Un « personnage » et un auteur prolixe
Paris, 6 août 2007 (Apic) Le cardinal Jean-Marie Lustiger, ancien archevêque de Paris, est décédé dimanche à Paris à l’âge de 80 ans, dans une clinique de soins palliatifs, où il avait été admis le 23 avril. Auteur de nombreuses initiatives ecclésiales, auteur à succès, n’ayant pas sa langue dans sa poche, le personnage ne laissait personne indifférent.
Le cardinal Lustiger est décédé à la Maison Médicale Jeanne-Garnier à Paris dimanche 5 août. En octobre 2006, Mgr Lustiger avait lui-même annoncé aux prêtres et diacres de Paris qu’il était atteint d’ »une maladie grave » dont le traitement avait déjà commencé. Il est mort « en la Vigile de la fête de la Transfiguration du Christ, après plusieurs mois d’un long traitement qu’il a supporté avec constance », a déclaré Mgr André Vingt-Trois, successeur de Mgr Lustiger à la tête du diocèse de Paris, le lundi 6 août tôt le matin, lors d’une conférence de presse à Paris.
Les dernières semaines ont été plus particulièrement douloureuses et pénibles pour lui a-t-il précisé. « Pour moi, c’est à la fois un père, un frère et un ami que je perds, après avoir reçu la lourde charge de lui succéder », a-t-il déclaré, ému. Pour beaucoup d’évêques de France, de prêtres et de diacres de Paris, poursuit Mgr Vingt-Trois, c’est celui qui les a consacrés dans leur ministère qui s’en va. Pendant presque vingt-cinq années d’épiscopat à Paris, il a marqué profondément la vie du diocèse. Sans cesse, il a eu le souci de relancer la mission des chrétiens dans un monde très changeant. Par ses nombreuses initiatives, il a profondément amélioré les moyens apostoliques du diocèse. Et de citer l’École cathédrale, Radio Notre-Dame, le Séminaire de Paris, KTO, la Faculté Notre-Dame, Paris-Toussaint 2004, le Collège des Bernardins.
Fils d’immigrés polonais.
« Fils d’immigrés polonais, Mgr Lustiger avait à coeur de défendre les droits de l’Homme dans une société démocratique à laquelle il était profondément attaché. Toujours prêt à intervenir dans les débats publics aux moments difficiles ou importants comme à accueillir discrètement des personnages officiels, il tenait une place particulière dans notre société et dans les débats intellectuels de notre temps, notamment par sa participation à l’Académie Française ».
Mgr Vingt-Trois rappelle que le cardinal Lustiger a été un conseiller fidèle et discret des papes successifs, tout entier dévoué au service de l’évangélisation dans le monde. Ses nombreux voyages et ses relations internationales donnaient un lustre particulier au siège de Paris. Sa réflexion comme son histoire personnelle l’ont conduit à jouer un rôle important dans l’évolution des relations entre juifs et chrétiens.
Lundi 6 août à 21h30, en la cathédrale Notre-Dame de Paris sera célébrée une messe présidée par Mgr Vingt-Trois à laquelle « tous ceux qui le veulent sont invités à se joindre ». Une chapelle ardente sera organisée jeudi 9 août de 9h. à 22h., dans la cathédrale Notre-Dame de Paris pour saluer le cardinal une dernière fois. Les obsèques seront célébrées le vendredi 10 août à 10h. à la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Une mère juive, victime des nazis
Aron Lustiger naît à Paris le 17 septembre 1926. Ses parents sont venus de Pologne et tiennent un magasin de bonneterie, d’abord à Montmartre, puis à Montparnasse. Le jeune Aron découvre seul la Bible alors qu’il est élève au lycée Montaigne, et l’antisémitisme nazi à l’occasion de séjours linguistiques en Allemagne. Ces brefs rappels biographiques font l’objet d’un communiqué du Diocèse de Paris du 6 août.
