Apic – Interview
En Irak, l’avenir reste sombre pour la minorité chrétienne
Jacques Berset, agence Apic
Accra/Dohuk, 3 juillet 2005 (Apic) L’avenir reste sombre pour les Irakiens, particulièrement pour la minorité chrétienne. « Beaucoup d’entre nous, en raison de l’insécurité, essaient d’obtenir la double nationalité. avoir un pied à l’étranger et un pied dans notre patrie », confie à l’Apic l’abbé Noël Farman Hermiz.
Ancien rédacteur en chef de la revue chrétienne irakienne « Al Fikr al- Masihi », (La Pensée chrétienne), Noël F. Hermiz a été ordonné prêtre pour l’Eglise chaldéenne le 29 décembre dernier. Agé de 53 ans, il vit actuellement à Dohuk, dans le Kurdistan irakien.
Depuis quelques années, on assiste à une forte émigration des chrétiens d’Irak, qui ne formaient déjà que le 3% de la population totale de la Mésopotamie (ils sont certainement bien moins de 600’000 aujourd’hui). Mais il leur est difficile de trouver des pays qui les accueillent, affirme le prêtre chaldéen. « Cette émigration n’est pas encouragée, les portes ne nous sont pas ouvertes, mais les chrétiens irakiens explorent toutes les voies possibles pour s’en aller. ils partent en Syrie, en Jordanie, en Turquie. », nous confie Noël Farman Hermiz, qui participait fin juin à l’assemblée générale de l’UCIP, l’Union catholique internationale de la presse, qui tenait ses assises à Accra, capitale du Ghana.
Avant d’être ordonné prêtre, ce père de famille de trois enfants – deux filles, dont l’aînée est mariée depuis un an et s’est installée au Canada, et un garçon – était depuis six ans diacre permanent de l’Eglise chaldéenne. C’était même l’un des premiers diacres depuis des années. Il dirigeait alors « La Pensée chrétienne », une revue irakienne tenue par les Dominicains de Bagdad. Dans un français parfait, le prêtre et journaliste catholique brosse pour l’Apic un tableau de la situation de son pays à la fois sombre et optimiste.
Apic: Vous êtes retourné au Kurdistan, d’où vous êtes originaire.
Noël F. Hermiz: Je suis né dans cette région, dans le village de Sanat. On m’appelle d’ailleurs « Noël Farman Sanati », qui veut dire « qui vient de Sanat », pour perpétuer la mémoire de ce village rasé par le régime de Saddam Hussein. Dans les années 1975, il avait fait détruire tous les villages de la frontière entre la Turquie et l’Irak, sur 30 km de profondeur, dans le but de créer une zone tampon. Certains auraient préféré mourir sur place plutôt que de tout quitter, mais ils ont été déportés de force.
Je ne souviens pas tellement de Sanat, car j’avais deux ans quand notre famille s’est installée à Mossoul. J’y retournais quand j’étais jeune, mais mon village est maintenant détruit, même l’église. Des gens retournent désormais, et des chrétiens l’an dernier ont monté la garde tout l’été pour faire comprendre aux non chrétiens qui avaient envie de s’y installer que cette terre est à nous.
Pour le moment, on ne peut y accéder en voiture, car il n’y a pas de route carrossable dans ces montagnes. Je connais l’existence d’une trentaine de villages kurdes et chrétiens assyro-chaldéens qui ont été détruits à la frontière, et leurs habitants ne pouvaient plus y retourner, car tout était miné. Il y a encore davantage de villages que je ne connais pas, mais cela concerne à chaque fois au moins 100 à 200 familles.
Apic: Qu’est-il advenu de ces gens forcés à quitter leurs villages ?
Noël F. Hermiz: Ces montagnards se sont installés en ville, mais ils se sont sentis dépaysés, car ils parlaient la langue assyrienne, l’araméen, que l’on appelle chez nous le syriaque ou « sureth ». Ils ont ouvert des bars à Mossoul et à Bagdad, et lorsque le régime de Saddam Hussein, pour plaire aux fondamentalistes islamiques, a fermé les bars il y a une dizaine d’années, ils sont partis en masse. Certains ont fait faillite, et les familles se sont dispersées partout, là où ils ont pu émigrer: Canada, Etats-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande, France, Allemagne, Belgique, Suisse, Hollande.
Apic: Les chrétiens irakiens se sont de plus divisés.
