Apic Reportage II
Rencontre avec le Père Felet au Secrétariat des écoles catholiques
Jacques Berset, Agence Apic
Jérusalem, 19 décembre 2007 (Apic) L’occupation israélienne des Territoires palestiniens – qui s’est beaucoup durcie depuis les accords d’Oslo signés en 1993 – entrave la vie quotidienne de la population palestinienne dans tous les domaines. A tel point que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a publié à la mi-décembre un document parlant de « déni de dignité dans les territoires palestiniens occupés ».
Dans l’ensemble des territoires palestiniens, aussi bien dans la Bande de Gaza qu’en Cisjordanie, les Palestiniens se battent tout simplement pour vivre: ils se heurtent en fait à toutes sortes d’obstacles dans leur vie quotidienne devenue un enfer permanent. « Sur le plan humain, les territoires palestiniens sont plongés dans une grave crise, car des millions de personnes se voient privées de leur dignité. Pas de temps en temps, mais chaque jour », écrit le CICR dans son rapport (Cf: www.icrc.org/fre/rapport-palestine)
« Les mesures imposées par Israël ont un coût énorme en termes humanitaires, et laissent à la population qui vit sous occupation juste de quoi survivre, mais pas assez pour vivre une vie normale et digne », souligne pour sa part Béatrice Mégevand Roggo, chef des opérations du CICR pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
Même son de cloche du côté du Secrétariat de solidarité pour les écoles et institutions catholiques, situé auprès de la représentation pontificale en Terre Sainte à Jérusalem. Son responsable, le Père Pietro Felet (*), supérieur de la communauté des Pères de Bétharram à Bethléem, nous parle des obstacles que rencontrent les écoles catholiques en Israël et dans les territoires palestiniens occupés.
Apic: La vie semble de plus en plus difficile pour les écoles chrétiennes de la région.
Père Pietro Felet: Les écoles chrétiennes au sein du diocèse du Patriarcat latin de Jérusalem et du diocèse grec-catholique melkite de Galilée – y compris celles de la Custodie franciscaine de Terre Sainte et de diverses congrégations religieuses – regroupent plus de 60’000 élèves, essentiellement des familles arabes. La situation est très différente selon les diverses zones géographiques: En Israël, nous n’avons pas de problèmes au niveau financier, car selon la loi, les gens qu’ils soient chrétiens, musulmans ou juifs, paient des impôts. Ces impôts doivent être redistribués pour financer les services. Ainsi, l’Etat d’Israël paie les salaires des instituteurs pour les écoles maternelles et les écoles secondaires, un peu moins par contre pour les écoles primaires. Ici, on a quelques difficultés.
En Palestine, par contre, les écoles chrétiennes ne reçoivent aucun subventionnement public. Les parents doivent payer une participation pour la scolarité, en fonction de leurs moyens. Durant l’intifada, la plupart des gens n’avaient aucun revenu. Aujourd’hui, pour couvrir les dépenses réelles, nous devons de toute façon recevoir des subventions de l’étranger pour aider une partie des familles qui ne peuvent payer la scolarité de leurs enfants. En Jordanie, où nous avons également des écoles catholiques, nous avons la même situation: il n’y a pas non plus de financement public.
Apic: Comment faites-vous pour gérer vos écoles, alors que les territoires palestiniens sont isolés de Jérusalem par un mur de 8 mètres de haut et qu’ils sont séparés les uns des autres par une multitude de barrages militaires ? Vous devez passer des frontières!
Père Pietro Felet: J’habite Bethléem, derrière le mur. Personnellement, je peux aller et venir, mais le problème touche avant tout les directeurs locaux de nos écoles, qui ne peuvent plus se déplacer. Dans les territoires palestiniens, nous devons toujours organiser la même réunion en trois endroits différents: pour les écoles qui se trouvent dans la partie occupée de Jérusalem (annexée par Israël, ndr), celles du nord de la Cisjordanie, à Ramallah, et celles de Bethléem. Il est très difficile de se rendre de Ramallah à Bethléem – à 16 kilomètres – car il faut passer par la route du Wadi Nar, la route du désert qui contourne la partie occupée de Jérusalem. Cela prend au minimum deux heures, sans compter les barrages militaires!
Pour passer par Jérusalem, nos directeurs ont besoin d’un permis, et pour l’obtenir, il faut des contacts et beaucoup de patience. Si vous arrivez à l’obtenir, il se peut que la date de la conférence soit déjà passée. Il me semble que les milieux juifs avaient combattu l’apartheid en Afrique du Sud, mais ils sont bien silencieux sur ce qui se passe ici!
Apic: Y a-t-il des tensions intercommunautaires entre élèves chrétiens et musulmans dans vos écoles ?
