International: Les caricatures de Mahomet continuent de provoquer des violences
Beyrouth/Copenhague/Damas/Dakar/Rome, 5 février 2006 (Apic) Le Danemark était toujours la cible à travers le monde dimanche de foules fanatisées protestant contre la publication par des journaux de ce pays de caricatures de Mahomet. L’une d’elle le représente comme un terroriste, sans compter que la tradition musulmane interdit les images du Prophète.
Plusieurs journaux dans le monde ont reproduit les caricatures, arguant de la liberté de presse. L’ampleur et la violence des manifestations deviennent inquiétantes, car l’appel au meurtre a été suivi d’actions de destruction dans plusieurs endroits de la planète. Après la Syrie, où des émeutiers aux cris de « Dieu est grand! » ont attaqué samedi les ambassades danoise et norvégienne, c’était dimanche le tour du consulat du Danemark à Beyrouth d’être incendié, malgré un important déploiement de forces antiémeute. Des propriétés appartenant à des chrétiens ont également été attaquées dans plusieurs endroits. Après la Syrie, Copenhague a demandé à ses ressortissants de quitter le Liban.
Les agressions contre des représentations diplomatiques sont des faits très graves, et ont notamment été dénoncées par le ministre norvégien des Affaires étrangères, Jonas Gahr Stoere. « C’est horrible et totalement inacceptable », a pour sa part lancé le ministre des Affaires étrangères danois Per Stig Moeller. De nombreuses chancelleries occidentales ont dénoncé les attaques contre les missions diplomatiques, qui devraient être protégées par les pays hôtes.
Tous les Danois au Liban sont appelés à ne pas quitter leur domicile jusqu’à ce qu’ils puissent sortir du pays. La situation s’est dégradée au cours de la journée de dimanche et « la situation à Beyrouth n’est pas sous contrôle », selon le Ministère danois des Affaires étrangères. Des Danois de Syrie sont également en train de quitter Damas.
L’islam « a du mal à accepter la différence »
Alors que la contestation s’étend comme une traînée de poudre à tous les pays islamiques, de l’Afrique du Nord jusqu’aux pays de l’Asie en passant par le Proche-Orient, au Liban, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a invité hier les Etats islamiques à réclamer à l’Occident une loi interdisant toute atteinte à Dieu et ses prophètes. Il a, en outre, appelé les musulmans à poursuivre le boycott des produits des pays ayant publié les caricatures de Mahomet.
De son côté, le directeur de l’Institut pontifical d’études arabes et islamiques (Pisai) estime que dans cette affaire, les Danois ont manqué de tact. Le Père Justo Lacunza Balda, spécialiste de l’islam, a cependant défendu la liberté de la presse. S’exprimant sur Radio Vatican, il a affirmé que le Danois ont probablement « manqué de sagesse » dans l’utilisation de la satire. Si elle touche des symboles religieux liés à une religion, à une foi, « alors il faut savoir quelles sont les touches sur lesquelles on appuie ».
Pour le Père blanc, s’il faut être un peu prudents, au regard de la situation des rapports entre l’islam et l’Occident, « cela ne veut pas dire du tout que nous devons mettre un cadenas à notre liberté d’expression ou à nos libertés civiles ». Le Père Lacunza souligne que cette affaire prouve une fois de plus que l’islam a « du mal à accepter la différence ». Le ministre saoudien de l’Intérieur, le prince Nayef Ben Abdel Aziz, a souhaité que le Saint-Siège condamne la publication des caricatures du prophète. Quelques cardinaux italiens à la retraite ont accepté de réagir, avant que le Vatican en fasse de même.
Pour le Saint-Siège, ces caricatures de Mahomet sont « une provocation inacceptable »
Le Vatican a officiellement réagi, le 4 février 2006, à la polémique internationale concernant les caricatures du prophète Mahomet parues dans des journaux occidentaux. Le directeur de la Salle de presse du Saint-Siège, Joaquin Navarro-Valls, a qualifié la publication de ces dessins en Europe de « provocation inacceptable ». Et de relever – à l’égard de l’Occident comme de l’Orient – que « l’intolérance, d’où qu’elle vienne, est une grave menace pour la paix ».
Il a noté que certaines formes de critiques extrêmes ou de dérision à l’égard des autres dénotent et, dans certains cas, un grave manque de sensibilité humaine. Joaquin Navarro-Valls a précisé qu’il intervenait pour répondre aux nombreuses demandes sur la position du Saint-Siège face aux récentes représentations offensives des sentiments religieux d’individus ou de communautés entières.
« La coexistence des hommes exige un climat de respect mutuel pour favoriser la paix entre les hommes et les nations », a expliqué le directeur de la Salle de presse du Saint-Siège. Il a noté que la lecture de l’histoire nous enseigne que cela n’est pas ainsi que l’on guérit les blessures qui existent dans la vie des peuples. Joaquin Navarro-Valls a estimé que le droit à la liberté de pensée et d’expression, établi dans la Déclaration des droits de l’Homme, « ne peut comprendre le droit de heurter les sentiments religieux des croyants ». Et de préciser qu’un tel principe vaut évidemment pour n’importe quelle religion.
