APIC-INTERVIEW

Moscou : Fondation de l’ »Union démocrate chrétienne de Russie » (230190)

La parole au célèbre dissident chrétien Alexandre Ogorodnikov

Moscou/Vienne, 23janvier(APIC/Franz Gansrigler) Il est plutôt sceptique

face à la perestroïka, le célèbre dissident russe Alexandre Ogorodnikov. Ce

laïc orthodoxe a certes payé cher son combat pour la liberté religieuse en

Union soviétique. A 39 ans il connaît déjà bien la vie des camps : il a été

emprisonné huit ans durant à cause de sa foi. Libéré en février 1987, il ne

désarme pas et continue à défendre une conception traditionnelle de la foi.

En août dernier, il a fondé un parti démocrate chrétien en URSS et si les

autorités lui ont refusé tout enregistrement, il affirme compter sur un réseau déjà solide de plus de 2’000 sympathisants. Il publie un « Messager de

la démocratie chrétienne » et espère présenter cette année des candidats aux

élections pour les soviets locaux.

Profitant de la récente ouverture à l’Est, Alexandre Ogorodnikov vient

d’effectuer deux tournées en Occident. Il témoigne, alerte les chrétiens

sur la situation des camps et demande l’appui de toutes les organisations

possibles afin que que soit votée la loi sur la liberté religieuse tant attendue. Dans une interview accordée à Vienne à l’agence APIC, Ogorodnikov

s’exprime sur la situation actuelle des Eglises en Union Soviétique.

APIC : Quand et pourquoi avez-vous fondé l’ »Union démocrate chrétienne de

Russie » et combien de membres compte votre parti ?

Alexandre Ogorodnikov : L’ »Union démocrate chrétienne de Russie » a été fondée en août 1989. En tant que chrétiens, nous voulons répondre aux questions qui se posent dans l’Etat Soviétique et nous opposer à l’idéologie

marxiste totalitaire. L’ »Union démocrate chrétienne de Russie » est un parti

tout à fait nouveau dans notre histoire. Nous voulons soutenir le processus

démocratique dans notre pays et faire progresser les valeurs chrétiennes

dans la société. Il sera alors possible de considérer l’Union Soviétique

comme un pays civilisé, chrétien.

Notre parti compte actuellement 2’200 membres. Ils appartiennent en majorité à l’intelligentsia. Il y a peu de temps, nous avons organisé à Moscou un Congrès qui a réuni tous les groupements chrétiens; nous avons fondé

à cette occasion un Conseil consultatif.

« Dieu occupe la première place, la liberté vient après »

APIC : Quelle est la ligne de votre parti et quel est votre statut juridique ?

A.O. : Nous sommes organisés différemment des partis frères de l’Ouest,

parce que nous insistons davantage sur le caractère chrétien du parti. Pour

nous, c’est Dieu qui occupe la première place; la liberté vient seulement

après.

Officiellement, le parti n’est pas enregistré. Tout ce que nous publions

– le « Bulletin de la communauté chrétienne » et le « Messager de la démocratie chrétienne » – est illégal. Le KGB a fouillé notre rédaction de Moscou

et détruit un ordinateur, un telefax et une camera vidéo. Entre-temps nous

avons pu récupérer ce matériel. Le KGB travaille maintenant comme la Mafia.

Les autorités nous causent des ennuis et utilisent toutes sortes de moyens

bureaucratiques contre nous. Lorsque nous voulons louer une salle, la réponse nous parvient avec retard ou l’autorisation nous est en général refusée.

APIC : Recevez-vous le soutien de l’Eglise orthodoxe russe ?

A.O. : Jusqu’ici, la hiérarchie orthodoxe a passé sous silence notre activité. Depuis quelque temps, elle nous accuse d’être à l’origine de troubles

entre les orthodoxes et les uniates d’Ukraine. Le Métropolite Alexis de Leningrad nous a accusés de cela sur le premier programme de la télévision.

Naturellement, nous nous sommes engagés pour que soit reconnue officiellement l’existence de l’Eglise uniate. Mais maintenant la situation en Ukraine est très délicate. Nous attendons une décision du pape qui, par son autorité, pourrait résoudre le conflit. Les tensions sont entretenues par les

autorités, qui craignent l’Eglise en tant que force politique potentielle.

Les autorités enregistrent certes aujourd’hui les communautés uniates,

mais elles refusent de rendre bâtiments, églises et autres biens à l’Eglise

uniate, bien qu’en Ukraine de nombreuses églises soient encore vides. Je

crois que les fidèles – orthodoxes et uniates – devraient parvenir à un accord fixant quand chaque communauté peut organiser ses célébrations dans

ces églises, qui pourraient ainsi être utilisées de façon commune. En outre, l’autorisation de bâtir de nouvelles églises devrait être délivrée

s’il n’est plus possible de rendre ce qui appartenait auparavant aux uniates. Mais la loi ne le permet pas jusqu’à maintenant.

