A l’écoute de l’expérience stimulante du diocèse de Poitiers

Matran: Prêtres et agents pastoraux laïcs du canton de Fribourg en session pastorale

Jacques Berset, agence Apic

Matran, 7 février 2007 (Apic) La démarche pastorale originale et stimulante du diocèse de Poitiers, dans l’Ouest de la France, a été au centre des réflexions de la traditionnelle session pastorale de Matran. Quelque 130 prêtres et agents pastoraux laïcs de la partie francophone du canton de Fribourg se sont en effet retrouvés du mardi 6 au jeudi 8 février à la Maison St-Joseph à Matran pour réfléchir sur la meilleure manière de « faire vivre nos petites communautés et mouvements ».

Cette session était la première présidée par l’abbé Marc Donzé, nouveau vicaire épiscopal de la partie francophone du canton de Fribourg, qui a dû s’absenter en raison de l’enterrement de sa mère à La Chaux-de-Fonds. Rassemblant prêtres et diacres, assistantes et assistants pastoraux, animatrices et animateurs de jeunes, catéchistes, responsables de mouvements actifs dans le canton, la session de cette année s’inscrivait dans la dynamique suscitée par la mise sur pied des nouvelles unités pastorales (UP) dans le diocèse.

Un peuple de Dieu actif, pas seulement des spécialistes fournissant des prestations

Destinée à « lire les signes des temps, et à inventer les chemins nouveaux qui permettront à nos communautés et mouvements de dire Jésus-Christ de manière vivante et communicative, dans l’aujourd’hui de notre monde », comme l’a précisé Marc Donzé, la session est également un temps d’échanges et de partages entre toutes les forces pastorales actives dans le canton. L’occasion aussi de se forger une conscience commune lors de ce moment de convivialité et de formation théologique et pratique, « même si l’Eglise ne marche pas comme un corps d’armée, en suivant des mots d’ordres ».

Et Marc Donzé de souhaiter que les débats permettent de discerner les théologies et les ecclésiologies – souvent implicites « et un peu diverses » – qui sous-tendent le travail pastoral et la pratique des personnes actives en Eglise dans le canton. Le vicaire épiscopal espère que les connaissances et expériences vécues sur le terrain soient transmises. En effet, au-delà des orientations pastorales, il aime bien « les choses qui atterrissent dans la pratique ». En se demandant comment garder des communautés paroissiales vivantes – il y en a 139 dans le canton – il souhaite un peuple de Dieu actif, « pas seulement des spécialistes qui fournissent des prestations ».

Poitiers, un diocèse « unique en son genre »

Pour stimuler les débats, les organisateurs avaient fait appel au Père Jean-Paul Russeil, vicaire épiscopal du diocèse de Poitiers, théologien et historien (1). Poitiers est un diocèse historique – saint Hilaire, l’un des Pères de l’Eglise et l’auteur du De Trinitate, en fut, au IVe siècle, le premier évêque connu – et son baptistère Saint-Jean est peut-être le plus ancien monument chrétien en Gaule. « On a 300 églises classées monuments historiques, le diocèse est nourri de cette tradition! », précise le Père Russeil.

Aujourd’hui, le diocèse, qui recouvre les départements de la Vienne et des Deux-Sèvres, rassemble près de 800’000 habitants sur plus de 13’000 km2. Il s’y vit depuis 30 ans une expérience pastorale originale. « Unique en son genre », peut-on lire dans la revue « La Documentation catholique » du 21 janvier dernier.

Non à la logique de concentration sur des centres

C’est sous l’épiscopat de Mgr Joseph Rozier que s’est tenu le premier synode diocésain (1988-1993), dont les travaux ont été publiés sous le titre « Routes d’Evangile ». Son successeur, Mgr Albert Rouet, a lancé un nouveau synode diocésain, de 2001 à 2003, sur le thème « Au service de la Mission, des acteurs et des ministres de l’Evangile ». Le Père Russeil, qui en a assumé le secrétariat général, salue le fait que Mgr Rouet a su faire fructifier les fruits du premier synode, d’avoir su en entendre les intuitions théologiques et pastorales.

Contrairement à ce qui passe souvent ailleurs, Mgr Rouet n’a pas voulu simplement adapter les hommes à des structures ecclésiastiques ou regrouper seulement les paroisses pour pallier le manque de prêtres: il a voulu d’abord répondre aux besoins des communautés locales.

Pas question pour lui de reprendre la logique des administrations civiles, des services et des commerces qui, pour rationaliser, centralisent leurs activités. « L’Eglise a la charge de tous », estime cet évêque pour qui il ne faut pas délaisser certains pans de son vaste territoire. Pour lui, la solution n’est pas non plus d’engager systématiquement des prêtres étrangers – Africains ou Polonais, par ex, ou de faire appel à des communautés nouvelles – pour combler les vides causés par la rareté et l’âge de plus en plus avancé des prêtres du diocèse. Poitiers a suivi une toute autre voie qui a été présentée en 2005 dans un livre intitulé « Un nouveau visage d’Eglise » (2).

Il s’agit pour lui de choisir l’option des « communautés locales ». Aujourd’hui 300 communautés de ce type sont déjà installées, mais il reste quelques « poches de résistance » au changement. « C’est un souci de consultation, de concertation, de participation, on ne peut pas élaborer ce processus dans un bureau isolé de l’évêché », insiste le Père Russeil. De plus, l’espace humain du diocèse se différencie constamment, l’espace rural se recompose, et le mode de vie périurbain, de plus en plus prégnant, échappe à une logique unifiée, comme en ville..

