Apic Reportage
L’âge moyen des séminaristes en nette hausse
Par Valérie Bory, Apic
Fribourg, 30 mars 2006 (Apic) Le « métier » de prêtre attire davantage de candidats « tardifs ». Aujourd’hui on ne passe plus directement du collège latin-grec à la théologie! Certains futurs prêtres ont eu une vie professionnelle ou ont bifurqué en cours de route. Interview auprès de trois prêtres chargés de la formation et témoignage d’un prêtre qui a tout quitté à près de 50 ans.
Avec l’allongement de la durée de vie et les choix successifs qui interviennent dans une existence, on n’opte plus à 20 ans pour le métier qu’on fera jusqu’à la retraite. Cette tendance touche-t-elle les vocations de prêtres et peut-on constater une augmentation de vocations plus tardives? C’est ce que l’Apic a demandé à Jean-Blaise Fellay, père jésuite, responsable du CIFT (Centre interdiocésain de formation théologique) ainsi qu’à l’abbé Rimaz, en charge du Centre Romand des Vocations à Lausanne et l’abbé Pierre Yves Maillard, du séminaire du diocèse de Sion, à Givisiez. Quant au Père Guy Jeanmonod, curé « tardif », il a passé 17 ans dans une compagnie d’aviation, comme stewart.
Pour Jean-Blaise Fellay, on note une très nette augmentation de candidats à la prêtrise, y aboutissant après un cheminement premier qui ne les destinait pas à entrer dans la vocation sacerdotale. « Le parcours classique il y a vingt ans, c’est quelqu’un qui suivait le collège et, souvent, le collège classique latin-grec et ensuite qui, – sans parler de ceux qui faisaient encore le petit séminaire – maturité achevée, entrait au séminaire ».
Menuisier, employé des pompes funèbres, candidat médecin.
Le Père Fellay estime que la moyenne d’âge actuelle d’entrée au séminaire (LGF et Sion) s’est élevée et se situe vers 25 ans. « Deux groupes émergent: ceux qui viennent directement du collège, minoritaires, et – le groupe le plus important – qui se situe au niveau bac + 2 ou 3 années d’études. Certains ont même fini leurs études de droit ou de médecine ». En outre, il existe un petit groupe de futurs prêtres, en augmentation, parfois sans bac, qui ont eu une vie professionnelle durant plusieurs années et même pendant plus de dix ans
« Si l’on considère actuellement les candidats prêtres en Année de discernement (préalable au séminaire) un seul vient de terminer sa maturité pour y entrer en octobre. Deux ont déjà fait 2 ans de théologie, un, 2 ans de médecine, un autre a travaillé comme menuisier. Un autre encore vient de la banque puis des pompes funèbres. « C’est une évolution réelle ». Le nombre moyen des candidats en Année de discernement, pour toute la Suisse romande, est de six. Entrent ensuite au séminaire 4 ou 5 d’entre eux en moyenne chaque année. Au séminaire, il faut compter encore sur deux ou trois départs.
Pont vers l’Université pour les sans-bac
« En tant que responsable du Cift, prévoyez-vous de créer une filière spéciale pour des vocations religieuses tardives? », avons-nous demandé à Jean-Blaise Fellay. La voie courante pour la prêtrise est la licence en théologie rappelle-t-il (Ndlr. Fribourg étant la seule faculté romande de théologie catholique). Mais actuellement une partie des futurs prêtres ne peuvent entrer à l’Uni faute de maturité. « Pour ceux-ci, les deux années de l’Ecole de la foi – qui se clôt en 2006 – faisait office de première année propédeutique à l’Université. Pour lui succéder, nous lançons donc une année Croire et Comprendre, qui permet d’accéder plus facilement au rythme universitaire. Ceux qui ont moins de 30 ans et qui n’ont pas de bac peuvent toutefois être formés à l’Université et obtenir un Diplôme ecclésiastique. Avec pour les meilleurs, la possibilité d’un pont vers le Master. Une troisième possibilité pour des candidats à l’ordination sacerdotale ne répondant pas aux exigences académiques, consiste en un parcours un peu allégé, la « troisième voie ». Elle est indiquée pour ceux qui sont âgés de 40 ans, par exemple, et ont eu un parcours professionnel assez long ».
Les vocations pourraient-elles attirer plus de gens, compte tenu de la recherche de sens de beaucoup, dans une société vouée à la seule consommation? « C’est en effet une question à se poser. Je me demande jusqu’où on peut aller dans cette espèce de désarroi des valeurs qu’on constate et jusqu’où cela pourrait provoquer une sorte de réaction. Je vois deux courants: un qui va vers une laïcisation, une neutralité religieuse, voire une disparition du religieux. A mon avis, c’est un courant de notre société. Et d’autre part, inévitablement, nous avons une forte réaction d’insistance sur le religieux, de la part de l’islam, qui n’ accepte pas du tout cette sécularisation ».
