Un demi-siècle au service des cabossés de la vie

Fribourg: Ce week-end, la Communauté d’Emmaüs fête ses 50 ans

Jacques Berset, agence Apic

Fribourg, 28 septembre 2006 (Apic) Il y a 50 ans naissait à Berne le Mouvement Emmaüs Suisse. Tout juste deux ans après l’appel à l’ »insurrection de la bonté » lancé durant l’hiver 54 par l’Abbé Pierre sur les ondes de Radio Luxembourg. Ce week-end (*), la Communauté d’Emmaüs fête à Fribourg son 50e anniversaire en compagnie des pionniers suisses du mouvement et des personnalités du monde ecclésiastique et politique fribourgeois, dont le conseiller d’Etat Pascal Corminboeuf.

L’étincelle du 1er février 1954 – l’Abbé Pierre lançait alors son appel pour venir au secours des familles sans abris mourant de froid dans les rues des banlieues – fut à l’origine de la création de nombreux groupes et communautés dans le monde entier. Ainsi prirent naissance les fameux « chiffonniers d’Emmaüs », qui se caractérisent par l’accueil, le travail, le service, mais aussi par la lutte, comme aujourd’hui, contre l’esclavage contemporain, pour une « finance éthique » ou pour le droit pour chacun d’avoir accès à l’eau.

En 1956, après une conférence du déjà fameux prêtre français au Kursaal de Berne, de petits groupes d’idéalistes – dont le Jurassien Marcel Farine, président d’Emmaüs Suisse durant 32 ans, qui sera présent à Fribourg avec d’autres fondateurs – lancent le mouvement en Suisse. C’est ainsi que Genève vit naître, en 1957, une communauté de chiffonniers d’Emmaüs à l’image des communautés fondées par l’Abbé Pierre en France.

En 1975, à la suite de la création deux ans plus tôt d’une communauté de chiffonniers à Etagnières, près de Lausanne, la décision fût prise de fonder avec celle de Genève une « Association romande des Communautés Emmaüs » (ARCE), dont le siège est à Carouge-Genève, à laquelle vinrent se joindre, dès 1978, quatre autres communautés.

Cinq groupes et six Communautés dans toute la Suisse occupent aujourd’hui des employés, mais surtout un grand nombre de volontaires qui « retrouvent ainsi leur dignité par le travail ». La Fédération Emmaüs Suisse regroupe aujourd’hui près de 570 personnes, à savoir des compagnons, des membres amis et des collaborateurs.

A Fribourg, la Communauté, fondée en 1985, compte aujourd’hui 17 compagnons, 5 collaborateurs, tandis que 4 autres personnes sont membres du comité. Et elle n’est pas peu fière de faire vivre ce petit monde « de notre labeur, sans subvention », souligne Daniel Mauron, responsable de la Communauté de Fribourg. « Les compagnons viennent du monde entier; 7 sont Suisses, les autres étant des Européens, voire des Latino-américains ». La Communauté se trouve depuis une vingtaine d’années à la Route de la Pisciculture, dans les anciens bâtiments de SATEG, que les premiers compagnons – ils étaient 7 au départ – ont en partie retapés eux-mêmes.

Les compagnons récoltent avec leurs trois camions les objets qui encombrent les greniers et qui remplissent la véritable caverne d’Ali Baba qu’est le magasin de la Pisciculture. Mais Emmaüs ne peut plus tout récupérer sans distinction comme dans le passé, sans frais pour celui qui fait débarrasser sa villa ou son appartement. L’organisation demande désormais une petite taxe: 20 francs pour un fauteuil ou 30 francs pour un canapé. Il faut tout même amener les objets qu’on ne peut plus revendre à la déchetterie pour incinération.

« Cela nous paraît encore symbolique par rapport au travail à faire », relève Daniel Mauron, qui précise encore que la Commune de Fribourg fait un geste appréciable, en acceptant que ce que la Communauté dépose à la déchetterie ne soit pas facturé.