Père Pietro Felet: Dans les écoles catholiques, nous n’avons pas de problème de cohabitation entre chrétiens et musulmans. Nos élèves sont d’abord arabes, avec la même langue, la même culture. Certes, il peut toujours y avoir quelqu’un qui fait l’imbécile, mais cela n’est jamais très sérieux. Au contraire, les familles musulmanes cherchent à inscrire leurs enfants chez nous, parce qu’elles apprécient la qualité de nos institutions. Un certain nombre de nos écoles ont une majorité d’élèves musulmans: le Collège espagnol, les écoles des Soeurs du Rosaire, celles des filles de la Charité, des Salésiens, le Schmidt College, le Collège des Frères, les écoles des Soeurs d’Ivrea, de Nigrizia, les Missionnaires de la Charité, etc.
A Gaza, où il n’y a que 3’000 chrétiens, nous avons pourtant 3 écoles catholiques. Ce sont des écoles de très bon niveau et très appréciées par la population, surtout dans les sphères cultivées. Certains font jusqu’à 40 kilomètres pour fréquenter nos écoles: outre Gaza, les élèves viennent du camp de Deir el-Balah, de la ville de Khan Younès, d’un peu partout, des camps et des petites villes.
Ces écoles sont des lieux de paix et de compréhension mutuelle. Le mérite en revient au curé Manuel Moussalam, un homme fort qui a le charisme du dialogue: il sait parler aux musulmans, il sait les accueillir. Cela fait beaucoup. Il n’y a qu’à voir quand je vais à Gaza: nous sommes reçus comme des princes par le mufti à la mosquée. Quand il veut quelque chose, le Père Moussalam n’a qu’à téléphoner.
Apic: Ce n’est pas l’impression que l’on a depuis l’extérieur. On a écrit en Europe que l’église latine, l’école et le couvent des Soeurs du Rosaire avaient été saccagés par le Hamas! La source en était le site « Un écho d’Israël » qui déplorait le « silence » de la presse internationale.
P. Pietro Felet: Cela, c’est dû à une certaine presse! Je me suis fâché en juin dernier, quand on a annoncé à Rome que le Hamas avait détruit une école, que les islamistes avaient brûlé un couvent. C’était l’école des Soeurs du Rosaire qui a été touchée par des combats interpalestiniens. Tout le monde à Rome voulait que je rédige immédiatement un projet pour réparer les dommages. J’ai dit: vous êtes comme la presse, qui met tout au niveau politique ou qui décrit tout comme une confrontation religieuse entre musulmans et chrétiens !
Pour bien comprendre, il faut connaître l’endroit. A droite de l’école des soeurs du Rosaire, il y a le quartier général du Fatah, à gauche celui du Hamas. Quand les deux mouvements se sont affrontés, les soeurs étaient malheureusement au milieu, mais elles n’étaient pas visées. Les bâtiments ont été endommagés, et la presse a tout de suite écrit que c’était l’attaque d’une institution catholique par le Hamas, alors que le Fatah tirait aussi depuis l’autre côté.
L’école en tant que telle n’était pas visée, mais c’est sûr que l’étage qui était réservé à la communauté étant au-dessus a subi le plus de dommages. Les miliciens ont certes défoncé la porte pour monter sur la terrasse, afin de dominer « l’ennemi ». Mais ce n’était pas intentionnel et les deux autres écoles n’ont pas été touchées. D’autre part, Hamas a payé tous les dégâts, mais la presse ne l’a pas dit!
Apic: L’essentiel des élèves qui fréquentent les écoles catholiques de Gaza sont des musulmans.
P. Pietro Felet: Oui bien sûr, la population musulmane soutient ces écoles. Il n’y a aucun intérêt qu’elle les détruise. D’autant plus qu’il y a moins de 4% d’élèves chrétiens dans ces écoles de Gaza. Ces écoles ne vont pas mourir, elles ont toujours plus d’élèves. Nos écoles sont estimées parce qu’elles insistent sur les valeurs: la cohabitation, le partage, construire le même pays ensemble, construire la même histoire ensemble comme dans le passé. Car les chrétiens ne sont pas des étrangers dans le pays, ils ont toujours vécu ensemble, parlant la même langue, dans la même culture. Les chrétiens de Palestine ne forment pas un peuple à part.
Apic: Les écoles catholiques offrent des cours de catéchèse pour les chrétiens; qu’en est-il des élèves musulmans ?