Lorsqu’ éclate la Seconde guerre mondiale, ses parents l’envoient avec sa soeur à Orléans. C’est là que le jeune Aron demande le baptême et prend le prénom de Jean-Marie. Il termine sa scolarité secondaire au petit séminaire, puis rejoint son père dans le Sud de la France et entre dans la clandestinité, tandis que sa mère dénoncée comme juive, envoyée dans le camp Drancy puis déportée à Auschwitz, d’où elle ne reviendra pas.
À la Libération, Jean-Marie Lustiger s’inscrit à la Sorbonne avant d’entrer au Séminaire des Carmes. Il est ordonné prêtre en 1954 et nommé au Centre Richelieu, aumônerie des étudiants de Paris. Il en devient le directeur en 1959 et, au coeur l’effervescence intellectuelle de l’époque, accueille les intuitions du Mouvement liturgique et des théologiens qui préparent les réformes de Vatican II.
Après un été passé aux États-Unis en 1969, il est pour dix ans curé de Sainte-Jeanne-de-Chantal dans le XVIe Sud, où il aura pour vicaire André Vingt-Trois, fraîchement ordonné. S’inspirant de l’enseignement des jésuites de l’Institut d’Études Théologiques de Bruxelles, fondé sur une spiritualité biblique et ignacienne, et ouvert à la pensée moderne et contemporaine, il conçoit et met en place une politique novatrice dans les domaines liturgique et pastoral. En 1979, Jean-Paul II le nomme évêque d’Orléans, où il ouvre aussitôt un séminaire. Mais dès 1981, il revient à Paris comme archevêque. Il est créé cardinal en 1983 et élu à l’Académie française en 1995. Dix ans plus tard, le pape accepte sa démission et nomme pour lui succéder Mgr André Vingt-Trois, qui avait été son auxiliaire et était depuis 1999 archevêque de Tours.
Langage percutant
Mgr Lustiger s’est immédiatement imposé par la lucidité de ses analyses et son langage percutant. Son humanisme, sa vision de foi et la qualité de ses réflexions sont tout entiers dans Le choix de Dieu (1987), devenu un best-seller. Il a été invité à donner des conférences et envoyé comme représentant du pape dans le monde entier. Son intérêt pour les arts ainsi que ses connaissances et sa curiosité intellectuelles lui ont permis d’aborder sans complexe les grandes questions de la société au tournant du XXIe siècle et de dialoguer avec les personnalités les plus diverses.
Conscient du bouleversement des conditions de vie à la fin du XXe siècle et attentif aux mutations culturelles, le cardinal Lustiger a fait porter son effort d’abord sur la formation des prêtres et des laïcs (fondation du Séminaire de Paris et de l’École Cathédrale). Il a ensuite relancé la dynamique pastorale (avec la Fraternité Missionnaire des Prêtres pour la Ville, la « Marche de l’Évangile », plusieurs sessions synodales, les JMJ de 1997, « Paris-Toussaint 2004 » dans le cadre des Congrès d’Évangélisation unissant les forces des diocèses de Bruxelles, Vienne, Budapest, Lisbonne et Paris.). Il a également ouvert de nouvelles paroisses et construit de nouvelles églises, se mobilisant aussi au service des pauvres et de ceux qui souffrent. Il s’est aussi efforcé de remédier concrètement au fossé entre les générations en lançant des actions d’éducation et de formation, auxquelles travaillera le Collège de Bernardins.
Persuadé de l’importance des médias, il crée Radio Notre-Dame, l’hebdomadaire Paris Notre-Dame, le site internet du diocèse et la chaîne de télévision KTO. Ses entretiens sur Radio Notre-Dame ont débouché sur de nombreux livres. La messe qu’il célébrait chaque dimanche soir à Notre-Dame attirait des foules, séduites par la qualité aussi bien de sa prédication que des liturgies.
