Besançon: Quand la musique s’invite pour aider au développement du nouveau-né
Par Pierre Rottet, de l’Apic
Besançon, 28 septembre 2007 (Apic) Une voix, douce et mélodieuse, s’élève du bloc hospitalier réservé aux bébés grands prématurés. On entendrait une mouche voler. A croire que les petits êtres qui ont mis trop tôt le nez à la fenêtre de ce monde se sont donné le mot pour contenir leurs pleurs, leurs douleurs. Depuis un an, l’Hôpital Saint-Jacques de Besançon assure avec succès une fabuleuse expérience: mettre la musique au service du développement du petit prématuré et apaiser quelque peu l’angoisse des parents. Reportage.
Difficile d’imaginer pour les parents que leur enfant né prématurément va passer les premières semaines de sa naissance dans une couveuse. Difficile, parce qu’à l’angoisse se mêle l’incompréhension, pour des mamans qui imaginaient un beau gros bébé, alors que celui qui vient de voir le jour tient à peine dans le creux d’une main. A l’Hôpital de Besançon, les soignants ont eu l’idée d’adoucir le séjour du bébé avec de la musique. Une musicienne vient chanter des berceuses: un excellent remède. Qui porte des fruits que les éternels cartésiens de la science refusent pourtant de saisir.
Sur un panneau fixé à l’entrée du service, des photos d’anciens petits prématurés affichent leur sérénité: « J’ai deux ans, je suis passé de 680 grammes à 6 kilos en 14 mois »; je suis arrivé à 26 semaines, et aujourd’hui je fais plein de bêtises. » Des dizaines de photos placardées, pour autant de sourires d’enfants qui ont aujourd’hui oublié leur premier grand combat pour la vie. Le ton est donné.
Accompagnée de sa guitare, Anne Millet, musicienne professionnelle, fredonne sur le pas de la porte de la chambre. Elle entame l’une des multiples berceuses qui figurent à son répertoire. A l’intérieur de la pièce, une maman allaite sa petite fille, née le 31 juillet, après six mois et demi de grossesse. Rien de plus normal? « Pour la première fois aujourd’hui, ma fille a accepté le sein ». Depuis quelques temps, sa petite Elia, toujours dans son cocon à l’intérieur de sa couveuse, a quitté les soins intensifs pour rejoindre un peu plus loin le service de néonatalogie. Rassurant. « Avec la découverte de la fragilité de mon enfant, il m’a fallu surmonter et vaincre ma peur de la mort », confie la maman, elle aussi enveloppée du son de la voix rassurante d’Anne.
La méthode d’Anne
Cette même voix, le petit Julien vient de la découvrir au premier jour de sa naissance, après 30 semaines seulement passées dans le sein de sa mère. « Il a l’air d’apprécier. En tout cas, il n’a exprimé aucune réticence », sourit la chanteuse, amusée de notre étonnement. « Chacun de ces enfants a sa façon de s’exprimer. A commencer par des bébés qui vont faire comprendre que la musique leur plaît, en se réveillant ou en gigotant à chaque fois qu’elle s’arrête. Mais lorsque je reprends ma chanson, ils ne bougent plus. On les voit détendus. D’autres encore vont ouvrir leurs yeux et fixer intensément leur maman le temps de la chanson ». La méthode d’Anne, 43 ans, mère de trois enfants et musicienne de l’Association « Coccinote »* dont elle est co-fondatrice. « Je me présente toujours au bébé.et n’oublie jamais de lui dire que si ma musique ne lui convient pas, il peut me le faire savoir. Ce qu’il ne manque pas de faire parfois, parce que le bébé souffre plus que d’habitude ou qu’il est fatigué. Les bébés sont réceptifs à ma musique et savent très bien s’exprimer pour me faire comprendre que ma chanson ne leur convient pas ».
Physiquement aussi, le phénomène est perceptible. Une respiration quelque peu irrégulière, assure Anne, va se stabiliser, comme si le bébé trouvait l’apaisement recherché. « Un jour, se souvient-elle, une maman m’accompagnait dans ma comptine. Lorsque nous nous arrêtions de chanter, l’appareil auquel le petit était relié pour enregistrer sa respiration se mettait à sonner, montrant que le bébé était sous le seuil d’oxygénation ». Une manière pour lui d’obliger la chanteuse à puiser dans son répertoire: près de 200 titres, entre berceuses, également composées par elle pour certaines et des chansons douces pour adultes du répertoire de la chanson française, que les mamans peuvent facilement fredonner. Sans doute ont-elles aussi bercé leur enfance.
