements. Si ce n’est pas possible à 20, 30 ou 40 ans, cela le sera peut-être davantage passé la cinquantaine. A tout le moins, de chercher une stabilité affective plutôt que de s’abandonner au vagabondage sexuel. En tout état de cause, le célibat continent reste le modèle que l’Eglise catholique propose aux chrétiens homosexuels.
Apic: Beaucoup parmi eux font valoir que ce n’est ni possible ni même souhaitable pour eux.
C.L: Il est vrai que certains refusent ce discours. Ils font valoir que le plus humanisant pour eux, c’est de vivre dans un couple stable. Comme l’actuelle présidente de l’association David & Jonathan qui demande: « Comment, dans une relation d’amour, peut-on empêcher d’aller vers un accomplissement? C’est cela le non-sens qui me mettrait en contradiction avec ma foi chrétienne! ».
Apic: Tous les experts que vous interrogez s’accordent à refuser de mettre sur le même plan l’union homosexuelle et l’union hétérosexuelle !
C.L: Oui, c’est frappant. Tous, y compris le psychanalyste Jacques Arènes, refusent de banaliser les relations homosexuelles ou même de les légitimer, au même titre qu’une union hétérosexuelle. Et, aucun(e) n’est favorable au mariage homosexuel. Si ce n’est Olivier Abel, pasteur de l’Eglise réformée, qui est favorable à un véritable mariage homosexuel. Ce qui, selon lui, conduirait les personnes homosexuelles à s’engager – et le cas échéant à divorcer – plus sérieusement qu’elles ne le font aujourd’hui avec le PACS. Autant dire ici que jamais l’Eglise catholique, pour sa part, n’acceptera de bénir une union homosexuelle. Cela au nom même de son anthropologie fondée sur la différence sexuelle.
Apic: Dans le chapitre « Les enjeux pour l’Eglise catholique », vous posez la question: « La prêtrise, profession homosexuelle? ». Qu’est-ce-à dire ?
C.L: Je reprends là l’expression du père Donald B. Cozzens, théologien nord- américain, qui, dans son livre « Le nouveau visage des prêtres » (Bayard, 2001), demandait: « Ne sommes-nous pas en train de mettre en place un corps sacerdotal fortement homosexuel? » Il s’appuie sur une étude commanditée par la Conférence des évêques des Etats-Unis et réalisée auprès de 1200 prêtres. 19% d’entre eux déclarent qu’il est « certain » qu’il existe une sous-culture homosexuelle parmi le clergé et les laïcs responsables dans leurs diocèses et leurs institutions religieuses. 36% considèrent que cela est vraisemblable.
En 1993, le sociologue et prêtre français Julien Potel avait réalisé une étude au terme de laquelle il concluait que 20 à 30% des hommes d’Eglise français avaient une orientation homosexuelle. Soit une sur- représentation considérable, eu égard à la moyenne nationale qui est de 3 à 4%. Quant au Père Yannick Bonnet, père de sept enfants, ordonné prêtre en 1999 trois ans après le décès de son épouse, et après avoir exercé d’importantes responsabilités professionnelles, il souligne que de 5 à 10% des séminaristes qu’il a côtoyés à Rome avaient d’évidentes tendances homophiles et que 50% d’entre eux maîtrisaient mal leur affectivité.
Apic: Cela pose la question de la sélection des séminaristes. Où en est-on aujourd’hui?
C.L: Rome doit publier un texte relatif aux critères à retenir pour admettre ou non les candidats séminaristes. Faut-il ou non leur faire passer des tests psychotechniques pointus pour savoir si oui ou non ils ont une orientation homosexuelle? Comment distinguer ceux qui pourront, nonobstant cette orientation, rester chaste, et ceux qui ne le pourront pas? Comment annoncer aux candidats non retenus que c’est leur structure psychoaffective qui pose problème en veillant à ne pas porter atteinte à leur dignité? Ces débats n’ont pas encore été tranchés car ils mettent dans l’embarras la curie romaine.
Apic: Pourquoi, selon vous, la prêtrise et la vie religieuse attirent-elles tant de personnes à orientation homosexuelle?
C.L: Je tiens à préciser que la situation aux USA, telle que décrite par le Père D.B Cozzens, n’est pas la situation de l’Eglise de France. Même si, par rapport à la moyenne nationale, les personnes homosexuelles y sont sans doute sur-représentées. Ces personnes savent, plus ou moins consciemment, qu’elles ne pourront s’épanouir dans le mariage. Elles cherchent à donner un sens à leur vie, se sentent appelées au célibat et il y a souvent dans cet élan beaucoup de générosité. Le problème, c’est que, jusqu’à aujourd’hui, la hiérarchie catholique ne propose d’autres options que le célibat consacré ou le mariage. Tout l’enjeu pour elle est de revaloriser le célibat laïc. Celui-ci peut être tout à fait fécond en terme d’engagement, d’attention aux autres et de recherche d’une vie qui réponde à l’appel du Christ.
Apic: Comment est accueilli votre livre?
C.L: Plutôt bien jusqu’à présent. Une quinzaine d’évêques ont même pris le temps de m’écrire pour me remercier d’avoir su attirer leur attention sur une réalité si délicate et complexe.
* « Les chrétiens et l’homosexualité », Claire Lesegretain / Presses de la Renaissance / 408 p. 22 euros.
(apic/jcn/bb)
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