P. Pietro Felet: Dans nos écoles, les élèves chrétiens reçoivent des cours de catéchèse, tandis que les musulmans ont droit aux cours sur le Coran. Il n’y a en principe pas de problème, cela se passe bien. En Jordanie comme en Palestine, les autorités permettent même que l’on donne l’enseignement religieux chrétien dans les écoles du gouvernement. Il suffit de présenter les professeurs. Une commission a préparé des textes d’enseignement catéchétique communs. Malheureusement, les chrétiens sont divisés entre eux: catholiques, orthodoxes, protestants.
Ce sont les chrétiens qui ne se mettent pas d’accord entre eux et qui font obstacle. C’est une question de mentalité, mais nous avons le même problème dans nos écoles catholiques de Chypre. entre chrétiens! Là-bas, pendant les cours de religion orthodoxe, les catholiques doivent sortir de la classe. Un professeur catholique ne peut donner la catéchèse qu’à des élèves catholiques, et vice-versa.
Apic: Il y a donc une ouverture du côté de l’Autorité palestinienne face à la catéchèse pour les élèves chrétiens de l’école publique.
P. Pietro Felet: Vous pouvez voir ici les manuels de catéchèse en arabe destinés à l’école publique dans les territoires palestiniens, édités par l’Autorité palestinienne.
Cet ouvrage « d’éducation religieuse chrétienne » est réalisé par une équipe composée de membres de diverses confessions chrétiennes. Si ce manuel n’est pas utilisé, c’est nous qui sommes fautifs! En effet, les écoles catholiques de Terre Sainte sont reconnues et respectées, aussi par les musulmans.
Apic: On a l’idée en Occident d’une islamisation rampante.
P. Pietro Felet: Nos écoles sont en fait en progression. En Jordanie, auparavant, nos écoles étaient fréquentées par les milieux aisés, et même la famille royale y mettait ses enfants. Aujourd’hui, nous devons faire face à la concurrence des écoles privées, dont certaines sont plus qualifiées que les nôtres, et nous avons perdu le privilège d’être des écoles pilotes en matière de formation. JB
Encadré
(*) Biographie du Père Pietro Felet
Né à Vittorio Veneto (Italie), en 1946, le Père Pietro Felet est depuis 1999 supérieur de la communauté de Bethléem des Pères de Bétharram. Il a été ordonné prêtre par le patriarche latin de Jérusalem Alberto Gori au couvent de la Dormition à Jérusalem en juin 1970. La même année, il est nommé vicaire à Beit Jala, et travaille au Séminaire latin. Après une période comme cérémoniaire patriarcal, il est nommé en 1973 vicaire à Hachimi, à Amman, en Jordanie. Après une licence en théologie morale à l’Alfonsianum (PUL) à Rome, il enseigne la théologie morale, le français et le latin à Beit Jala (1976-1980), avant de devenir professeur d’éthique médicale (1978-80). Après le doctorat en théologie morale (à la PUL en 1980-81), le Père Felet est envoyé au Koweït, puis pour la pastorale des pèlerinages à Rome (1985-86). A Milan de 1986-89, il y ouvre la paroisse de Sant’Ilario. Il est ensuite envoyé à Jérusalem comme attaché local de la Délégation Apostolique pour les affaires sociales. Il est chargé de la direction du Secrétariat de solidarité pour les écoles et institutions catholiques. JB
Encadré
L’émigration décime la population chrétienne de Terre Sainte
L’émigration décime la population chrétienne de Terre Sainte, passée de près de 18% avant la création de l’Etat d’Israël à 2% aujourd’hui. Cette émigration vers l’Europe et le nouveau monde remonte déjà au XIXe siècle, mais elle tend à s’accélérer depuis quelques décennies.
Les chrétiens en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés émigrent désormais en masse. Cette petite minorité représente le 30% de l’émigration vers des pays où les chrétiens palestiniens ne sont plus en butte aux discriminations et à l’occupation militaire. Concentrée, dans les territoires palestiniens, dans la zone de Bethléem, Beit Jala et Beit Sahour, et dans celle de Ramallah, la population chrétienne y devient minoritaire. Enfermée derrière la « barrière de sécurité » – Bethléem est entourée d’un mur de huit mètres de hauteur que l’on ne peut franchir que muni d’un sésame très difficile à obtenir! – la population palestinienne ne voit pas d’avenir. JB
Pour aider les chrétiens de Terre Sainte: Antenne de l’Aide à l’Eglise en détresse pour la Suisse romande et italienne Ch. Cardinal-Journet 3 CH-1752 Villars-sur-Glâne T 026 422 31 60 Secrétariat national Cysatstrasse 5 CH-6004 Lucerne T 041 410 46 70 Compte chèque postal n°: 60-17700-3 UBS, Genève, Cpte n° 0240-454927.01W
Des photos de ce reportage sont disponibles à l’agence Apic jacques.berset@kipa-apic.ch, tél. 026 426 48 01 (apic/be)
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