L’île du non-droit et de tous les abus

Guantanamo: Le camp de la honte a 5 ans: Ai dénonce la cruauté américaine

Londres, 4 janvier 2007 (Apic) Le 11 janvier 2007 marquera le cinquième anniversaire des premiers transferts vers le centre de détention des États-Unis à Guantánamo (Cuba). Ce camp est devenu le symbole d’un système de non-droit dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ». Selon Amnesty International qui publie un dossier sur le sujet, début 2007, ce sont encore 430 prisonniers de plus de 35 pays qui y sont détenus.

Jusqu’à aujourd’hui, relève AI, aucun détenu n’a été reconnu coupable lors d’un procès mené par les Etats-Unis. Et Guantánamo ne représente qu’une partie d’un système qui viole les droits humains de façon systématique, au nom de la « guerre contre le terrorisme ».

Tortures et autres mauvais traitements

« Quand ils vomissaient du sang, les soldats se moquaient d’eux, les insultaient et répétaient des phrases comme: « Tu vois ce que ta religion t’a apporté ». Au cours de 2005, plus de 200 détenus ont participé à une grève de la faim à Guantánamo pour protester contre leurs conditions de détention et le fait qu’ils étaient incarcérés pour un temps indéfini sans avoir été jugés. Les grévistes de la faim auraient été placés à l’isolement, attachés à des chaises de contention, alimentés de force par des méthodes douloureuses et privés d’ » articles de confort », comme des couvertures.

Selon leurs avocats, certains grévistes de la faim ont été mis à l’isolement dans des chambres froides où ils étaient attachés sur des chaises de contention. Les gardiens harcelaient, semble-t- il, ces détenus en tapant sur les portes de leurs cellules, pour interrompre leurs prières ou les empêcher de dormir.

Depuis le début de la « guerre contre le terrorisme », les autorités américaines ne cessent de répéter que les États-Unis sont à la tête de la lutte contre la torture, que tous les personnes qu’ils détiennent sont traitées avec humanité et que, dans les rares cas où les règles en la matière ne sont pas respectées, les responsables doivent rendre pleinement compte de leurs actes. Pour AI, la réalité est tout autre.

Nombre de ceux qui sont détenus à Guantánamo ont été maltraités, que ce soit en Afghanistan ou ailleurs avant leur transfert à Guantánamo, ou durant leur transfert, ou lors des interrogatoires sur la base de Guantánamo elle-même, ou en raison de la nature coercitive de la détention à l’isolement et illimitée qu’ils y ont subie. Leur famille ont elles aussi souffert de la cruauté de cette incarcération virtuellement au secret sur une île inaccessible.

L’impunité de fait

En janvier 2002, Alberto Gonzales, conseiller de la Maison Blanche, faisait savoir au président Bush que le refus d’appliquer les Conventions de Genève aux détenus arrêtés au cours du con?it afghan présentait, entre autres avantages, celui de rendre plus dif?cile l’ouverture de poursuites contre le personnel américain au titre de la Loi américaine relative aux crimes de guerre. Deux semaines plus tard, le 7 février 2002, le président signait un mémorandum con?rmant que les talibans ou membres d’Al Qaida mis en détention ne pouvaient être considérés comme des prisonniers de guerre et que l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève ne leur était pas applicable.

Quelque cinq ans plus tard, aucune poursuite n’a encore été engagée en vertu de la législation américaine, confirme AI. Pourtant, en juillet 2006, six avocats militaires qui étaient entendus par des sénateurs ont admis que certaines des techniques d’interrogatoire autorisées dans la « guerre contre le terrorisme » ne respectaient pas l’article 3. En effet, en 2004 déjà, une enquête de l’armée avait con?rmé qu’à partir de 2002, ou même plus tôt, les Américains chargés de conduire les interrogatoires en Afghanistan ordonnaient aux détenus de se déshabiller, les mettaient à l’isolement pendant de longues périodes, les soumettaient à des positions provoquant un stress, exploitait leur peur des chiens et avaient recours à la privation de sommeil et de lumière. Techniques qui ont aussi été utilisées à Guantánamo.

Terribles témoignages

Les témoignages de violations des droits de l’homme, de tortures et autres sévices sont nombreux. Un Américain chargé d’interroger un détenu à Guantanamo s’est accroupi sur le Coran, un autre a scotché la tête d’un prisonnier qui priait, un autre encore s’est vanté d’avoir baptisé un détenu, selon des documents publiés cette semaine par le FBI.

En 2004, le FBI (police fédérale) a envoyé un questionnaire à environ 500 agents envoyés sur la base américaine depuis 2001, pour savoir s’ils avaient été témoins de mauvais traitements infligés aux détenus: 26 ont répondu de manière positive et ces documents, classés confidentiels, ont été rendus publics mardi à la suite d’une procédure judiciaire.

