Fribourg: Marie pour un catholique et un protestant

Apic Interview

Et dans l’enseignement biblique romand Enbiro

Valérie Bory, Apic

Fribourg, 17 mai 2005 (Apic) Après le pèlerinage interdiocésain à Lourdes, qui a réuni du 9 au 13 mai quelque 3’000 participants (dont 700 Alémaniques du Haut Valais et de Singine), un prêtre et un pasteur disent ce qui les divisent sur Marie. Quant à l’enseignement religieux biblique romand Enbiro, il s’en tient à la culture biblique avec des fiches pour les cantons catholiques.

Lourdes, haut lieu de dévotion mariale, où la vierge Marie apparut à une petite paysanne pauvre, Bernadette Soubirous, il y a 147 ans, devenu l’un des plus célèbres lieux de pèlerinages dans le monde, pose la question du rôle de Marie dans la foi chrétienne. Catholiques et protestants sont divisés sur la figure de Marie. Un prêtre jésuite, Pierre Emonet, et un pasteur protestant, Claude Schwab, expliquent ce qu’est pour eux la mère de Dieu.

« Au fond, Lourdes, c’est le monde de la dévotion typiquement catholique, avec la ritualisation, le chapelet, la Vierge Marie, l’eau, le chemin de croix, l’Eucharistie dans la procession. Je comprends qu’un protestant puisse être hérissé par cela », lance Pierre Emonet, prêtre jésuite, rédacteur en chef de la revue Choisir à Carouge (GE).

Pour le catholique, rappelle Pierre Emonet, « Marie se situe dans le droit fil des pères de l’Eglise aussi, c’est-à-dire de l’Eglise orientale où l’on vénère la theotokos, celle qui a engendré Dieu », terme qui date du concile d’Ephèse (431) au cours duquel le pape Célestin Ier a défini et proclamé la Maternité divine.

C’est là le fondement de toute la dévotion catholique à la Vierge Marie. Alors où est l’ambiguïté? Certains s’imaginent que Marie est une médiatrice entre le Christ et les fidèles. « Alors que saint Paul et toute la théologie la plus sûre disent qu il n’y a qu’un médiateur entre Dieu et les hommes, c’est le Christ Jésus. C’est dans la 2e épître à Timotée », explique le jésuite.

L’élément féminin dans un monde catholique masculin

Le fait que Marie soit considérée comme une sorte d’accès au Christ est une des pierres d’achoppement entre catholiques et protestants. Mais ajoute le prêtre catholique, « Je pense que Marie joue aussi un rôle important dans l’imaginaire populaire à cause de la féminité. C’ est l’élément féminin dans le monde catholique, qui est masculin ».

En tant que prêtre, pour lui, « Marie, c’est le symbole de l’humanité qui accepte l’incarnation, qui accepte le message du Christ. La scène décisive, c’est celle de l’Annonciation: l’Ange Gabriel qui dit à Marie, qui lui demande de la part de Dieu – pour parler de façon imagée – si elle accepte d’être la mère du Messie. Et pour moi, le oui de Marie c’est le symbole le plus fort du oui de la foi chrétienne. Marie incarne la réponse totale que peut donner l’humanité au projet de Dieu. Cela signifie qu’elle est le symbole de l’Eglise aussi, de la communauté qui accepte cela ».

Pour Pierre Emonet, si le protestantisme a durci sa position, c’est pour des raisons polémiques – pour se distancer du catholicisme – et ensuite en réaction à certains excès du côté catholique ». Avec radicalité, le protestantisme a voulu dire: il n’y a que Dieu, il n’y a que la grâce, il n’y a que l’Ecriture, donc enlevons tout ce qui est adventice, donc toute la dévotion des saints et la première qu’il faut éliminer, c’est Marie ».

Il faut se rappeler que les apparitions de Lourdes ont eu lieu après la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception, le 8 décembre 1854, par la Bulle Ineffabilis Deus, édictée par le pape Pie IX. « La proclamation du dogme a choqué le protestantisme parce qu’il a une base scripturaire quasi inexistante ». Pierre Emonet rappelle encore que « l’Immaculée Conception veut dire que Marie est née sans le péché originel. Alors cela, c’est inacceptable pour le protestantisme ».

Marie pour le pasteur Claude Schwab, président d’Enbiro

Pour le pasteur Claude Schwab, président d’Enbiro (Enseignement biblique et interreligieux romand), « Marie est une femme comme les autres. Point. Il se trouve qu’elle est la mère de Jésus. Marie, mère de Dieu, c’est quelque chose qu’un protestant ne dira pas ».

Les textes en parlent très peu, rappelle le pasteur et pédagogue vaudois. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que dans 2 passages des Evangiles, on peut repérer une certaine tension entre Jésus et sa mère, ce qui est tout à fait naturel dans les rapports entre parents et enfants.

