Rome: «L’Evangile de Judas» relève de la documentation historique, pas théologique

Le cardinal Vanhoye commente ce texte copte du 3e ou 4e siècle

Rome, 11 avril 2006 (Apic) L’Evangile de Judas, découvert dans les années 70 mais récemment traduit du copte, présente un intérêt historique et non théologique, estime le cardinal Albert Vanhoye. Ce jésuite français et expert en exégèse, interrogé par I.MEDIA le 11 avril, revient sur cet écrit, dont une partie a été publiée en exclusivité par le mensuel américain « National Geographic », dans son édition en anglais du 6 avril 2006.

Même si l’on dispose déjà de documents dans ce genre-là, ce texte qui daterait du début du 4e siècle n’était pas connu jusqu’ici, a souligné le cardinal Vanhoye. Ce document est apparu de façon tout à fait inattendue, a-t-il aussi estimé.

Un contenu qui s’apparente au gnosticisme

Si son contenu s’apparente au gnosticisme, doctrine qui s’est développée à partir de la fin du 1er siècle pour être très répandue à la fin du 2e siècle, il est nouveau, a encore affirmé le nouveau cardinal, dans le sens où il présente une « théorie sur Judas qui le réhabilite comme le véritable disciple du Christ », montrant que « les autres se sont trompés ». Pour l’exégète, il s’agit d’une « réhabilitation de Judas fondée sur la doctrine gnostique dualiste », avec une « séparation complète du corps et de l’âme ». Le gnosticisme estimait en effet que « l’incarnation (de Dieu, ndlr) n’avait pas de sens », a-t-il expliqué. Il considérait le corps comme un obstacle pour l’âme, dont on devait se débarrasser.

Ainsi, selon l’Evangile de Judas, ce dernier, au lieu de tomber dans la déchéance en trahissant le Christ, a débarrassé Jésus de son corps, l’aidant à « s’en sortir », a illustré l’ancien recteur de l’Institut biblique pontifical. Et de préciser que, jusqu’ici, les seules tentatives de réhabilitation de Judas étaient celles, au sein de l’Eglise, consistant à dire que s’il avait trahi le Christ c’était afin de le pousser « à manifester sa puissance » et qu’il « avait été déçu que Jésus se laisse prendre ».

Saint Irénée a lutté contre ces théories abstraites

Le cardinal Vanhoye a ainsi estimé que le document à peine publié présentait de l’intérêt car il permettait de prendre connaissance de l’existence du courant (gnostique, ndlr) existant à une époque. Il a alors parlé d’une « exaltation mentale » dans la société des premiers siècles après Jésus-Christ, fruit de théories abstraites fermement critiquées par Saint Irénée. L’évêque de Lyon avait en effet lutté contre cette doctrine et ces concepts considérés comme des spéculations purement intellectuelles, n’ayant pas de rapport avec la vie concrète.

Pour le cardinal Vanhoye, l’intérêt du document à peine publié demeure donc d’ordre historique et non théologique. Car le gnosticisme est une doctrine parallèle à celle chrétienne, « sans connexion réelle avec la Révélation biblique ». Même s’il ne s’agissait pas directement de polémiques contre la foi chrétienne, estime-t-il, c’était « un courant de pensée (.) qui écartait les personnes de la foi ».

L’Evangile de Judas est « une chose du passé »

L’Evangile de Judas est « une chose du passé », a renchéri l’ancien secrétaire de la Commission biblique pontificale. Et si ce document ancien porte sur un sujet intéressant, celui de la passion du Christ, soit « l’événement central de la foi », et nous y fait réfléchir, a suggéré le jésuite, il ne présente pas d’intérêt réel pour notre vie. Et d’insister sur le fait que « les gnostiques proposaient des théories tout à fait étrangères à la foi ».

Interrogé sur le fait que de telles théories puissent fasciner à nouveau aujourd’hui, l’exégète a répondu qu’en effet à toutes les époques, il y a eu ces tendances-là. « Tout ce qui met en cause l’existence du Christ telle que présentée par l’Eglise est en effet considéré comme intéressant, digne d’être préféré à la doctrine traditionnelle de l’Eglise », a-t-il affirmé. Il a ainsi cité le « Da Vinci Code » de Dan Brown, qui exerce une fascination en ayant pour thèse que l’Eglise s’est efforcée de cacher la vérité.

Cependant, si le cardinal Vanhoye a reconnu qu’on a voulu susciter des sensations, et qu’on a exagéré l’importance du document, traduit et reconstitué mais incomplet puisqu’il en manque la fin, il n’a pas considéré que la publication de l’Evangile de Judas à l’approche de Pâques comme une attaque contre l’Eglise. Il s’agit à ses yeux davantage d’une « coïncidence non intentionnelle ».

Un document datant du 3e ou du début du 4e siècle

L’Evangile de Judas est un manuscrit sur papyrus découvert dans une grotte du désert de Haute Egypte dans les années 70. Il comporte 25 feuillets en assez mauvais état. Le texte a été authentifié par la détection au carbone 14. Il date du 3e ou du début du 4e siècle. Le texte copte est une traduction d’un texte grec perdu composé entre 130 et 180 après J.-C., mais connu par Saint Irénée, premier évêque de Lyon.

Il en parle vers l’an 180 dans « Contre les hérésies », le décrivant comme l’oeuvre principale d’une secte appelée « Les Caïnites » (les héritiers de Caïn). Il s’agit donc d’un évangile apocryphe qui n’est pas reconnu par l’Eglise qui le considère comme hérétique.

Judas, l’apôtre le plus proche de Jésus

Ce texte donne une présentation de la relation entre Jésus et Judas très différente de celle qui se trouve dans les textes du Nouveau Testament. Il montre Judas non pas comme un traître, mais comme l’apôtre le plus proche de Jésus, le seul qui ait vraiment compris son message. Le Christ lui aurait demandé de le trahir afin de se débarrasser de son enveloppe charnelle.

Le mouvement gnostique est apparu aux alentours de 70 après J.-C. et s’est développé jusqu’au 4e siècle. Il comprend de nombreuses sectes. Après 313, date où le culte chrétien a été autorisé dans l’empire romain, l’Eglise a écarté les textes gnostiques du canon officiel des textes bibliques et les a qualifiés d’apocryphes. Beaucoup de manuscrits de ces textes ont peu à peu disparu.

Le copte dialectal est l’antique langue des chrétiens d’Egypte. Le document a été restauré et traduit par Rodolphe Kasser, ancien professeur de coptologie à l’Université de Genève. Il sera bientôt publié en français et en italien. (apic/imedia/ar/be)

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