L’éveil de l’enfant. et de la maman
De Dole à Vesoul, dans des services pédiatriques, en passant par l’Hôpital Saint-Jacques où elle retrouve deux heures par semaine ses petits prématurés, Anne, qui se défend d’être « musicothérapeute », s’est finalement aperçue que sa musique s’adressait tout autant aux bébés qu’aux mamans. « Je me rends compte que le lien principal qui se crée n’est pas uniquement entre la musique et le bébé, mais également entre la maman et son enfant ». La particularité de ce service des grands prématurés, ajoute pour sa part Myriam Augé, cadre de santé de l’équipe de service des prématurés des soins intensifs, c’est que de telles naissances sont dramatiques. Un bébé qui arrive trop tôt est un bébé en danger, pas à terme. Des parents se sentent démunis, dépossédés et complètement bouleversés. Surtout que leur progéniture a en plus plein de petits tuyaux, qu’il est piqué de partout. Souvent, le lien entre le bébé et la maman, les parents, est compliqué à faire. Il s’agit de s’apprivoiser l’un et l’autre, de se découvrir. Ce moment là est très perturbé, abîmé »,
D’où l’importance de ce lien avec la chanson? La musique fait du bien pour faciliter cette relation au départ cabossée, assure Anne. « Le bébé s’en trouve assurément motivé. Chose que la maman sent. en découvrant un bébé « compétent ». Un bébé à qui on peut chanter, qu’on peut bercer. Et pas seulement un petit être à qui on fait des piqûres. Alors j’incite les mamans à chanter avec moi. Parce que chantonner, tout le monde peut le faire ».
Y compris le personnel. « Ma musique fait effectivement beaucoup de bien au personnel », glisse Anne. Qui a remarqué que les gens courent un peu moins vite lorsqu’elle est présente. Qu’ils sont moins stressés et moins bruyants dans un endroit au demeurant déjà très calme. « J’ai remarqué qu’infirmières et auxiliaires s’arrangent pour venir donner le biberon dans la pièce où je chante. Les infirmières s’installent, elles aussi, apaisées. Travailler ici est très dur. Or le personnel a aussi besoin qu’on prenne soin de lui ».
Le professeur Menget ou les observations d’un pionnier
Physiologiquement, les foetus commencent à percevoir les bruits de la mère à 23 ou 24 semaines de grossesse. Mais les battements du coeur et la voix sont encore lointains. A partir de la 29e/30e semaine, ce même foetus a une acuité auditive apte à reconnaître la voix ou le chant de la maman. Le professeur Alain Menget, 63 ans, chef du service Réanimation pédiatrique de l’Hôpital Saint-Jacques, a été très vite séduit par l’action portée par Anne Millet. Mélomane lui-même, il a très vite donné son accord à cette expérience. « On observe aujourd’hui de façon objective et presque scientifique que ces enfants là, bercés par un environnement sonore adapté, se calment, se détendent, améliorent leur sommeil ». Selon lui, des études ont du reste démontré que des enfants qui avaient deux heures de musique tous les trois jours, par rapport à d’autres, privés de musique mais au bénéfice des mêmes soins, bénéficiaient d’un développement plus harmonieux. Et pourquoi ne le fait-on pas systématiquement partout dans les autres hôpitaux? « Beaucoup considèrent l’expérience comme une sensiblerie. Les purs et durs avancent qu’il n’y a là rien de scientifiquement validé. Nous n’avons effectivement pas la preuve scientifique. Mon expérience m’incite cependant à affirmer que le bébé, au contact de la musique, se développe mieux et plus harmonieusement ». Un constat partagé par les infirmières, les plus proches des nourrissons durant leur séjour ici. « Bref, assure le professeur Menget, l’impression globale, et les parents le constatent également, est que l’enfant se calme, s’endort mieux et qu’il est au bénéfice d’une meilleure digestion ».
