Quand la « vérité humanitaire » n’est pas toujours bonne à dire
Genève, 5 janvier 2006 (Apic) Un an après le tsunami qui a ravagé le sud-est asiatique, le spécialiste de l’Asie Richard Werly, journaliste au service étranger du quotidien romand « Le Temps » et collaborateur du quotidien français « Libération » (*), jette un regard sans complaisance sur la déferlante de générosité qu’a suscitée ce drame.
Dans son livre-enquête – « Tsunami, la vérité humanitaire » (Ed. du Jubilé) – Richard Werly salue l’extraordinaire élan de générosité de la population en faveur des victimes du tsunami, cette immense vague qui, de l’Asie du Sud aux côtes africaines, a coûté la vie à quelque 232’000 personnes il y a tout juste un an. Le tragique raz-de-marée du 26 décembre 2004 a de fait produit un véritable « tsunami humanitaire ».
Mais le journaliste s’est rendu sur place à plusieurs reprises durant l’année, et il constate que cette solidarité très réjouissante « n’est pas indemne de considérations politiques et stratégiques ». Contrairement aux famines africaines ou aux cyclones du Bangladesh, le tsumani est une « excellente » cause, écrit-il. Et d’évoquer ce que dira Condoleeza Rice, fraîchement élue à la tête du Département d’Etat américain, quelques semaines après le début de la catastrophe.
Auditionnée par le Sénat à Washington qui doit confirmer sa nomination, elle évoque le 18 janvier « la merveilleuse opportunité » que représente l’envoi de troupes américaines en Indonésie à des fins humanitaires, une opération qui doit rapporter des « dividendes importantes ». C’est qu’en intervenant massivement dans le bastion musulman de Aceh, surnommé le « balcon de la Mecque », les Américains montrent leur générosité et pensent marquer des points dans leur combat contre le terrorisme islamique.
Un élan de générosité qui atteint 12 milliards de dollars
Au plan international, les conférences de donateurs se succèdent, avec pour résultat des promesses de dons de quelque 12 milliards de dollars. Très rapidement certaines ONG mettent le doigt sur le risque de « siphonnage » que l’aide pour le tsunami – l’auteur parle de « surchauffe humanitaire » – fait courir aux autres catastrophes humanitaires moins ou pas du tout médiatisées: l’Afrique, notamment le Darfour, le Congo ou le Niger. Alors que l’année 2005 vient de s’achever, la Chaîne du Bonheur n’a reçu que 9,7 millions de francs pour le séisme qui a dévasté le Cachemire en octobre dernier, contre 225,8 millions de francs pour le tsunami!
« Avec de telles sommes en jeu, et une telle charge émotionnelle, la reconstruction s’annonçait modèle », écrit-il dans son ouvrage. Ses illusions s’envolent à son arrivée à Banda Aceh, épicentre du tsunami. A Medan, sur le port, Richard Werly contemple les milliers de containers d’aide non distribués, voit des équipes d’aide qui tentent de se faire convoyer par hélicoptère. à des prix se montant à des milliers de dollars.
Les « charlatans de la pitié »
Evoquant la hausse des loyers provoquée par la présence de nombreuses ONG ou la concurrence déloyale aux producteurs et commerçants locaux causée par l’importation massive de nourriture à bas prix, il fustige également les « charlatans de la pitié » qui ont flairé la bonne occasion de faire du business. ou des adeptes. Certains mouvements, notamment les missionnaires de l’Eglise de scientologie, semblent en effet plus intéressés par le prosélytisme que par l’aide effective aux victimes.
Dès le début janvier 2005, Médecins sans frontières (MSF) jette un pavé dans la mare: l’ampleur des dons est déconnectée de la réalité de la catastrophe, et l’organisation reçoit plusieurs fois ce dont elle a besoin pour ses opérations sur place. Car le tsunami a fait plus de morts que de blessés, et MSF est une organisation spécialisée dans l’urgence. Pour d’autres ONG, par contre, la priorité est la reconstruction, et elle coûte infiniment plus cher que l’aide d’urgence. Donc pour elles, pas question de parler de « surfinancement ». Le message de MSF restera incompris de beaucoup, et provoquera même une vive polémique en France. De nombreux donateurs accepteront cependant que leurs contributions soient réaffectées ailleurs, pour venir en aide à des victimes bien moins médiatisées.
Mais le journaliste français le constate: l’immense générosité n’a pas facilité le travail de reconstruction, et c’est même le contraire, avec tous les risques de corruption que provoque cet important flux d’argent. Et surtout, estime-t-il, « l’aide étrangère a marginalisé les organisations locales indonésiennes ou sri lankaises ».
Richard Werly estime que nombre d’ONG, venues pour faire face aux besoins immédiats, grâce à l’importance des dons reçus, ont prolongé leur présence sur place bien au-delà de la phase d’urgence. Alors que la reconstruction devrait avant tout être la tâche des Etats concernés par la catastrophe. Pour le journaliste, c’est la population elle-même et la société civile qui sont le meilleur garant de la reconstruction « si l’on veut travailler dans la durée ».
Et le journaliste de déplorer le manque d’égards pour la formidable mobilisation et la solidarité des gens sur place, alors que nos médias ont surtout insisté sur l’aide étrangère et notre propre générosité. Mais, au-delà du « bazar humanitaire » qu’il décrit, qui prend même parfois des allures de véritable « pagaille humanitaire », Richard Werly souligne aussi que nos sociétés occidentales ne sont pas restées indifférentes à la misère du monde comme on le prétend parfois, « même si la reconstruction n’est pas à la hauteur de l’extraordinaire élan de générosité qui avait déferlé sur l’Asie du Sud ». JB
(*) Richard Werly fut dans les années 90 correspondant en Asie (basé à Bangkok) de plusieurs publications – Journal de Genève et Télévision suisse romande notamment – et de l’agence Apic. Il fut ensuite chef de service au journal catholique La Vie, à Paris. Il a déjà écrit plusieurs ouvrages, dont notamment aux Editions Fayard « Nos filleuls d’Asie », en compagnie de Marie-Sophie Boulanger, et « Ikbal, l’enfant esclave », avec Sylvie Coma. (apic/be)
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