Amérique latine: L’exploitation du désespoir et de l’ignorance: sans limite pour les sectes

Apic reportage

Le marché juteux de la religion: l’Eglise catholique sur la défensive

Par Pierre Rottet, de l’Apic

Lima, 5 décembre 2005 (Apic) Le continent le plus catholique au monde est en voie de perdre son statut. Cela au profit des sectes, qui connaissent une véritable explosion. Dans certains pays latinos, elles représentent déjà entre 20 et 40% de la population. Alors qu’elles étaient inexistantes ou presque il y a moins de 40 ans. TV câblées en continu, radios et presse écrite sont désormais des armes de propagande redoutables. C’est que le marché vaut de l’or. Beaucoup d’or. L’Apic s’est « invitée » dans une secte à Lima, au Pérou. A l’insu de celle-ci. Reportage.

La nuit est tombée sur la ville. A quelques mètres de la Plaza Boloñesi, dans le vieux Lima, l’immense salle de cinéma rachetée par l’ »Eglise » « Dios es amor » est presque comble. Quelques hommes de mains filtrent discrètement les entrées. Les regards sont méfiants, sans hostilité pourtant. Les femmes à droite, les hommes à gauche. Le spectacle qui s’offre a quelque chose d’irréel, d’hallucinant. Sur une scène, un homme harangue la foule. « Priez, priez plus. Pour demander pardon ». La voix contient à peine une colère qui monte, et qui gagne l’assistance. « Oh Dieu de merveille, fais couler sur nous l’esprit saint. Abreuve-nous de ton pouvoir, de tes faveurs. Fais tomber sur nous la richesse, soigne nos malades et les mourants, guéris-nous de la misère ». Du boulot en perspective, assurément.

Les bras levés, l’assistance implore, se frappe le visage et à l’endroit du coeur, en guise de contrition. D’une seule voix elle crie « gloria », hurle ce mot dans un immense vacarme, le répétant 10 fois, 100 fois, 1’000 fois comme une inlassable litanie, en un crescendo bien vite assourdissant. A faire froid dans le dos. La salle est maintenant comble. Pas loin de 2’000 personnes, sans doute, toutes de conditions modestes. Toutes sont dans l’attente d’une réponse utopique à leurs maux, qui sont ceux de la société latino-américaine: argent, santé, instruction, drogue, violence, chômage.

Des miracles contre de l’argent

« Alléluia », clame à répétition le prédicateur chargé de chauffer la salle, aussitôt imité par la foule. « Dieu regard ce que vous faites. Et si dans l’assistance, une seule personne ne croit pas en Lui, qu’elle s’avance. Elle est en danger de mort ». Bientôt, une dizaine d’hommes se déploient, munis de bâton au bout desquels sont accrochés de volumineux sacs blancs. Pour y recueillir les dons des fidèles. Personne ne rechigne à verser l’obole demandée. Exigée même, comme condition à toutes « demandes adressées à Dieu pour être écoutées » (sic). En moins de trois heures, l’opération sera répétée à 6 reprises. Soit à chaque fois qu’un nouveau « prédicateur » prend le relais, dans l’attente du moment clé: celui de tous les miracles, contre espèces sonnantes et trébuchantes. De quoi vider le porte-monnaie des plus humbles, mais remplir les poches d’une organisation sans doute plus proche de ses comptes en banque que de Dieu. L’exploitation de l’ignorance et du désespoir rapporte gros. Surtout que cette séance est l’ultime d’une journée qui en a compté quatre auparavant.

Sur la scène enfin, le rideau s’ouvre sur un homme vêtu de blanc, dont on ne saura jamais que le prénom, Efraim, une émule de Cash Luna, le prédicateur évangélique guatémaltèque. Le fondateur de la « Casa de Dios » au Guatemala, est quotidiennement omniprésent sur l’écran de la TV « Enlace TVN » – « Noches de Gloria », dont le siège est. à Miami. Une chaîne qui diffuse 24 heures sur 24 sur l’ensemble du continent. Une parmi d’autres.