Un agent raconte l’interrogatoire d’un détenu en octobre 2003: privé de sommeil, transféré de cellule en cellule, menotté, le prisonnier a été interrogé pendant des heures. Le deuxième jour, un capitaine des Marines s’est accroupi sur le Coran devant le détenu. Le troisième jour, il a été confronté à un berger allemand agressif.

Un autre agent explique qu’en octobre 2002, un agent civil de l’armée est venu le chercher en riant pour lui montrer son oeuvre: il avait recouvert de scotch la tête d’un détenu barbu, parce que ce dernier n’arrêtait pas de psalmodier le Coran.

Un troisième agent raconte avoir discuté pendant l’été 2004 avec un interrogateur qui s’était vanté d’avoir infligé à un détenu du rock satanique à plein volume pendant des heures, avant de se déguiser en prêtre pour le baptiser.

Plusieurs agents ont également rapporté avoir vu des détenus menottés au sol pendant parfois plus de 24 heures, parfois avec de la musique rap à plein volume, souvent à des températures extrêmes. Un agent a ainsi vu un détenu presque inconscient dans une pièce à près de 40°C, avec à côté de lui une pile de cheveux, qu’il s’était apparemment arrachés de désespoir pendant la nuit.

Guantanamo en chiffres

Selon AI, environ 775 personnes ont été détenues à Guantánamo depuis le 11 janvier 2002. Environ 430 détenus de plus de 35 nationalités étaient toujours incarcérés à Guantánamo à la ?n de 2006. Des personnes ont été mises en détention dans au moins 10 pays avant d’être transférées à Guantánamo, sans aucune procédure judiciaire. Parmi ces pays, il y a l’Afghanistan, la Bosnie-Herzégovine, l’Égypte, les Émirats arabes unis, la Gambie, l’Indonésie, la Mauritanie, le Pakistan, la Thaïlande et la Zambie.

Toujours selon AI, au moins 17 des détenus de Guantánamo avaient moins de 18 ans quand ils ont été mis en détention ; quatre d’entre eux y étaient toujours détenus ?n 2006. Environ 345 prisonniers ont été transférés de Guantánamo vers des pays comme l’Afghanistan, l’Albanie, l’Allemagne, l’Arabie saoudite, l’Australie, le Bahreïn, la Belgique, le Danemark, l’Égypte, l’Espagne, la France, l’Iran, l’Irak, la Jordanie, le Koweït, les Maldives, le Maroc, l’Ouganda, le Pakistan, le Royaume-Uni, la Russie, la Suède, le Soudan, le Tadjikistan et le Yémen. Aucun détenu de Guantánamo n’a été condamné pour un quelconque délit pénal par les autorités américaines. 10 détenus ont été mis en accusation et devaient être jugés par des commissions militaires, qui ont été déclarées illégales par la Cour suprême des États-Unis.

Chiffres encore: 8’558 détenus ont obtenu la révision de leur statut par les CSRT (tribunaux de révision du statut de combattant) entre août 2004 et mars 2005 ; ces tribunaux, composés de trois of?ciers, ont jugé que 520 d’entre eux étaient des « combattants ennemis ». Les détenus ne pouvaient ni contacter des avocats ni avoir connaissance des informations secrètes ?gurant dans le dossier remis aux CSRT, qui pouvaient prendre en compte des éléments de preuve obtenus par la contrainte. Des témoignages font état de plus de 40 tentatives de suicide à Guantánamo ; au cours du seul mois de juin 2006, il y aurait eu 3 morts par suicide à Guantánamo.

L’arrogante CIA

Selon une étude portant sur environ 500 détenus, seuls 5% d’entre eux avaient été capturés par les forces étasuniennes; 86% ont été arrêtés par les forces armées pakistanaises ou les forces de l’Alliance du Nord basées en Afghanistan et remis aux autorités américaines, souvent en échange de quelques centaines de dollars.

Pour AI, Guantánamo ne représente cependant que la pointe émergée de l’iceberg. « Ce centre est la partie visible, mais bien peu transparente, d’un iceberg aux sombres

facettes: détentions illimitées et au secret, « restitutions », recours à la torture et aux traitements cruels, inhumains ou dégradants. En d’autres termes, Guantánamo est le règne du secret. « Le secret entourant les détentions est un danger pour les prisonniers, une épreuve pour les familles et une atteinte à l’état de droit. Pendant longtemps, le Pentagone a tenu secrètes les identités des personnes incarcérées à Guantánamo. Il n’a fourni une liste de noms que plus de quatre ans après le début des détentions. Le Pentagone n’a toujours

donné que des nombres approximatifs concernant les détenus.

On sait en outre, dit AI, que la CIA possède son propre centre dans ce camp. Cette agence y aurait gardé des détenus « de grande valeur », et participé aux interrogatoires des personnes placées sous contrôle militaire. (apic/com/pr)

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