Paris Qui sont les évangéliques français ?
Jean-Claude Noyé, Paris
Paris, 3 mars 2006 (Apic) A l’initiative de l’association des journalistes de l’information religieuse (Ajir), Sébastien Fath, sociologue, chercheur au GSPR-CNRS) (Groupe de sociologie des religions et de la laïcité) a donné à la Maison du protestantisme une conférence sur le thème : le protestantisme évangélique en France.
Pourquoi en France l’intérêt des médias et des chercheurs pour les évangéliques, bien que tardif, est-il si important aujourd’hui ? En un mot parce que cette mouvance est relativement prospère. On comptait en 1945 environ 50’000 évangéliques contre 395’000 aujourd’hui. Que leur nombre ait été multiplié par sept en l’espace de deux générations, dans une période de pleine sécularisation, ne peut qu’intriguer. Mais qui sont-ils ? Sébastien Fath choisit quatre critères pour les définir : le biblicisme, le crucicentrisme, la conversion, l’engagement.
Le biblicisme car, comme protestants, les évangéliques ont pour première source de légitimité la Bible, et non pas l’Eglise, une institution à leurs yeux secondaire. De la Bible, ils attendent qu’elle soit une source d’inspiration normative pour leur vie quotidienne. Pas nécessairement littéralistes, ils se méfient néanmoins de l’exégèse critique inspirée par les sciences humaines comme de l’interprétation métaphorique du texte. Parmi leurs principales sources, on retrouve souvent Jean, 3, 16 ainsi que le psaume 119, au verset 105 : « Ta parole est une barque à mes pieds. »,ainsi que l’épître aux Romains, 1,16 .
Deuxième trait commun : l’insistance sur la rédemption par la crucifixion de Jésus et une approche fortement binaire de l’histoire : il y a ce qui précède l’événement de la croix (le péché) et ce qui suit. Ce n’est pas pour rien que deux groupes qui ont soutenu le film de Mel Gibson sont les catholiques traditionalistes et les évangéliques. Troisième facteur, sans doute le plus déterminant : le rôle de la conversion. L’idée de tradition chrétienne n’a guère de sens pour les évangéliques. Ce qui compte avant tout à leurs yeux, c’est de renaître en Christ.
Les principales composantes
Ce thème de la nouvelle naissance a été fortement valorisé par la tradition protestante du piétisme. Et il explique l’insistance sur le baptême des adultes, consécutivement à une conversion personnelle et non pas objet d’une transmission de génération en génération. Quatrième critère : les évangéliques sont des « virtuoses de la religion » (Max Weber). L’adhésion à leurs églises n’est valable que si elle est motivée par un fort degré d’engagement dans la foi. Ce sont des « professants » qui insistent sur la dynamique militante qu’implique la conversion, sur la nécessité de crédibiliser par des actes l’Eglise comme société alternative.
Les principales composantes ? La première (150’000 membres environ) est ce que l’on appelle la famille piétiste orthodoxe (classique) qui regroupe par exemple les « Assemblées de frères » ou les Darbystes. Ces évangéliques se méfient, à la différence des pentecôtistes, des phénomènes spectaculaires (comme le parler en langue). Ils veulent approfondir la lecture de la Bible et mettent l’accent sur la piété personnelle. Deuxième composante : les pentecôtistes, qui insistent sur l’efficacité de l’agir divin via l’Esprit Saint et dont l’ambiance culturelle est nettement plus démonstrative. Enfin, la troisième composante est représentée par les Eglises évangéliques ethniques ou de diaspora étrangère regroupant près de 45’000 personnes (Tziganes et Antillais non inclus) dans leur plus grande diversité : Africains, Tamouls, Chinois, Russes, ou même Berbères.
Principalement installées dans les lieux où le protestantisme français s’est historiquement développé. – départements du Gard, de l’Ardèche et d’une partie du Nord-est de la France – les Eglises évangéliques ont multiplié leurs lieux de cultes: 2000 contre 650 pour les Eglises luthéro-réformées. Il ne fait pas de doute, du reste, que les premières ont « récupéré » de nombreux fidèles des secondes. Cela tient à certains de leurs traits socio-culturels. Par exemple une spiritualité de l’épanouissement, avec l’accent sur les conséquences positives de la conversion : une libération personnelle (susceptible d’être manifestée corporellement), une plus grande efficacité dans l’agir quotidien, etc.
Signes de précarité
Autre trait : le cadre structurant des normes de vie prescrites adossé à une forte sociabilité militante rend viable une autre manière de vivre. Cela d’autant plus que les évangéliques ont le sentiment d’appartenir, au sein de leurs Eglises respectives, à une vraie famille, famille, famille sécurisante et de surcroît éternelle puisque promue à la résurrection. Enfin les Eglises évangéliques font preuve d’une modernité démocratique et laïque qui rejoint la tradition démocratique française. Dès la première moitié du 19° siècle, le Suisse Alfred Binet, théologien évangélique, plaidait pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Et ce sont les assemblées locales qui décident des principales orientations.
Reste que ces Eglises présentent plusieurs signes de précarité. Elles ne sont pas à l’abri de dérives sectaires quand un leader charismatique devient la principale norme de référence – au prétexte qu’il est directement inspiré par Dieu – au lieu de la Bible. Ou de dérives « insulaires » quand leurs membres vivent en vase clos, refusant par exemple de manger ou même de partager une maison mitoyenne avec des personnes non confessante.Autre fragilité : l’impact missionnaire des évangéliques nord-américains (les USA sont le premier pays protestant au monde) est à double tranchant. Il est source de dynamisme, mais il crée un hiatus avec l’héritage culturel français. Sans compter que la politique étrangère des USA est source de polémique. Les évangéliques français se sont ainsi clairement désolidarisés de l’intervention en Irak, à la différence de leurs homologues américains. Enfin l’éclatement de cette mouvance n’arrange rien. Ni même son déficit d’image, comme en témoigne le titre plus qu’approximatif en couverture d’un news français : « Les évangéliques : la secte qui veut conquérir le monde.» (apic/jcn)
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