Devant la foule, gagnée maintenant par une frénésie proche de l’hystérie, notre homme chargé de conduire cette « nuit des miracles » interpelle, apostrophe, vitupère. Sa voix métallique et son rire sardonique résonnent. Une mère s’avance. Elle porte son enfant dans ses bras. « Que pasa? ». Que se passe-t-il? interroge « le guérisseur ». « Mon fils ne peut plus poser le pied à terre. Beaucoup de médecins l’ont vu. En vain ». L’homme en blanc impose ses mains sur la tête de l’enfant. Qui se met aussitôt à gambader. Plusieurs « guérisons » se suivent. Celle d’un vieillard, maintenant sautillant, alors qu’il était auparavant privé de ses mouvements. « Regardez cette femme, sa colonne vertébrale était atteinte. Ni les médicaments ni les médecins n’ont rien pu faire. Seigneur, visite cette malade que le démon a visitée. Au nom de Jésus de Nazareth (sic), je te le demande, sors de ce corps ». Et la femme de tomber, à genoux, avant de se relever, aidée par des « infirmières », guérie, assure Efraim, puis d’être immédiatement soustraite de la vue du public. Comme la dizaine de « miraculés » avant elle.

Supercherie?

Dans la salle, au milieu des « glorias » et des « alléluia », les cris redoublent. Les adeptes les plus fanatiques sont pris de tremblements, de convulsions. Et les appels à la générosité se font plus insidieux. L’attention que porte « le guérisseur » étant proportionnelle à l’importance du billet de banque reçu. « Dieu va te donner l’argent. C’est lui qui va te redonner les 100 ou les 50 soles que tu gardes dans ta poche, et que tu vas partager. Pour te les rendre. Au centuple ». La musique, qui accompagne maintenant la parole couvre une sorte de folie collective, qui s’est installée en cette fin de soirée.

Comme au spectacle, les lumières se sont violemment allumées pour marquer la fin de la séance. Le public est prêt à repartir, pour affronter la réalité, dehors, délesté pour le moins d’une partie de son argent. Pire, endetté. Certains ayant signé une reconnaissance de dette pour un don à l’adresse de la secte. Pour les protagonistes de « l’Eglise Dios es amor », la soirée a été bonne. Et la recette sans doute plus qu’abondante.

Supercherie? Manipulation d’une masse laissée à son désespoir? Dans les coulisses de la scène en tous cas, à l’abri des regards, les prédicateurs de la soirée sont rassemblés. Pour compter en présence des « miraculés » la recette de la journée. PR

Encadré

Les sectes, « ce nouveau commerce »

Des sectes, comment, pourquoi. Dans les années 60 les Etats-Unis n’hésitèrent pas à encourager l’établissement de multiples sectes en Amérique latine. But avoué ou non: freiner l’avancée du communisme. Par la même occasion, contrer la naissance, dans l’Eglise catholique, de la théologie de la libération, « gauchisante » aux yeux de certains. Le « rapport Rockfeller », ébauché en 1960 déjà, débouchera en 1981 sur le fameux « Document de Santa Fe », destiné à aider Reagan dans sa politique latino-américaine. Dans ce document, on y désignait la théologie de la libération comme le principal danger pour les EU et l’Amérique.

Au Guatemala, le Pentagone a ainsi contribué à renforcer le pouvoir de certaines sectes comme l’ »Assemblée de Dieu », puis l’ »Eglise chrétienne du Verbe ». Cette dernière participera d’ailleurs au coup d’Etat qui débouchera sur le régime de terreur de Rios Montt.

Selon Franz Wieser, ancien religieux, observateur du phénomène des sectes au Pérou depuis de nombreuses années, « la théologie de la libération ne pouvait résister à la fois à la puissance de Washington et, en même temps, au virage conservateur alors amorcé par la hiérarchie catholique sud-américaine, avec notamment le renforcement de la présence de l’Opus Dei ».

Les statistiques se chargent aujourd’hui d’apporter un éclairage crû sur la réalité: quelque 10’000 Sud-américains se convertissent chaque jour à une « Eglise » évangélique libre, pentecôtiste. A une secte. Au Chili, par exemple, ces mouvements représentent déjà, dit-on, 36% de la population, soit 1% de plus qu’au Guatemala (35%). Leur force au Brésil est sans doute bien supérieure encore, peut-être pas en nombre, pour l’instant, mais par leur présence dans les rouages de la société, de la politique, de l’économie et des médias.

A Rio, selon une étude du sociologue Jorge Luiz Dominguez, on enregistrait la naissance de 3,5 nouvelles sectes chaque semaine dans les années 80, et 5,4 au début des années 90. Et rien ne semble actuellement calmer l’ »ardeur » des sectes, qui se font et se défont au rythme des « schismes ».