APIC : Vous dites que votre parti veut faire avancer le processus de

changement. Soutenez-vous Mikhaïl Gorbatchev ?

A.O. : Nous sommes une opposition publique et nous nous présentons ainsi.

Nous voulons également nous présenter aux élections, comme « opposition

chrétienne ». C’est pourquoi nous avons un programme radical : nous demandons la séparation du Parti communiste et de l’Etat de même qu’une transformation de la loi soviétique en accord avec les normes internationales.

Jusqu’ici nous avons préparé un projet de loi sur la liberté de conscience.

Nous nous engageons pour l’ouverture des églises encore fermées et la libération des prisonniers de conscience encore détenus.

APIC : Voulez-vous être présents au Congrès des députés du peuple ?

A.O. : Nous nous efforçons d’être présents au Parlement. Néanmoins jusqu’à

aujourd’hui nous ne sommes pas autorisés à nous faire enregistrer officiellement. Nous avons pu présenter des candidats pour les élections dans deux

circonscriptions de Moscou. Des particuliers nous soutiennent, nous et notre programme. Des organisations officielles ont peur de s’allier avec

nous, parce que nous sommes un opposition déclarée et que nous nous engageons publiquement contre le communisme et pour les valeurs chrétiennes. Un

membre de notre organisation est certes député au Parlement d’Union Soviétique. Mais si nous avions un représentant du parti au Parlement, nous nous

servirions de lui pour que notre pays puisse être évangélisé aussi du haut

de la tribune parlementaire. Cela n’a cependant pas été possible jusqu’à

maintenant. Nous devons encore travailler la plupart du temps en secret,

parce que les autorités ne permettent pas que nous agissions ouvertement

notre activité officielle.

APIC : Combattez-vous pour un multipartisme en Union Soviétique ?

A.O. : Oui. Dans le nom de notre parti, « Union démocrate chrétienne de Russie », nous avons intentionnellement laissé tomber l’indication « Union Soviétique » pour inviter d’autres hommes à fonder des partis semblables dans

leurs Républiques. Nous discutons en ce moment à Moscou avec d’autres groupes et d’autres forces politiques afin de mettre sur pied une opposition

démocratique. De tels groupements existent déjà dans les pays baltes.

APIC : Croyez-vous au succès de la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev?

A.O. : Personne ne croit à la perestroïka, car Gorbatchev désire introduire

des améliorations à l’intérieur du système communiste. Gorbatchev est catégoriquement opposé à toute forme de pluralisme. Jusqu’à aujourd’hui, il n’a

admis un pluralisme que dans le cadre de la pensée communiste, un pluralisme qui ne dépendrait que d’une seule personne. Et il tente par tous les

moyens de renforcer la dictature des communistes. Son plan : éviter une vague de grèves et, avec l’aide de l’Ouest, injecter du sang neuf dans le cadavre du communisme. C’est pourquoi il s’est toujours opposé à toute forme

de multipartisme au sein du gouvernement.

Notre demande d’enregistrement a été refusée sous prétexte qu’en Union

soviétique, il n’existe aucune loi qui permette de faire enregistrer un

parti politique. Vu sous cet angle, le parti communiste est aussi illégal

chez nous.

APIC : Souffrez-vous de l’attitude de la hiérarchie de votre Eglise, qui

est dans une large mesure le porte-voix de l’Etat ?

A.O. : Notre hiérarchie obéit à l’Etat russe. Elle ne représente pas la

masse des croyants, mais uniquement elle-même. Nous espérons néanmoins que

l’Eglise acquerra sa liberté : elle pourra ainsi se distancer de cette

hiérarchie-là. Chez nous, étant donné les circonstances politiques, il existe plusieurs Eglises : une Eglise des patriarches, fermée, et une Eglise

des croyants. Les patriarches tentent de freiner les initiatives des croyants. Maintenant, il serait temps et aussi possible que les patriarches

s’engagent pour plus de liberté, mais ils ne le font pas !

APIC :Qu’en est-il de l’oecuménisme en Union Soviétique ?

A.O. : Les relations oecuméniques entre les différentes confessions sont

bonnes, notre journal le prouve, qui permet à des auteurs de ces confessions de publier des contributions sur les diverses Eglises du pays. Et je

dois ajouter que ces relations sont bien meilleures que celles que nous entretenons avec notre propre hiérarchie.

APIC : Il y a quelques années, les prêtres orthodoxes Vladimir Dudko et

Gleb Yakounine, persécutés pour des raisons de conscience, étaient les plus

connus à l’Ouest. Autour de vous, la situation semble s’être calmée.

A.O. : Vladimir Dudko et Gleb Yakounine travaillent actuellement tous deux

comme prêtres. Dudko fait des conférences pour la jeunesse et édite un petit journal. Yakounine veut dès à présent fonder une organisation « Eglise

et perestroïka ». (apic/fga/cor)

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