Une thèse de doctorat, « Le rôle des berceuses dans le développement psychique du nourrisson », corrobore ces affirmations. Elle a été défendue avec succès le 19 juin dernier à l’Université de Besançon. Son auteur, Karine Leydier, l’affirme: « La berceuse est utilisée dans la majorité des cas comme un moyen d’apaiser l’enfant, mais elle est également considérée comme un mode de communication ». Et d’ajouter: « En plus des résultats très positifs de l’utilisation de la musique lors des soins donnés aux prématurés, l’impact non maîtrisable et pourtant non négligeable des chansons de berceau permet de redonner au nourrisson un environnement sonore plus proche de celui dont il bénéficierait normalement ». Selon Karine Leydier, les recherches, s’agissant de la « musicothérapie », offrent des réponses séduisantes. D’abord au niveau de la santé: réduction de la douleur et des quantités d’antalgiques utilisées; psychologique ensuite: par la réduction du stress et de l’anxiété. En d’autres termes, écrit-elle dans la conclusion de sa thèse, « la berceuse en tant qu’acte de maternage universel participe à la construction psychique du nourrisson. Apaisante par sa structure musicale intrinsèque et ses effets physiologiques, elle joue un rôle de contenant physique et psychique fondamental à cet âge de la vie ». PR
Encadré
Prématurés: un débat inachevé
Un grand prématuré? En France, commente le professeur Menget, le débat n’est pas encore achevé. « On considère qu’en dessous de 24 semaines de grossesse, il n’est pas licite de réanimer les enfants. A 22 ou 23 semaines, la mortalité est trop importante et les séquelles neuro-sensiorielles trop grandes. A 24 semaines, cela se discute. Quoi qu’il en soit, aucun acharnement thérapeutique n’est admissible. Et lorsqu’on prend ces enfants en réanimation, c’est avec une information des parents: si dans les premiers jours de vie, il y a des dégâts cérébraux importants, on arrête la réanimation, avec leur accord. Au-delà de la 25e semaine, la prise en charge est totale. Et souvent on arrive à de bons résultats ». Selon le professeur, un prématuré de 25 à 26 semaines a de bonnes chances de se développer. Une étude réalisée sur 2’500 prématurés entre 23 et 32 semaines a permis de constater l’évolution de ces enfants à 5 ans, comparé avec un lot témoin d’enfants non prématurés. « On a ainsi calculé le quotient intellectuel et le développement psycho-moteur de ces bambins, relève le professeur Menget. Résultat: 80% de l’ensemble des grands prématurés allaient bien au niveau croissance, psycho-moteur, auditif, oculaire. 10% d’entre eux avaient un gros handicap. et les 10% restants connaissaient des dysfonctionnements mineurs au niveau oculaire, auditif, voire moteur, mais largement améliorables, réparables par une prise en charge. Quant au taux de mortalité, à la 23e semaines, il est de 95%, mais tombe à 15% pour les prématurés entre la 25e et la 26e semaine. Ce taux était de 79% il y a moins de 30 ans. Chiffres encore: en France, pour 830’000 naissances, on compte 10’000 grands prématurés, soit 1,5%. Bien moins qu’en Suisse: 9% avant la 37e semaine. Pour le reste, la Suisse emboîte le pas à la France: en dessus de 24 semaines, il n’est pas licite de réanimer un bébé, confirme à l’Hôpital de Fribourg le professeur David Stucki, président de la Société suisse de gynécologie. PR
Encadré
Prématurés en Suisse: des chiffres
La Suisse affiche pour sa part un taux de naissances prématurées particulièrement élevé, selon une étude de l’Office fédéral de la statistique (OFS) sur les nouveau-nés en 2004 dans les hôpitaux suisses. En 2004, 72’125 naissances ont été enregistrées, dont 9% avant la 37e semaine. La Suisse présente l’un des taux de prématurés parmi les plus élevés de ceux connus en Europe. Elle occupe la quatrième position avec 1,04% d’enfants nés avant la fin de la 32e semaine de grossesse, et même la deuxième position avec 9% de prématurés nés avant la 37e semaine de grossesse. Selon l’OFS, ce qui frappe à l’analyse des taux de prématurés nés avant la fin de la 32e semaine de grossesse, c’est que les pays germanophones arrivent en tête de classement, alors que la plupart des pays méditerranéens forment la queue du peloton. L’Organisation mondiale de la santé parle de très grande prématurité à partir de la 22e semaine de grossesse révolue et avant, de fausse couche tardive. PR
Encadré
(*) Une structure associative Franc-comtoise, pour les 1 à 99 ans
Coccinote a pour but de répondre, grâce à la musique, à des besoins d’utilité sociale et culturelle. Elle est née de la rencontre de musiciennes professionnelles. Depuis 2004, l’Association s’est engagée activement sur le terrain en diversifiant ses types d’actions. Ses lieux d’interventions vont des hôpitaux aux maisons de retraite, en passant par les espaces sociaux, les jardins d’enfants, les crèches, les relais assistantes maternelles, les écoles. Les actions menées dans les divers services des hôpitaux voient le jour grâce aux soutiens financiers de la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) et de l’ARH (Agence Hospitalière de l’Hospitalisation), ainsi que ceux des structures. Elles peuvent également bénéficier du soutien de mécènes. Si l’expérience du chant auprès des prématurés a débuté il y a un an seulement, les intervenants musiciens de « Coccinote » apportent depuis plusieurs années maintenant leur professionnalisme musical partout là où la musique contribue à émerveiller de 1 à 99 ans. PR
Note: Des photos de ce reportage sont disponibles à l’Agence Apic
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