Faire face à la recomposition du paysage social

On n’est plus au XIXème siècle, quand le curé était l’une des rares personnes qui savaient lire et écrire, qui avaient la possibilité et le temps de se déplacer. « Les conditions de vie ont changé, les gens ont étudié, on ne peut plus fonctionner sur les schémas du passé. On doit faire face à un univers en constate mobilité, à tous égards ». Pas facile de trouver un dénominateur commun pour les 604 paroisses du diocèse!

Mais pour le vicaire épiscopal de Poitiers, pas question de fermer des paroisses dans les endroits peu peuplés et de délaisser les marges, ce qui appauvrirait le tissu ecclésial et assécherait les énergies locales. « En confortant ceux qui sont déjà forts et en laissant les autres, on ne gagne pas un chrétien de plus, c’est même le contraire! Aucune terre ne doit être abandonnée de Dieu », lance-t-il. Ce serait contraire à la logique évangélique.

Redonner des responsabilités aux chrétiens à la base

Pour lui, la centralisation – qui désertifie les marges – n’est pas la solution: « Le prêtre serait au centre, avec des paroisses périphériques. Est-ce que tout doit être basé sur le nombre de prêtres ? La centralisation induit une concentration de l’exercice du pouvoir, mais il ne suffit pas de dire, de manière incantatoire, que le pouvoir est un service. Nous voulons redonner du pouvoir et des responsabilités aux chrétiens à la base! »

Mgr Rouet a absolument voulu éviter de cléricaliser les laïcs impliqués dans cette refondation: il s’agit pour lui de passer de l’état de laïcs qui tournent autour du prêtre – « pour aider monsieur le curé » en étant des adjoints dévoués et effacés – au statut de communautés réelles, responsables, avec un prêtre à leur service. Plutôt que de poser la question à partir des prêtres, autour desquels tourne toute la problématique, et donc des laïcs qui sont là pour les aider, il s’agit de la poser à partir des communautés locales responsables, constituées d’une équipe de base animatrice, avec un prêtre qui vient les aider.

Idéaliser le passé ne prépare pas l’avenir

La logique du quadrillage paroissial, qui date du Moyen Age, n’est plus de mise pour le Père Russeil, « car l’enjeu actuel n’est pas le nombre de paroisses, ni leur taille. Idéaliser le passé ne prépare pas l’avenir. Il faut distinguer l’essentiel de l’accessoire, et l’essentiel est de dire la foi, et croire, c’est faire confiance, avoir confiance que Dieu nous appelle! Et la confiance nous a poussés à consentir à notre réalité, à une Eglise pauvre. Notre Eglise est pauvre du point de vue financier – il n’y a pas d’impôts ecclésiastiques comme à Fribourg – et nous sommes appelés à un changement de mentalité ».

Face à cette réalité matérielle, estime le vicaire épiscopal de Poitiers, « nous sommes dans une logique de ’déménagement’, pas d’’aménagement’, nous sommes en mission, car on ne prépare pas l’avenir en cherchant à résoudre un problème, mais en renouvelant la problématique: il faut que la foi soit annoncée, la prière assurée et la charité vécue. Nous partons des personnes, donc des mentalités à transformer, pas des structures. Nous faisons le rêve d’une Eglise à portée de voix, d’un Evangile qui soit accessible à toute personne. La foi est de l’ordre d’une route à prendre, à la manière des disciples d’Emmaüs ». JB

Encadré

Suggestions « inattendues et choquantes » pour un avenir de la pastorale en Suisse

Jeudi, les participants ont été confrontés à un texte de Mgr Martin Werlen, Abbé d’Einsiedeln, qui fait part de quelques « suggestions inattendues et choquantes pour un avenir de la pastorale en Suisse ». Un autre point de vue, évidemment, que celui du diocèse de Poitiers!

Mgr Werlen déplore en effet qu’en adoptant une pastorale d’urgence – des décisions pragmatiques qui, en fin de compte, ne font qu’aggraver la situation – « la crédibilité de l’Eglise souffre plus que nous voulons l’avouer ». L’Abbé d’Einsiedeln estime que « la dimension sacramentelle de l’Eglise se volatilise de plus en plus », « des agents pastoraux frustrés paralysent la mission de l’Eglise et donnent souvent un contre témoignage », « les assistants pastoraux et assistantes pastorales glissent nolens volens dans le rôle de prêtres de remplacement », « les prêtres et les assistants pastoraux savent de moins en moins qui ils sont vraiment ».

Avouant qu’il s’agit, dans ces propos, d’une provocation destinée à faire avancer la réflexion, Mgr Werlen suggère tout de même un scénario pour la réalité suisse: le nombre de paroisses – et donc de curés – sera réduit de manière draconienne. On se contentera de paroisses-mères historiquement importantes ou particulièrement vivantes, avec des « succursales » sous la responsabilité d’un(e) assistant(e) pastoral(e) en collaboration avec le curé domicilié au siège de la paroisse-mère. L’eucharistie dominicale sera célébrée uniquement dans les églises-mères, tandis que dans les églises-filiales, on célébrera quotidiennement un service religieux, et une célébration eucharistique hebdomadaire un autre jour que le dimanche. Les suggestions de l’Abbé d’Einsiedeln ont été discutées mercredi par les participants, tandis que jeudi est prévu un long échange entre les agents pastoraux fribourgeois, leur évêque, Mgr Bernard Genoud, et leur vicaire épiscopal, l’Abbé Marc Donzé. JB

(1) Le Père Jean-Paul Russeil est notamment l’auteur de l’ouvrage « Une culture de l’appel pour la cause de l’Evangile » (Cerf, 2001)

(2) « Un nouveau visage d’Eglise. L’expérience des communautés locales à Poitiers », par Albert Rouet, Eric Boone, Gisèle Bulteau, Jean-Paul Russeil, André Talbot (Bayard, 2005) (apic/be)

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