Colloque de l’Observatoire des religions en Suisse

Lausanne: A l’Université, des chercheurs s’interrogent sur le fait religieux africain

Par Déo Negamiyimana, pour l’Apic

Lausanne, 13 novembre 2005 (Apic) Un colloque sur la pratique de la religion à l’africaine a rassemblé vendredi et samedi 11 et 12 novembre une trentaine d’universitaires spécialistes du monde religieux africain à l’Université de Lausanne.

Durant deux jours, des chercheurs venus de divers horizons ont partagé leurs points de vue sur la manière dont les Africains pratiquent la religion en Afrique et en Suisse. Organisée par l’Observatoire des religions en Suisse (ORS), la revue « Le fait missionnaire » (LFM) et la Société suisse d’études africaines (SSEA), la rencontre a permis de se rendre compte que ce continent, dit berceau de l’humanité, évolue vers l’inculturation absolue de la foi.

L’ORS est un institut universitaire non-confessionnel, interdisciplinaire et pluriméthodologique dont l’objectif est d’analyser les phénomènes religieux en Suisse, tout en mettant un accent fort sur la comparaison. Le phénomène religieux en Afrique affiche de plus en plus une certaine spécificité, ont constaté les chercheurs réunis à Lausanne. Qui ont relevé que le développement du religieux africain enchante toujours davantage de monde, en Suisse également.

Le retour des religions ancestrales

Au début de l’évangélisation et de l’islamisation, les missionnaires ont pensé que les religions ancestrales avaient disparu des pratiques africaines. Aujourd’hui, la réalité est toute autre. Non seulement elles réapparaissent, mais aussi certaines religions comme l’islam et le christianisme sont façonnées, retravaillées et confectionnées de façon à correspondre à des contextes politiques, symboliques, sociaux, économiques et politiques locaux.

Pour étayer l’affirmation, Fabienne Samson-Ndaw, de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) à Paris, se réfère à son étude comparative menée sur 2 groupes religieux différents, à savoir le Mouvement Mondial pour l’Unicité de Dieu et le Centre International d’Evangélisation. Rattachés respectivement à l’islam néo-confrérique et au christianisme néo-pentecôtiste, les deux groupes ont la particularité d’être des productions religieuses nationales.

« Ils utilisent et réadaptent des influences extérieures pour se singulariser au sein d’un champ religieux local très compétitif », observe l’ethnologue. Pour elle, les deux mouvements religieux sont également caractéristiques du phénomène de mélange des champs sociaux. Leur stratégie religieuse répond à une volonté de transformation, par la réévangélisation ou la réislamisation des individus et de la société.

Mais ils cherchent aussi, par des actions sociales voire politiques, à remplacer les manquements de l’Etat vis-à-vis des populations. Ils offrent tous deux des types d’identités similaires à leurs disciples et produisent chez eux les mêmes processus d’individualisation.

Le catholicisme, un modèle menacé, qui tente de s’adapter

La politique systématique de romanisation qui passe par le modèle latin censé garantir le caractère universel d’un catholicisme par essence supranational perd de plus en plus de vitesse. Ainsi, ce qui est jugé bon pour l’Eglise latine l’est de moins en moins pour l’Eglise africaine.

Aux yeux de l’historien Claude Prudhomme, de l’Université catholique de Lyon, Rome s’adapte à cette nouvelle situation. Dans une perspective de réforme de son fonctionnement, le Vatican pense à la mise en place des synodes africains et à des voyages initiés par Paul VI et amplifiés par Jean Paul II. Pour le Lyonnais, c’est dans le même sens que s’explique la nomination des Africains dans la curie et l’ébauche de relations intra-africaines directes entre les conférences épiscopales.

Réformes romaines jugées insuffisantes

Mais ces réformes romaines sont jugées insuffisantes par un certain nombre de clercs africains instruits. « Ceux-ci revendiquent une plus grande marge de manoeuvre et une reconnaissance de la spécificité africaine au niveau de la théologie et de la liturgie africaines. Le cas du Congo (RDC) reste le plus illustratif », explique Claude Prudhomme. L’historien propose que Rome crée une congrégation chargée spécifiquement de l’Afrique. « Celle-ci constituerait, estime-t-il, une nouvelle concession à la reconnaissance d’une spécificité sans mettre en cause le dispositif ».

En attendant que les choses soient mises en place officiellement au sein de différentes confessions, la pratique religieuse africaine (ré)enchante le monde. Comme le public venu les écouter, les conférenciers ont fait la même observation. Celle des Africains qui refusent une individualisation de la foi et qui font tout pour qu’elle soit partagée dans les Eglises suisses qui courent le risque de se transformer en musées.

« Contre la privatisation des rites religieux, les Africains invitent les Suisses et les Occidentaux à chanter et à danser avec enthousiasme pour la gloire de Dieu », fait remarquer Eric-Morier Genoud, chercheur à l’ORS et spécialiste du Mozambique. « Côté musulman, conclut-il, le processus n’est pas très différent si l’on tient compte de l’ascension de l’islam, ainsi que du phénomène du maraboutage de plus en plus séduisant ». (apic/dng/be)

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