Fribourg: Le canton de Fribourg devient «pionnier» du microcrédit en Suisse

Premier geste significatif: une participation de 50’000 francs

Jacques Berset, agence Apic

Fribourg, 20 décembre 2006 (Apic) En attribuant cet automne 50’000 francs à la Fondation ASECE (Association Solidarité Et Création d’Entreprises), le canton de Fribourg est le premier – et pour le moment le seul – canton suisse qui participe de cette façon à une opération d’économie solidaire.

Fribourg serait-il devenu un « pionnier » du microcrédit ? Un adepte de Muhammad Yunus, l’économiste du Bangladesh qui a fondé la Grameen Bank, la « banque des pauvres » et qui vient de recevoir le Prix Nobel de la paix ? L’Apic a rencontré le Fribourgeois Narcisse Niclass, actif depuis les années 70 dans la création d’entreprises et fondateur de l’IRO mentor club (pour Innovation, Réflexion, Objectif). Cet habitant de Nierlet-les-Bois, patron de l’agence de publicité et de marketing « Royal Agency », est à l’origine d’une initiative – le Point Créateurs – fondé en juillet 2005. C’est l’antenne fribourgeoise de l’ASECE, basée à Lausanne.

Apic: Vous dites que les idées des pauvres ne sont pas de pauvres idées. Quelle est la philosophie de votre projet ?

N. Niclass: Quand quelqu’un veut démarrer une activité économique dans notre société, le mot ’dollar’ arrive tout de suite, et c’est souvent une difficulté insurmontable, surtout pour des petits projets. L’idée de Muhammad Yunus et de tous ceux qui veulent entreprendre ces activités de microcrédit n’est pas de faire du travail social, mais de donner de l’indépendance aux gens. Il s’agit de fournir un petit capital – remboursable! – qui n’est pas pour la consommation, mais qui est destiné à la production.

Nous voulons aider des gens au démarrage, et nos prêts vont de 5’000 à 30’000 francs. Cette année sur le canton de Fribourg, par exemple, nous avons aidé une dame qui voulait lancer un atelier de couture et on lui a prêté 8’000 francs. Essayez d’emprunter cette somme dans une banque, il n’y a que le petit crédit, avec des taux de 15%! Quant à nous, le taux est de 3,5%.

Apic: Les banques ne veulent pas intervenir pour de si petites sommes ?

N. Niclass: Les banques n’ont souvent pas envie d’intervenir, car ce serait à perte, pour des projets de quelques milliers de francs. Il n’y a pas d’écoute pour de telles demandes, car cela leur coûterait trop cher, rien qu’en frais d’établissement et de traitement de dossier. On m’a dit qu’en dessous de 100’000 francs, un client coûte pour une banque plus qu’il ne rapporte. On est dans un créneau que l’on pourrait qualifier d’ »alternatif », car c’est en dehors de la grande économie.

Apic: Quel est le point de départ de votre initiative ?

N. Niclass: C’est en 1999 que j’ai rencontré M. Georges Aegler, le fondateur de l’Association ASECE, qui avait une usine à Lucens, dans la Broye. L’âge venant, il a eu l’idée et l’envie d’aider des personnes qui avaient l’esprit d’entrepreneurs, en s’inspirant du livre de Muhammad Yunus, « Vers un monde sans pauvreté ». J’avais donc organisé une première conférence sur le microcrédit et j’avais justement donné pour thème « les idées des pauvres ne sont pas de pauvres idées ». Cela lui a beaucoup plus et on a finalement fondé une antenne de son Association en juillet de l’année passée. La Fondation ASECE (Cf. www.asece.ch) est désormais présidée par la Vaudoise Yvette Jaggi, ancienne parlementaire fédérale et ancienne présidente de Pro Helvetia. Certes, remplacer M. Georges Aegler, qui vient de fêter son 95e anniversaire, ne sera pas une tâche facile! Il y a encore un mois, il était actif à plein temps dans son bureau.

Apic: Quel est le capital actuel de la Fondation ?