C’est cette action de ramassage et de recyclage qui fournit du travail aux compagnons et fait vivre financièrement la communauté. A Fribourg, le chiffre d’affaires est d’environ 820’000 francs, dont une partie est normalement reversée à l’ARCE. C’est cette dernière qui est propriétaire des immeubles des communautés et qui en assume les charges financières et l’entretien. Elle prend également en charge les salaires des 35 employés des communautés suisses, qui encadrent une centaine de compagnons.

Outre cette solidarité au niveau suisse, les Communautés, qui font partie d’Emmaüs International, donnent leurs surplus aux communautés plus pauvres en Europe, en Afrique et dans d’autres continents. Le but des Communautés Emmaüs, c’est justement d’accueillir des personnes démunies, sans travail, sans logement, de les remettre debout, de les retaper, de leur donner une dignité et un goût de vivre. Plus encore, de les engager, dans un acte de solidarité – eux, les pauvres et les exclus -, à venir en aide à plus pauvres qu’eux. C’est là l’intuition d’Emmaüs, comme le dit l’Abbé Pierre: « Toi qui es à terre, redresse-toi parce que tu es nécessaire, des plus pauvres ont besoin de toi! »

Pas question donc de commisération et de misérabilisme, les communautés d’Emmaüs sont de véritables lieux de libération où l’homme peut renaître. Les conditions d’admission sont simples: « On accueille sans distinction de race ou de religion, précise Daniel Mauron; on ne demande que le nom, le prénom, la religion (pour savoir qui prévenir, par ex. en cas de décès). Pour le reste, on demande au nouveau compagnon d’apporter sa contribution, selon ses possibilités, au travail de la communauté. Nous n’avons pas de subventions, nous devons vivre de notre travail, alors il n’y a pas de place pour les parasites ». JB

(*) Samedi 30 septembre et dimanche 1er octobre 2006 de 9h00 à 18h00, Brocante anniversaire et soupe de l’amitié à la Communauté d’Emmaüs, Route de la Pisciculture 6 E, à Fribourg. La partie officielle, en présence du président d’Emmaüs International Renzo Fior, des fondateurs suisses et de nombreuses personnalités politiques et religieuses.

Encadré

Chiffre d’affaires en baisse à Fribourg

En 2005, Emmaüs Fribourg a reçu de l’aide d’autres communautés de Suisse romande, car son chiffre d’affaires était en baisse de près de 10%. Daniel Mauron évoque plusieurs hypothèses: la conjoncture en général, le fait que dans les commerces, on trouve des meubles et des habits meilleur marché. Dans le cas de la Communauté de Sion, on a par contre assisté à la tendance contraire, le chiffre d’affaires étant en augmentation.

Les problèmes de TVA – un impôt indirect frappant la consommation qui s’applique à la quasi-totalité des activités commerciales, industrielles et de prestation de service – ont entre-temps été résolus: Emmaüs Fribourg, assigné par l’Office des poursuites, a obtenu un acte de défauts de biens. Cette association à but non lucratif et d’utilité publique devait payer quelque 293’000 francs de TVA pour la période 1995 à 2000. « Autant dire que c’était impossible à payer, c’était plus du tiers de notre chiffre d’affaires annuel. », relève Daniel Mauron.

L’Office des poursuites voulait se saisir des camions, Emmaüs en possédant trois. Après opposition, l’Office des poursuites a accepté que les camions faisaient partie de l’outil de travail de l’association. Berne n’acceptait pas d’exclure cette organisation caritative de la TVA, estimant qu’il s’agissait d’un commerce. Le problème s’est résolu à la satisfaction d’Emmaüs en novembre 2002. Aujourd’hui, les organisations caritatives sont exemptées de TVA, précise Daniel Mauron. JB

Encadré

La règle d’or, c’est l’entraide

Dans les Communautés Emmaüs, les compagnons sont accueillis sans distinction de race ni de religion. Leur travail est notamment le ramassage d’objets et de matériel: meubles en bon état, livres, habits, vaisselle, bibelots, machines à coudre et à écrire, vélos, motos, skis, pendules, vases, TV, ordinateurs, radios, outils, etc. Les compagnons assurent parfois le débarras d’appartements ou de locaux entiers.

