Asie: Les enfants deux fois victimes des tsunamis

Apic Dossier

Quel avenir pour des milliers d’orphelins: drame après le drame?

Djakarta, 5 janvier 2005 (Apic) Au-delà des images du continent sud asiatique dévasté, qui font chaque jour le tour du monde via les TV et les journaux, au-delà aussi des drames humains et de l’horreur, au-delà enfin des solidarités et des anecdotes, le drame de milliers d’enfants désormais pour beaucoup orphelins s’insinue chaque jour davantage. ONG, Eglises, missionnaires ou autres institutions figurent généralement en bonne place sur le terrain pour témoigner. Notre dossier, avec l’Agence Misna, à Rome.

Mardi déjà, sur les ondes de Radio Vatican, Mgr Elio Sgreccia, nouveau président de l’Académie pontificale pour la vie dénonçait « le commerce des vies humaines » après le drame en Asie du sud-est. Des orphelins sont devenus un « objet de convoitise », pour certaines personnes. D’autres seraient carrément pris « en otage », alors que tout porte à croire qu’ils ont disparu, emportés par la vague. Il s’étonnait par ailleurs qu’en Occident, des initiatives d’adoption à distance souvent malencontreuses se mettent en place. « Ce commerce des vies humaines, qui malheureusement existait déjà avant la tragédie et qui pourrait continuer aussi avec des modes d’adoption illicites, doit cesser »

Mais d’autres problèmes guettent. De l’Indonésie au Sr Lanka en passant par la Thaïlande. Ainsi les enfants d’Aceh, province occidentale indonésienne particulièrement ravagée par le récent raz-de-marée, risquent de voir leur droit à l’instruction nié.

Selon le principal quotidien national « Jakarta Post », au moins 1’000 enseignants sont portés disparus et plus de 50% des édifices scolaires ont été dévastés par le tsunami qui s’est abattu le 26 décembre sur les côtes de la région, située à l’extrémité nord de l’île de Sumatra. Maintenant, explique un dirigeant du ministère de l’Education, Jati Sidi, près de 140’000 enfants des écoles élémentaires et 20’000 élèves des supérieures n’ont plus d’endroit où aller.

Outre les drames vécus, par la perte d’un ou de plusieurs de leurs parents, les petits Indonésiens doivent donc affronter le problème de l’éducation, qui manque à un moment où elle pourrait représenter un signal de retour à la vie normale.

Moratoire sur les adoptions

« Le tsunami a séparé de nombreuses familles. Des parents cherchent leurs enfants, certains qu’ils sont encore en vie, mais les problèmes de communication font obstacles aux les retrouvailles », témoigne de son côté le Père Yoseph Due, verbite, chargé par l’évêque de Medan, dans l’île indonésienne de Sumatra, de coordonner les aides pour les victimes du raz- de-marée. « Les enfants, dit-il, ont été parmi les plus touchés dans cette catastrophe car nombre d’entre eux ont perdu leur père ou leur mère, ou tous les deux dans cette tragédie. Pour le moment, le religieux assure n’avoir aucune confirmation à propos des nouvelles publiées ces derniers jours par les quotidiens locaux et reprises par les agences de presse internationales, relatives à d’éventuels enlèvement d’enfants de la partie septentrionale de Sumatra. Il rappelle la décision du ministre des Affaires sociales, Bachtiar Chamsyah, qui a annoncé l’interdiction d’adoption temporaire des enfants devenus orphelins à Aceh, « afin d’éviter des controverses et des possibles cas de trafic d’êtres humains ». A propos d’éventuels enlèvements, le Père Edi Mulyono, responsable pour l’Indonésie du JRS (Jesuit Refugee Service, Service des jésuites pour les réfugiés) dit ne pas être au courant. Ses préoccupations sont pour l’heure ailleurs: « Il y a des enfants à Aceh qui ont besoin de soins médicaux et devraient être transférés ailleurs, en partie dans le nord de Sumatra, où il y a des hôpitaux en mesure de prendre soin d’eux; pour le moment leur transfert est toutefois impossible. Nous essayons de résoudre la situation mais les structures du nord du pays refusent les enfants et nous ne comprenons pas pourquoi ».

Génération tsunami

Les Nations Unies, qui partagent ce point de vue, lancent de leur côté l’alarme sur la « génération tsunami », à savoir les nombreux enfants devenus orphelins, blessés, ayant tout perdu et exposés aux maladies. « Nous avons probablement sous-évalué l’impact de la catastrophe sur les enfants » a déclaré Wivina Belmonte, porte-parole de l’UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l’Enfance), fournissant une estimation encore provisoire et à vérifier, selon laquelle les mineurs représenteraient au moins un tiers des quelque 150’000 morts dans le tsunami. L’UNICEF indique quatre priorités pour sauver les petites victimes du drame: garantir la survie des enfants rescapés; prendre soin de ceux qui sont séparés de leurs parents; en garantir la protection face aux possibles exploitations et les aider à dépasser le traumatisme.