N. Niclass: Autour de 800’000 francs. Des soutiens sont venus de personnes privées, de la Loterie romande, de la Ville de Lausanne, de la Fondation Sandoz, etc. Cette aide fribourgeoise de 50’000 francs a été décidée par le Conseil d’Etat, notamment grâce à l’appui de M. Michel Pittet, pour permettre le financement de l’aide à la création d’entreprises dans le canton. La Promotion économique est chargée du suivi de ce projet.

Le fait que le canton de Fribourg soit monté le premier sur le bateau devrait avoir un effet favorable sur d’autres cantons sollicités: le Tessin, et peut-être le canton de Berne. J’espère que le canton de Vaud suivra aussi. Il faut reconnaître le geste du canton de Fribourg, car il n’est pas évident d’augmenter le capital d’une Fondation qui se trouve dans un autre canton.

Depuis un an et demi, nous avons déjà eu une cinquantaine de contacts, dont vingt se sont éclipsés après le premier entretien, car leur profil ne correspondait pas à celui d’un créateur d’entreprise ou d’un indépendant. Une dizaine ont déjà abouti, tandis qu’une dizaine d’autres sont encore en traitement. JB

Encadré

Qui peut bénéficier d’un microcrédit ?

Selon la Fondation ASECE, toute personne ayant un projet de création ou de développement de très petite entreprise (TPE) en Suisse et n’ayant pas accès au crédit bancaire peut bénéficier de ce type de microcrédit. Il s’agit de soutenir des personnes dont le projet est de s’installer comme indépendants, ou d’assurer le développement de leur entreprise.

Les demandeurs ayant des poursuites en cours devant l’Office des poursuites ne sont pas d’emblée exclus d’entrée en matière pour autant que les requérants d’un microcrédit soient en mesure de motiver cet état de fait et présenter un plan de remboursement. Le montant maximum du microcrédit est de CHF 30’000.– La Fondation aide tout type de projet correspondant à des critères éthiques, notamment dans le secteur des services, du commerce et de l’artisanat. Les critères de décision sont la viabilité du projet, les compétences et la détermination du porteur de projet.

Le microcrédit ne peut en aucun cas servir à racheter des crédits en cours. La Fondation n’octroie pas de prêts à la consommation destinés à couvrir des dépenses d’ordre personnel ou à d’autres fins. JB

Encadré

Le fondateur Georges Aegler s’inspire de Muhammad Yunus

Georges Aegler a fondé en 1998 l’Association Solidarité Et Création d’Entreprises « ASECE » à Lausanne. Cet industriel à la retraite – il a 95 ans! – a été comblé par sa vie active. Son esprit philanthrope le porte à soutenir les personnes à l’esprit entreprenant. Pour faire face à l’ampleur des demandes de prêts, Georges Aegler a proposé au comité de l’association de créer une Fondation afin de récolter et garantir les capitaux nécessaires. Elle a été reconnue d’utilité publique et à buts non lucratifs.

En 1974, suite à de terribles inondations, le Bangladesh est dévasté par la famine. C’est cette même année que le professeur d’économie Yunus Muhammad rentra des Etats-Unis avec un diplôme de la prestigieuse Université de Harvard (diplôme difficile à valoriser dans un pays où 40 % de la population souffre de malnutrition.).

Devant la catastrophe, il chercha une solution pour soulager son pays et sa première idée fut de tenter de sortir des tresseuses de paniers des mains des usuriers qui leur fournissaient la matière première. Il va ainsi prêter à chacune d’entre elles 3 dollars; ce fut un succès vu que, très rapidement, ces petites sommes lui furent remboursées. C’est ainsi que naquit en 1979 la « Grameen Bank » qui, 27 ans plus tard, aura prêté près de 5 milliards de dollars, opération rentable car 98 % des prêts ont été intégralement remboursés. Sa méthode fit des émules dans certains pays comme la France par exemple, où Maria Nowak, une diplômée de la London School of Economics, créa en 1990 l’Association pour le Droit à l’Initiative Economique « ADIE ». Cf. www.adie.org (apic/be)

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