Tout ce matériel est trié: métaux, chiffons, papier, verre, bois, etc. Une grande partie est destinée au recyclage. Une autre partie est détruite parce qu’inutilisable. Ce qui est revendable est mis à disposition dans les magasins des Communautés, qui sont ouverts à tous. Il permet aux Communautés de subsister tout en procurant à la clientèle une marchandise à bon marché.

Le produit de la vente permet ainsi de subvenir aux frais de nourriture, transport, assurances, salaires du personnel, amortissement et intérêts des dettes, entretien des bâtiments, etc. La Communauté assume toutes les dépenses nécessitées par l’entretien des Compagnons, y compris les soins médicaux. Elle leur octroie l’argent de poche affecté à leurs dépenses personnelles. Chacun d’eux a droit à un pécule.

Les bénéfices réalisés servent à améliorer les conditions d’habitation, de travail ou à créer des nouvelles Communautés. La Communauté d’Etagnières a été créée avec l’aide de celle de Carouge-Genève, celle de Sion par les Communautés de Genève et d’Etagnières et les trois ensemble ont permis de construire les Communautés de Rivera, au Tessin, de Fribourg et de La Chaux-de-Fonds.

Les Communautés de Suisse romande et du Tessin sont gérées par un comité local et peuvent accueillir de 8 à 25 compagnons. ARCE fait partie d’Emmaüs International, qui compte 327 organisations membres dans 39 pays: en Europe (260 membres, 16 pays), dans les Amériques (31 membres, 9 pays), en Asie (22 membres, 6 pays), en Afrique (14 membres, 8 pays). JB

Encadré

Moine, prêtre diocésain, député, militant contre la misère et l’exclusion

L’Abbé Pierre, de son vrai nom Henri Grouès, est né en 1912 à Lyon dans une famille aisée. C’est à l’âge de 18 ans, renonçant à tout héritage, qu’il décide de devenir moine chez les capucins. Il passe six ans dans un petit couvent cloîtré près de Valence, avant d’en sortir pour des raisons de santé. Ordonné prêtre en 1938, il appartient au clergé du diocèse de Grenoble. Pendant la guerre, il vit la mobilisation comme sous-officier dans l’armée française. Il entre dans la clandestinité, participe à la Résistance contre l’occupation nazie dès 1942, dans les maquis de la Chartreuse et du Vercors, avant de se faire arrêter en 1944, puis de s’évader en Algérie.

Député de Meurthe-et-Moselle en 1945, c’est en 1949 qu’il fonde à Neuilly-Plaisance, à l’Est de Paris, la première Communauté Emmaüs, pour accueillir ceux qu’il appelle les « cabossés de la vie », ceux qui, après avoir connu toute une cascade d’échecs, se retrouvent au bas de l’échelle sociale, sans plus aucun filet de survie. Pendant le dur hiver 1954, des milliers de familles dans la rue souffrent de la faim, des adultes et des enfants meurent de froid. C’est alors que l’Abbé Pierre, indigné par un tel drame, alerte l’opinion publique: c’est « l’insurrection de la bonté » en France, qui aura également des répercussions en Suisse, où Genève voit naître sa propre communauté de chiffonniers en 1957. Aujourd’hui, en Suisse, on compte six communautés: Genève-Carouge, Etagnières, Sion, Rivera (au Tessin), Fribourg et La Chaux-de-Fonds. JB

Des illustrations de cet article peuvent être commandées à l’agence CIRIC, Bd de Pérolles 36 – 1705 Fribourg. Tél. 026 426 48 38 Fax. 026 426 48 36 Courriel: info@ciric.ch ou directement par Internet sur le site www.ciric.ch (apic/be)

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