Marie dans l’Enseignement biblique et interreligieux romand

Pour un protestant, les apparitions sont donc une manifestation de la foi populaire sans fondement? « Pour moi oui, c’est une manifestation de la foi populaire et à ce titre, tout à fait digne, mais qui n’a rien à voir avec l’Evangile. C’est autre chose. On pourrait faire la même démarche par rapport aux saints ».

Claude Schwab conclut en citant un ami lui disant: dans le débat oecuménique, ce qui sépare protestants et catholiques, c’est un homme, une femme, et une chose. La papauté, la Vierge Marie et la conception de l’Eucharistie ».

Comment se pose la question de Marie dans l’Enseignement biblique et interreligieux romand, Enbiro, que préside Claude Schwab?

« Dans l’édition actuelle, pour les enfants de 3 et 4e année, nous avons un module sur les différentes confessions chrétiennes. Qui explique les points communs et les caractéristiques de chacune d’entre elles. A propos des catholiques, il est dit qu’ »ils honorent la vierge Marie , la mère de Jésus, ainsi que les saintes et les saints ».

Pour les orthodoxes, c’est assez semblable: ils honorent la Vierge Marie, qu’ils appellent mère de Dieu, ainsi que leurs saintes et leurs saints, etc. Quant aux protestants, ils ne rendent pas de culte à la Vierge Marie ni aux saints ».

Enbiro a une approche très factuelle. Pourquoi? « Parce qu’on informe, mais on ne catéchise pas. Par contre, pour le canton du Valais, on a édité des compléments valaisans qui développent ces aspects. Dans cet enseignement oecuménique, chaque canton est libre de s’organiser ».

Enbiro prépare actuellement pour les petits, les enfants de 1e et 2e année,

un texte sur Noël. « Nous allons surtout parler des aspects liés aux traditions autour de la fête de Noël pour les 2e année. Pour les 1e année, il s’agira de travailler des textes bibliques de la Nativité. Il y aura par exemple une leçon sur l’Annonciation et une autre sur la Visitation et on reverra naturellement Marie au moment de la Nativité ». Là, précise le président d’Enbiro, « on est dans ce qui est une de nos lignes depuis toujours, le biblique. Il n’y a pas trop de divergences oecuméniques. Ceci dit, pour les manuels enseignants, nous allons demander une notice sur Marie à un catholique, à un orthodoxe et à un protestant. Tous nos manuels sont accompagnés d’une méthodologie pour les enseignants. Les plus récents paraîtront en principe encore en 2005 ».

Les apparitions mariales dans Enbiro

Outre les sources bibliques, Enbiro éditera des compléments, rédigés par un théologien catholique, mais les textes sont encore en préparation.

Enbiro a 40 ans de pratique oecuménique, rappelle Claude Schwab. « Si vous prenez des cantons comme Fribourg ou Jura – le Valais y est depuis plus récemment – malgré la tradition différente, l’accord fondamental qui les lie à Enbiro est de travailler sur la culture biblique à titre d’information. Le reste est du ressort de la catéchèse ».

En ce moment, Enbiro réalise les moyens de culture biblique des 1e et 2e année. « On est en phase de consultation pour demander aux cantons quelles sont leurs attentes pour les plus grands. Donc c’est encore en gestation », conclut Claude Schwab. VB

Encadré:

Un dogme marial contesté

Dans la Bulle Ineffabilis Deus, le pape Pie IX stipulait en 1854: « Nous déclarons, prononçons et définissons que la doctrine qui tient que la bienheureuse Vierge Marie a été, au premier instant de sa conception, par une grâce et une faveur singulière du Dieu tout puissant, en vue des mérites de Jésus Christ, Sauveur du genre humain, préservée intacte de toute souillure du péché originel, est une doctrine révélée de Dieu, et qu’ainsi elle doit être crue fermement et constamment par tous les fidèles ».

Les apparitions de Lourdes ont eu lieu quatre ans après la proclamation solennelle du dogme de l’Immaculée Conception par le pape Pie IX. Le 25 mars 1858, dans la grotte sombre de Massabielle, Marie converse avec Bernadette qui l’interroge ; elle lui dit son nom : « Je suis vraiment l’Immaculée Conception ». Bernadette Soubirous sera béatifiée le 14 juin 1925 et canonisée le 8 décembre 1933, jour de la fête de l’Immaculée Conception.

Pour un protestant comme le pasteur réformé Michel Leplay, qui appartient au groupe des Dombes, bien qu’engagé dans la démarche oecuménique, il critique la ferveur mariale et mystique. Il met en avant le fait que la réflexion des anciens sur Marie est tardive, n’apparaissant qu’aux 8e et 9e siècles. Quant aux théologiens du Moyen-Age, ils sont divisés sur son caractère immaculé, déclare-t-il. Selon lui, la décision romaine de promulguer le dogme marial de 1854 a été prise dans le climat religieux du siècle, sous la pression populaire et sans la consultation d’un Concile. En outre les autres Eglises chrétiennes en furent blessées. VB

(apic/vb)

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