Tradition et retour du col romain
Du côté protestant, note le Père Fellay, on voit aussi la force de mobilisation des évangéliques, en progression. Et, chez les catholiques, des courants proches des charismatiques ou d’organisations comme l’Opus dei, sont partisans d’une présence beaucoup plus forte et visible d’un christianisme militant. A la croissance d’une laïcisation va correspondre la croissance de mouvements aux affirmation plus fortes et parfois plus sectaires ». De nouveaux prêtres en seront-ils issus? « Il est clair que ces milieux minoritaires sont plus ardents, plus fervents, et proportionnellement ont plus de vocations . Il y a autant, si ce n’est plus, de candidats de gens qui se préparent au sacerdoce dans la petite communauté Eucharistein qu’au séminaire diocésain valaisan! ».
En outre, vu la diminution pratique des candidats au sacerdoce, les communautés chrétiennes sont de plus en plus confiées aux laïcs, constate-t-il. Ce qui a pour conséquence ’ »un nombre de candidats au sacerdoce relativement important, venus des milieux fervents charismatiques. Par opposition au clergé des générations précédentes, qui visait « l’enfouissement » et la discrétion, les jeunes prêtres, surtout dans le diocèse de LGF, portent volontiers le col romain et insistent sur la visibilité et le caractère sacré du prêtre. Ils se trouvent parfois en opposition dans les paroisses avec des laïcs qui ont pris en charge des rôles importants, non seulement dans la catéchèse, mais aussi dans les enterrements, les préparations au mariage. Le risque de tension est évident », observe Jean-Blaise Fellay.
« On n’a pas besoin d’être dr en théologie pour faire un bon prêtre »
L’abbé Pierre-Yves Maillard est responsable du Séminaire du diocèse de Sion, à Givisiez et de l’Année de discernement. Outre les quelques candidats venant de diocèses étrangers et les jeunes adultes ayant déjà passé quelques années dans une faculté universitaire, les plus jeunes candidats de l’Année de discernement viennent de familles croyantes pratiquantes, donc pas ou peu de conversions ou de recommençants, précise l’Abbé Maillard. Les différentes voies à la prêtrises ne sauraient faire oublier que « l’on n’a pas tous besoin d’être dr en théologie pour faire un bon prêtre » et que « l’évêque est toujours libre d’ordonner quelqu’un », rappelle l’abbé Maillard.
Guy Jeanmonod: d’une compagnie d’aviation nationale à la cure de Bulle
Comment passe-t-on d’une vie trépidante de stewart d’une compagnie aérienne – pendant 17 ans – à la cure de Bulle? C’est le cheminement plutôt insolite qu’a suivi le prêtre Guy Jeanmonod. « J’aimais énormément mon travail sur les vols de ligne ». Comme il l’explique, « toute cette diversité » était pour lui une préfiguration de l’ »incarnation » qu’il trouve dans le christianisme. Intéressé par la spiritualité il a lu quelques livres sur le bouddhisme et l’ésotérisme, pour finalement trouver « qu’il n y a rien de tel que le christianisme qui s’enracine dans mon être et dans mon faire ».
Passer d’une vie à l’autre? Il s’est posé la question « pendant 10 ans ». « Sur le plan privé, je ne m’engageais pas, professionnel non plus: j’étais toujours assis entre deux chaises. Le jour où j’ai écrit à Swissair pour donner mon congé, où j’ai résilié le bail de mon appartement, débarrassé mes meubles pour m’installer dans une petite chambre, j’avais l’estomac noué ». Il est resté 5 mois angoissé. Aujourd’hui, il croit qu’ »il y a eu un appel ». Quelqu’un lui disait « vas-y ». « L’amour de la parole de Dieu, peut-être que je l’avais depuis enfant, étant de confession protestante. La Bible, je la connaissais relativement bien ».
Paradoxalement l’empreinte d’une compagnie aérienne au service particulièrement exigeant lui est utile aujourd’hui encore. « Quand on commençait sur ces avions, on vous répétait: Allez vers les gens, même si c’est pour 50 minutes. Et je crois que je vais spontanément vers les gens. Curé dans ma cure et dans mon église, j’ai aussi besoin de cela, aller chez eux. Cela les touche ».
Allumer un cierge avec un enfant.
Pourquoi n’est-il pas devenu pasteur? « De mère catholique, enfant, j’allais souvent en vacances dans les années 60 dans le canton de Fribourg ». Messe avec la grand-mère ou la marraine, à Posieux. « Pendant ces moments de vacances, quelque chose a été semé », lance-t-il. « Je dis aux parents, même si vous n’allez pas tous les dimanches à l’église, essayez de passer aux Capucins (Eglise des Capucins, à Bulle) allumer une bougie. Parce que pour les enfants, c’est des moments où il y a du silence, de la paix, c’est différent ».
Tout a commencé sur un avion. Parmi les passagers, un jour, un moine en bure lui parle de retraites dans les monastères. « Côté coeur c’était un peu la galère, côté boulot, ma valise était ma meilleure amie ». Après une retraite au monastère de Hauterive, il découvre « une chose essentielle dans la vie: le moment présent, le silence, sans journaux, sans TV sans radio. Là-bas une minute est une minute. Une heure est une heure. La réalité est là, elle n’est pas demain ni hier ».