Noël F. Hermiz: On a eu la malchance au cours de l’histoire d’être divisés entre chaldéens catholiques et assyriens orthodoxes (nestoriens), ce qui nous a séparés. Maintenant les gens revendiquent une ethnicité imaginaire, qui s’appelle l’ethnie chaldéenne, un nom qui leur a été attribué lorsqu’ils ont embrassé la foi catholique. Aujourd’hui, on encourage cette division depuis les Etats-Unis, notamment de la part des chaldéens américains.
Cette division était enfouie, souterraine, jusqu’à la chute de Saddam Hussein. Les chaldéens immigrés en Amérique soutiennent des groupes en Irak, des parents, des cousins, qui se séparent de leur ethnie d’origine.
J’assiste avec beaucoup d’amertume au démantèlement du peuple assyro- chaldéen ou araméen, avec l’encouragement de certains membres du clergé ou de politiciens. Ils sont encouragés à se diviser parce qu’ils reçoivent des prérogatives et des places dans le nouveau gouvernement; ils forment ainsi de nouveaux partis pour réclamer pour eux le label de « vrais chaldéens » ou de « vrais assyriens », alors qu’il s’agit de la même ethnie. Le corps de l’Eglise d’Orient est divisé en treize parties. et ce qui est dommage, c’est que des membres du clergé ont aussi joué sur le registre de la division.
Apic: Plus de deux ans après l’invasion américano-britannique, on a l’impression que l’insécurité est partout.
Noël F. Hermiz: Il y a toujours plus de gens qui essaient de partir, effectivement, car il n’y a pas de sécurité en Irak, et les chrétiens se sentent particulièrement menacés par la violence et la volonté de certains d’instaurer un régime islamiste. Il y a des gens qui essaient depuis dix ans de se réfugier à l’étranger, car le complexe d’insécurité et de persécution est très fort parmi eux.
Cela devient parfois de la paranoïa, même au Kurdistan, où il est – objectivement – plus facile à vivre qu’à Bagdad. Mais, même sans statut, ils se trouvent mieux au Liban ou en Syrie.
Pourquoi? Les gens qui vivent au Kurdistan n’ont pas de travail, ils dépendent des aides de leur famille à l’extérieur, mais ils reçoivent moins d’aide que s’ils sont réfugiés à l’étranger. Alors ils essaient tout de même de retourner près de la frontière syro-turque, dans leurs villages détruits ou arabisés, pour tenter de les réhabiliter: c’est le cas de Faish Khabour, sur le Tigre, ou de Deir Aboun, où la tradition veut que se soit échoué la barque de Noé. Ces chrétiens ont des perspectives, des prêtres viennent dire la messe toutes les semaines.
Au Kurdistan irakien, où les quelque 4 millions de Kurdes vivent une réelle autonomie depuis 1992 – dès après la 1ère guerre du Golfe – il ne reste plus que quelques milliers de chrétiens. Ils sont très respectés et très aimés, et l’entente est dans l’ensemble très bonne.
Apic: Malgré tout, vous cherchez également à vous procurer un passeport occidental!
Noël F. Hermiz: Chez nous, c’est calme, mais on ne sait jamais. Si on se rend à Mossoul et à Bagdad, je ne suis plus du tout à l’aise. Les Américains contrôlent la route, et ils peuvent la fermer pendant des heures, pour assurer leur propre sécurité. Le fait de circuler à Bagdad est devenu très dangereux, on ne sait jamais s’il va nous arriver quelque chose.
On sent le fondamentalisme islamique partout, clairement, dans le langage des politiciens, dans le nouveau discours des médias, et même les voisins s’y mettent avec leurs commentaires. S’il n’y a pas l’obligation formelle de se voiler pour les filles chrétiennes, elles le portent ou ne laissent plus la maison, quitte à ne plus fréquenter l’école. Même les musulmanes émancipées se sentent obligées de porter le voile, en raison de la pression sociale.
Au Kurdistan même, on sent poindre l’insécurité, car les Irakiens n’acceptent pas l’idée d’un Etat fédéral tel que le souhaitent les Kurdes. Si les Kurdes imposent l’Etat fédéral, ils seront alors coupés du reste du pays, enclavés, sans accès à la mer. L’avenir de la région reste donc fragile, c’est pourquoi comme d’autres, je songe à m’installer à l’étranger, tout en restant en contact avec l’Irak. Avoir une double nationalité, c’est pour nous un gage de survie! JB
Des photos de Noël F. Hermiz sont disponibles à l’Apic Tél. 026 426 48 11, Fax 026 426 48 00 Courriel: apic@kipa-apic.ch (apic/be)
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