« Les enfants sont deux fois victimes de cette tragédie: parce que 50% des morts sont des mineurs, et ensuite parce que les rescapés ont certainement perdu l’un ou l’autre de leurs parents » commente Paul Baskar, président de « Peace Trust », un groupement de 25 associations dans l’Etat indien du Tamil Nadu, partenaire de l’organisation non gouvernementale italienne Mani Tese. Notre interlocuteur souligne que des centaines de garçons et de filles sont morts sur la côte. Le traumatisme psychologique est également inquiétant: « plus vite une situation de normalité sera rétablie, avec des habitudes, aller à l’école, manger à des heures fixes, et plus vite nous réussirons à tranquilliser ces enfants ».. « Quand les villages seront reconstruits, les chefs de villages décideront, avec la communauté, qui devra prendre soin des enfants restés seuls. En général les parents les plus proches; s’il n’y a plus de traces de la famille, ils seront insérés dans des orphelinats, dans des centres gérés par des ONG ou par l’Eglise.

Commentant l’élan de nombreux couples occidentaux prêts à adopter des orphelins asiatiques victimes du tsunami, dont on parle beaucoup dans les médias, Paul Baskar affirme: « je ne suis pas contre les adoptions internationales, mais elles doivent avoir lieu dans le cadre de la loi. J’espère cependant que le mécanisme du soutien à distance permettra aux plus petits de grandir dans leur environnement, pour qu’ils ne soient pas déracinés et qu’ils puissent vivre dans le contexte où ils sont nés ».

Sri Lanka: 3’000 enfants orphelins

« Avec les fonds récoltés pour l’urgence du raz-de-marée de nombreuses organisations s’improvisent dans l’aide en faveur des enfants et les adoptions à distance. Le salésien Anthony Pinto, supérieur de la Congrégation de don Bosco dans la province du Sri Lanka, articule lentement les mots au téléphone, contacté Misna à Negombo, au nord de la capitale Colombo. « L’autorité nationale pour l’enfance du Sri Lanka a demandé explicitement à nous salésiens de passer à l’action pour faire face à tous les problèmes concernant les plus petits: nous sommes prêts, car depuis des années, nous nous occupons des enfants des rues, des mineurs victimes du tourisme sexuel et des ex-enfants soldats » ajoute le missionnaire. Selon les données fournies par les salésiens – qui dans l’île de l’Océan Indien ont une dizaine de centres et d’écoles – pour le moment, ce sont au moins 3’000 enfants qui sont orphelins à cause du tsunami.

Et d’ajouter: « Durant toutes ces années nous avons beaucoup travaillé sur d’autres types de traumatismes: nous avons été les premiers, également sur demande des autorités, à agir en faveur des enfants exploités sexuellement ». Pour l’instant, la Congrégation de don Bosco au Sri Lanka est en mesure de garantir une réponse immédiate à 12% des orphelins du pays.

Les loups de l’exploitation sexuelle et de la pédophilie

Le problème n’est pas différent en Thaïlande, pays qui, comme le Sri Lanka, est devenu au fil des années le « paradis » de l’exploitation sexuelle des enfants, des mineurs et des pédophiles. L’aurait-on oublié?

Les nombreux enfants victimes du raz-de-marée « sont et restent les éléments les plus vulnérables et faibles » de la société, martèle le Père Giovanni Contarin, missionnaire camillien en Thaïlande depuis une vingtaine d’années. A Rayong, dans le sud-est, il gère depuis dix ans un Centre où sont accueillis des centaines de mineurs malades du sida. Interpellé sur le problème des nombreux enfants affligés par la catastrophe naturelle pour avoir perdu leurs parents, le prêtre explique qu’en Thaïlande « les enfants sont de toute façon des sujets faibles car la structure familiale ne les défend pas ni ne prend soin d’eux comme c’est au contraire le cas en Occident. Ces mêmes parents ne se font pas tant de scrupules et parfois des abus sur les mineurs se vérifient au sein de la famille ».

Concept familial différent

Même son de cloche du côté du Père Adriano Pelosin, missionnaire de l’Institut pontifical des missions étrangères (PIME) à Bangkok: « en Thaïlande, à la différence de l’Afrique, le concept de famille élargie n’existe pas selon lequel l’orphelin est spontanément adopté par les parents les plus proches. Dans les pays asiatiques les familles sont mononucléaires et assez pauvres, et un enfant en plus risque de devenir un poids. Dans certains cas, les grands-mères prennent soin de leurs petits enfants orphelins, mais si elles sont pauvres et âgées, les difficultés sont grandes ». Au bout du compte, dans certains cas l’orphelin est livré à lui-même, risquant de finir dans la rue et de tomber dans la criminalité ou la prostitution.

Note plus optimiste, les quelque 1’450 élèves – de la maternelle au lycée, presque tous bouddhistes – d’une école de la Thaïlande sinistrée a rouvert ses portes. Seule manquait à l’appel une jeune fille, officiellement portée disparue. Pour le Père Pakpoom, un Thaïlandais originaire de Bangkok, responsable de l’école depuis 5 ans, « ces enfants ont maintenant besoin de reprendre au plus vite les cours et de rester dans leurs foyers ». Le missionnaire se dit opposé à l’idée d’adopter les enfants orphelins. Hors de leur cadre de vie. Pour l’heure, dit-il, en tant qu’Eglise catholique, « nous cherchons à dresser une liste la plus complète possible des mineurs pour éviter le risque que quelque malintentionné ne profite de la confusion de ces jours-ci pour faire disparaître les enfants ». Il rappelle que les instituts religieux présents dans le pays sont actifs dans le secteur de la protection des enfants, même sur la côte orientale, non touchée par le tsunami, « mais où l’exploitation sexuelle de l’enfance existe de longue date ». (apic/misna/pr)

webmaster@kath.ch

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/apic-dossier-64/