Le choix du catholicisme, il le résume ainsi: « Lors de la célébration de la messe, je ne communie pas seulement avec la parole, mais au corps et au sang du Christ, en sa personne. J’aime bien aussi dans le catholicisme le rapport aux saints. » L’influence du protestantisme ne lui a-t-elle rien apporté? Si. « La lecture de la bible et une école du dimanche pour les enfants qui n’ont pas encore fait leur première communion. J’aimerais bien mettre cela à l’ordre du jour ».
Comment donner suite à l’Année des vocations sacerdotales?
« La grande difficulté tient dans le fait que les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas encore exprimé un besoin, qu’il est déjà comblé. Le terreau d’où sortiront peut-être quelques prêtres n’est plus porteur. Je me dis qu’avant de moissonner, il faut peut-être semer non? Accompagner plus tôt les jeunes. Si on n’a pas l’habitude d’aller à l’église, cela ne va pas de soi. Cette baisse de vocations me fait souci. Je pense à ceux qui vont venir après moi. »
Autrefois pris dans une vie trépidante séculière, Guy Jeanmonod vit aujourd’hui comme prêtre une vie tout aussi trépidante. « Un couple que j’ai marié en octobre voulait m’inviter à soûper et j’ai dû leur répondre que j’étais pris tous les soirs pendant 3 semaines ». Le stress il le conjure en disant la liturgie des heures à l’Eglise de la Tour de Trême ou chez lui. « Avec un peu de silence, un peu d’oraison, le matin, un peu de lectio divina. » Chaque jour, il célèbre une messe et parfois deux, tout comme ses confrères prêtres. Ils sont quatre à se partagent les paroisses de Bulle, La Tour de Trême, Morlon, Riaz, Echallens, Vuipens, Sorrens, Avry, Vaulruz, Vuadens, Sâles. Sans compter les chapelles.
Guy Jeanmonod s’occupe en outre d’un mouvement pour personnes handicapées et est aumônier des prisons à Bulle. La maladie, la mort font aussi partie des urgences d’un prêtre. »Pour la plupart des gens ici, le sacrement des malades est encore l’extrême onction, que l’on donne à la dernière minute, ce qui fait que les proches nous appellent au milieu de la nuit. Mais nous devons être disponibles. ». VB
Encadré
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L’ »Office d’orientation » des Vocations
L’Abbé Dominique Rimaz est responsable du Centre Romand des Vocations à Lausanne (CRV), organe de coordination, qui travaille en collaboration avec la Conférence des ordinaires romand et les instances religieuses.
Le Centre Romand des Vocations se situe en amont de l’Année de discernement, première voie vers le sacerdoce du futur prêtre. Fonctionnant comme une sorte d’office d’orientation et d’information, le CRV ne donne pas de cours. Il est souvent le premier interlocuteur institutionnel de celui qui veut en savoir plus sur le » métier » de prêtre. « On nous contacte par téléphone ou via notre site internet. Souvent aussi parce qu’on a entendu parler du CRV par son curé. » Nous entrons en discussion et aiguillons l’intéressé sur les Week ends de discernement, que nous organisons – 3 par année. Ensuite, le candidat poursuit sa voie, s’il en a le désir, avec l’Année de discernement du Séminaire de Givisiez ».
Qui sont les gens qui prennent contact avec le CRV? « Il y a bien sûr des jeunes qui se posent la question de la vocation sacerdotale. La plupart du temps ils ont déjà un métier. Ils ont 22, 25, 27 ans », précise Dominique Rimaz. « Certains viennent de la garde suisse ou ont été autrefois servants de messe ». D’autres adultes qui contactent le CRV travaillent dans le domaine social. Les JMJ sont aussi à l’origine de questions et renseignements sur les vocations. Quant à l’âge des candidats potentiels, « nous avons certaines demandes de gens de 40, 45 ans ». L’an dernier, ajoute Dominique Rimaz, « sur une quinzaine de contacts suivis, deux ou trois avaient plus de 40 ans.
L’abbé Dominique Rimaz est lui-même « entré par la bande » dans le sacerdoce. « J’ai un métier, j’étais laborant en chimie. Pendant mon apprentissage, je pensais beaucoup à la prêtrise. En 1991 j’ai terminé mon apprentissage et je suis entré au séminaire en 1994, à Fribourg, à 26 ans, après un préalable d’admission (je n’avais pas de bac) qui m’a mené une année en Sciences sociales et politiques, à l’Université de Lausanne ». L’abbé ne regrette pas son choix un seul instant aujourd’hui! VB
Des illustrations de cet article sont disponibles à l’agence CIRIC, Bd de Pérolles 36 – 1705 Fribourg. Tél. 026 426 48 38 Fax. 026 426 48 36 Courriel: ciric@cath.ch (apic/vb)
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