Sans citer explicitement le Danemark, où l’affaire a commencé fin septembre 2005, le porte-parole du Saint-Siège a tenu à préciser que les offenses d’une seule personne ou d’un journal ne peuvent pas être imputées aux institutions publiques de leur pays. Il a estimé que les autorités pourront et devront, éventuellement, intervenir selon les principes de la législation nationale. Le Danemark, puis la Norvège et la France, pays où ont été publiées les caricatures, ont été menacés du boycott de leurs produits par certains pays arabes, tandis que leurs ressortissants ou leurs biens dans ces pays sont l’objet de menaces.
Navarro-Valls déplore les violences
Joaquin Navarro-Valls a aussi commenté les fortes réactions du monde musulman, estimant que les actions violentes de protestation sont toutefois également déplorables. « L’intolérance, réelle ou verbale, d’où qu’elle vienne, comme action ou comme réaction, constitue toujours une grave menace pour la paix », a-t-il conclu. AMI/JB
Encadré
La publication des dessins incriminés remonte à septembre 2005
Le 30 septembre 2005, le quotidien danois Jyllands-Posten a publié 12 caricatures du prophète Mahomet. La publication de ces dessins a immédiatement provoqué le scandale au sein de la communauté musulmane du pays et s’est amplifiée avec le temps. Une douzaine de pays arabes ont demandé des excuses au Danemark, menaçant le pays de boycotter ses produits au Proche-Orient. Après qu’un mensuel norvégien ait reproduit les caricatures, le quotidien français France Soir a fait de même le 1er février 2006, au nom de la « liberté d’expression ». Depuis, des médias d’Allemagne, d’Espagne, d’Italie, des Pays-Bas, de République tchèque, de Grande-Bretagne ou de Suisse ont choisi de publier une ou plusieurs des caricatures incriminées, provoquant à nouveau la colère et de violentes manifestations du monde musulman. AMI/JB
Encadré
La vague d’indignation a atteint l’Afrique
La vague d’indignation et de protestation contre les caricatures du prophète Mahomet par un journal danois, a atteint l’Afrique. Dans tous les pays du continent, musulmans modérés et fondamentalistes ont élevé leurs voix, se sentant atteints, blessés et agressés dans leur religion. Les condamnations fusent de toute part.
Au Sénégal, pays à majorité musulmane qui accueillera, en novembre 2007, un sommet de l’Organisation de la Conférence islamique (Oci) et la première conférence mondiale du dialogue islamo-chrétien, le président Abdoulaye Wade est monté en premier au créneau. Il a condamné « fermement ce blasphème porté sur le prophète Mahomet sous le prétexte d’une certaine liberté de presse ».
En plus, les associations islamiques ont dénoncé ces caricatures, reprises par plusieurs autres journaux européens, par solidarité avec le journal danois. C’est une « atteinte à liberté de culte », ont-elles souligné. Une organisation islamiste, « Jamra », a déposé une lettre de protestation au consulat du Danemark au Sénégal. Son président, Abdoulatif Guèye, a déclaré que le pays, terre d’islam, est certes une société multiconfessionnelle, « mais pour le principe, il est important de s’élever contre cet abus ».
« Dessiner le prophète Mahomet avec un turban et une bombe est un amalgame ». Il est temps d’arrêter la confusion entre islam et terrorisme, ne serait-ce que par respect pour les musulmans du monde entier, a-t-il ajouté. Il y a quelques années, Abdoulatif Guèye et son organisation « Jamra » s’étaient illustrés par un soutien sans faille à l’Eglise catholique, à la suite de la diffusion de « Je vous salue Marie », film du réalisateur franco-suisse Jean-Luc Godard, sorti en 1983.
De leur côté, les imams du Sénégal, à la demande du khalife général des tidjane, la plus grande confrérie musulmane du pays, ont consacré leurs sermons au « crime ». Un prêcheur dans une grande mosquée de Dakar a appelé les musulmans du monde entier à dénoncer par « leurs actes, leurs langues, dans leurs coeurs, par leurs mains, cette agression injustifiée contre le prophète de l’islam ».
Dans d’autres pays africains, la mobilisation a été tout aussi forte. Vendredi 3 février avait été décrété « journée internationale » de protestation contre les caricatures du prophète Mahomet. Au Nigeria, au Soudan, à Zanzibar, en Somalie, en Egypte, imams et fidèles ont, eux aussi, fustigé les écrits. Au Maroc, à l’appel de quatre organisations islamiques, des centaines de personnes ont manifesté, pendant un peu plus d’une demi heure, devant le parlement, à Rabat. Ils n’ont pas brûlé de drapeaux danois ou européen comme dans certains pays arabes, mais ont exhibé des banderoles et des pancartes sur lesquelles étaient écrites des invitations à tous les Marocains à défendre le prophète.
D’autre part, dans un communiqué publié samedi, le Conseil Supérieur des Oulémas (leaders religieux) du Maroc, a condamné la « tendance avérée à la mise à profit de la liberté » pour s’attaquer à la croyance de centaines de millions de musulmans. Présidé par le roi Mohamed VI qui a le titre d’ »Amir Al Mouminine » (Commandeur des croyants), le Conseil est composé de quinze membres, nommés par le souverain, ainsi que des trente présidents des conseils locaux des Oulémas, du ministre des Habous et des Affaires islamiques et d’un secrétaire général. (apic/imedia/ami/bbc/ibc/be)
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