George Weigel, biographe de Jean Paul II, raconte comment celui-ci avait choisi, sans le connaître personnellement, Jean-Marie Lustiger au siège de Paris. Les affinités spirituelles et intellectuelles entre les deux hommes étaient patentes : foi trempée dans les épreuves, conscience aiguë des fondements philosophiques de la culture, de l’importance de la jeunesse, des racines juives du christianisme. Le cardinal Lustiger n’a jamais caché tout ce qu’il devait aux intuitions, aux inspirations et aux initiatives du pape, et à quel point il se sentait en communion avec lui.
Les réflexions du cardinal Lustiger se sont portées sur l’Europe, qu’il a toujours vue dans son unité spirituelle et culturelle et Israël. Cette vision a été développée dans La promesse (2002). Elle lui a permis aussi , avec l’aide du cardinal Decourtray, de résoudre la crise ouverte dans les années 1990 par l’installation d’un carmel dans le camp d’Auschwitz.
Ses préoccupations portaient aussi sur « la dignité de la personne, menacée désormais en Occident par la science et les techniques, alors que tout homme est appelé à reconnaître la vérité transcendante qui fonde sa liberté », résume le communiqué du Diocèse de Paris en hommage au cardinal Lustiger.
L’épilogue
Le cardinal Lustiger obtient le 11 février 2005 du pape que soit acceptée sa démission, conformément au droit de l’Église, le jour de ses 75 ans (en 2001). Dans une de ses dernières décisions, Jean Paul II nomme Mgr André Vingt-Trois pour lui succéder. L’archevêque émérite s’installe dans un pavillon de la maison de retraite des prêtres de Paris et donne des retraites et conférences. Il continuer de participer au dialogue judéo-chrétien (notamment pour le 40ème anniversaire de Nostra Aetate) et à soutenir activement le projet des Bernardins. Un cancer est diagnostiqué en août 2006 et nécessite un traitement lourd. Le cardinal Lustiger célèbre ses 80 ans par une messe à Notre-Dame, et ne ralentit ses activités que lorsque la douleur l’y oblige. Il entre en mai 2007 à la Maison médicale Jeanne-Garnier pour des soins palliatifs. (VB)
Ouvrages publiés par le cardinal Lustiger
Auteur particulièrement prolixe, Mgr Lustiger laisse une vingtaine d’ouvrages:
Sermons d’un curé de Paris, Fayard, Paris, 1978.
Pain de vie et Peuple de Dieu, Criterion, Limoges, 1981.
Osez croire et Osez vivre, Le Centurion, Paris, 1984.
Premiers pas dans la prière, Éditions Nouvelle Cité, Paris, 1985.
Prenez place au coeur de l’Église, Office chrétien des Handicapés, Paris, 1986.
Le choix de Dieu (entretiens avec Jean-Louis Missika et Dominique Wolton), De Fallois, Paris, 1987.
Six sermons aux élus de la Nation, Éditions du Cerf, Paris, 1987.
La messe, Bayard Éditions, Paris, 1988.
Dieu merci, les droits de l’homme, Criterion, Limoges, 1990.
Le sacrement de l’onction des malades, Éditions du Cerf, Paris, 1990.
Nous avons rendez-vous avec l’Europe, Mame, Paris, 1991.
Petites paroles de nuit de Noël, Éditions de Fallois, Paris, 1992.
Devenez dignes de la condition humaine, Flammarion, Paris, 1995.
Le baptême de votre enfant, Fleurus, Paris, 1997.
Soyeux heureux, NiL Éditions, Paris, 1997
Pour l’Europe, un nouvel art de vivre, Presses Universitaires de France, Paris, 1999.
Les prêtres que Dieu donne, Desclée de Brouwer, Paris, 2000.
Comme Dieu vous aime, Parole et Silence, Paris, 2001.
La promesse, Parole et Silence, Paris, 2002.
Comment Dieu ouvre la porte de la foi, Desclée de Brouwer, Paris, 2004.
(apic/com/vb)
webmaster@kath.ch
Portail catholique suisse