Bientôt le quart de la population

Au Pérou, depuis 1990, les mouvements sectaires ont connu une augmentation de 140%, indique pour sa part le sociologue péruvien Jorge Perez. « A ce rythme, assure-t-il, il n’est pas exclu de penser qu’ils représenteront entre 20 à 25% de la population péruvienne au début de la prochaine décennie ». Selon Franz Wieser, ces mouvements comptent au Pérou en moyenne un « pasteur » pour 300 fidèles. Contre un prêtre pour 10’000 membres dans l’Eglise catholique.

Un prêtre péruvien, sous couvert d’anonymat, confiait récemment à l’Apic son sentiment: « L’Eglise catholique a quelque peu démissionné de ses responsabilités. Sa manière de demeurer figée dans ses structures l’empêche d’évoluer, d’être en phase avec les réalités quotidiennes de ce continent. 80% des Péruviens se disent catholiques? Soit, mais notre Eglise est bien incapable de couvrir la demande de ses ouailles. La centralisation de ses décisions, éloignées de la base, est une explication. L’autre étant le manque de prêtres, problème récurrent s’il en est. Et je ne parle pas des hiérarchies des Eglises latinos, plus proches des élites et d’oligarchies liées à des pouvoirs par toujours recommandables que des Eglises de base. D’où le vide aujourd’hui, au sein de populations désespérées, mais pas dupes, livrées à elle mêmes, pour le plus grand bonheur des sectes ». PR

Encadré

Une machine à faire des dollars

« Pour mesurer l’importance du phénomène des sectes en Amérique latine, et surtout de la machine à faire de l’argent qu’elles représentent, commente Franz Wieser, il faut savoir que des rassemblements comme celui de l’ »Eglise » « Dios es amor » dans ce cinéma du centre de LIma se déroulent en même temps dans d’autres endroits de la capitale péruvienne, mais également dans d’autres villes du pays et de l’ensemble de l’Amérique latine. Du Brésil au Mexique. Je pense que l’argent ainsi généré peut se calculer quotidiennement à coups de centaines de millions de dollars, en l’absence de véritables estimations. Une lacune ». PR

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Internet et les miracles

« Viens et demande à Jésus ton miracle », assure la pub inlassablement répétée par « Enlace TVN », la TV animée entre autres par le « prédicateur » guatémaltèque Cash Luna. Mieux. On y propose ni plus ni moins l’utilisation d’internet pour aller chercher les « miracles » demandés. La preuve par la simplicité: « Connecte ton ordinateur à une puissante source d’énergie cashluna, venue d’en-Haut. Fais tes demandes de prières et reçois ton miracle par internet. La réponse à tes problèmes est à un clic de distance », annonce une voix « inspirée du ciel ». A un clic de distance. et à quelque dollars aussi. Que le fameux prédicateur Cash Luna et sa suite se feront un plaisir d’encaisser. En mai dernier, il avait été reçu en grandes pompes par le maire de Lima, Luis Castañeda Lossio, au cours d’une visite pour un meeting de la secte qui a rassemblé à la « Plaza de Mayo », dans la capitale péruvienne, plus de 50’000 personnes. Une aubaine pour le maire, en vue des prochaines élections. PR

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Le pouvoir grâce aux sectes

S’il est vrai que les sectes connaissent une expansion partout dans le monde – de l’Afrique à l’Asie en passant par l’Europe -, en Amérique latine, elles représentent un réel pouvoir, y compris politique. A titre d’exemple, la secte Moon, présente sur tous les fronts en Amérique, figure parmi les 60 ou 70 plus importants conglomérats dans le monde. Elle possède de nombreux quotidiens, y compris aux Etats-Unis, et excelle également dans le commerce d’armes. Elle ne s’est du reste pas privée d’en vendre au Pérou lors de son conflit contre l’Equateur, sous l’ère de l’ex-dictateur Fujimori, élu à la présidence grâce à l’appui des évangéliques et des mouvements pentecôtistes. Un autre dictateur, Rios Montt, au Guatemala, a lui aussi pu s’appuyer sur des mouvements sectaires pour parvenir au pouvoir. Plus récemment, le vice-président du Brésil, José Alencar, a adhéré fin septembre au parti municipalisé rénovateur (PMR), créé fin août dernier par la puissante « Eglise du royaume de Dieu », dirigée par le puissant Edir Macedo, qui vit aujourd’hui aux Etats-Unis. En quelques années, ce dernier a amassé des centaines de millions de dollars, acheté des chaînes de radio et de TV ainsi que des journaux. (apic/pr)

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