Suisse : Sortir de l’Eglise tout en restant catholique ?

Apic dossier

Pas d’hémorragie de contribuables dans les cantons

Andrea Krogmann / Bernard Bovigny, Apic

Fribourg, 12 mars 2008 (Apic) En novembre 2007, le Tribunal fédéral à Lausanne acceptait dans le cas d’une Lucernoise le principe d’une « sortie partielle » de l’Eglise. Ce jugement devait ouvrir une brèche en permettant aux catholiques de sortir de leur paroisse, et ainsi ne plus payer leurs impôts ecclésiaux, tout en ayant droit aux sacrements. Les instances ecclésiastiques cantonales n’ont pourtant pas assisté à une hémorragie de contribuables.

Le jugement du Tribunal fédéral aurait pu avoir des conséquences importantes pour l’Eglise. Mais les instances cantonales ne paniquent pas pour le moment. Elles attendent d’ailleurs toujours les considérants écrits du jugement prononcé en novembre. La question reste pourtant importante : Que va-t-il se passer, à l’avenir, lorsque des catholiques veulent quitter l’organisation ecclésiastique pour ne pas payer d’impôts, tout en souhaitant profiter des prestations de leur paroisse ? Y aura-t-il une tabelle des tarifs pour les non membres ?

La plupart des Eglises cantonales attendent d’abord les considérants écrits du jugement avant de réagir. Une réaction partagée par les évêques suisses. Walter Müller, chargé d’information à la Conférence des évêques suisses (CES), a confirmé à l’Apic qu’aucune prise de position n’est prévue pour l’instant. Mais en novembre aura lieu à la Faculté de théologie de Lugano une journée de travail sur les rapports entre Eglises et Etat, durant laquelle ces sujets seront traitées. Par ailleurs, la question se pose différemment d’un canton à l’autre, selon Walter Müller.

On attend les considérants écrits du jugement

La Conférence centrale catholique romaine (RKZ), l’organisation faîtière des instances ecclésiastiques cantonales en Suisse, attend également le jugement écrit de Mon-Repos. Et c’est seulement après pris connaissance des considérants et les avoir minutieusement analysés qu’un jugement pourra être porté sur cette affaire, affirme Daniel Kosch, secrétaire général de la RKZ. Ce dernier confirme à l’Apic que quelques cas isolés de « sorties partielles » en référence au jugement de Mon-Repos sont apparus en Suisse.

Daniel Kosch annonce que la RKZ veut rédiger à l’intention de ses membres des recommandations pour traiter ces situations. Elles recommanderont aux paroisses de refuser comme jusqu’à maintenant les « sorties partielles », ou de suspendre la démarche. Le principe de ne pas donner suite aux demandes pendantes de « sorties partielles » en attendant le jugement écrit du Tribunal fédéral ou de traiter les cas de façon provisoire est actuellement mis en pratique par les instances ecclésiastiques des cantons d’Argovie, Bâle-Campagne et St-Gall.

Dans l’ensemble, la décision de Mon-Repos a eu un très léger effet dans les cantons. Sur Fribourg, où l’impôt paroissial est obligatoire, la Corporation ecclésiastique catholique a pris connaissance de « quelques tentatives isolées de sorties partielles », selon son secrétaire général Hans Rahm. Les paroisses concernées se sont adressées à la Corporation cantonale, laquelle attend les considérants écrits du jugement de Mon-Repos avant de se prononcer. « En attendant, ceux qui ont demandé une sortie partielle continuent de payer leurs impôts. Mais ils leur seront remboursés en cas d’acceptation de leur demande », précise Hans Rahm.

Pour le Jura pastoral, le délégué épiscopal Pierre Rebetez signale également deux demandes de sortie partielle, dans la partie francophone du canton de Berne. Là aussi, la situation est en attente. Le Jura pastoral ne peut se prononcer seul. Une solution commune doit être adoptée pour l’ensemble du diocèse, selon l’abbé Rebetez.

Dans les autres cantons romands, du fait que l’impôt ecclésial n’existe pas ou n’est pas obligatoire, une sortie partielle n’a pas beaucoup de sens, selon les informations récoltées par l’Apic.

A Bâle-Ville, selon Xaver Pfister, responsable du service d’information catholique, depuis novembre deux sorties mentionnant le jugement fédéral sont parvenues à l’Eglise catholique à Bâle-Ville et une à Bâle-Campagne.

Dans le canton d’Argovie aussi, quelques rares demandes ont été déposées, confirme le secrétaire cantonal de l’Eglise catholique, Otto Wertli. Et sur Zürich, aucune sortie explicitement en lien avec le jugement fédéral n’a été repérée, selon le responsable de l’information, Aschi Rutz. En règle générale, les demandes ne contiennent pas d’informations exactes sur les motifs de sortie, du fait qu’elles ont été déposées directement dans les paroisses et transmises ensuite sans informations sur les motivations.

Traitements différents des cas selon les cantons

Il n’y a cependant pas unité dans les Eglises cantonales sur les conséquences qu’implique pour les concernés une « sortie partielle » de l’Eglise. Sur Uri, selon le président de l’Eglise cantonale Hans Stadler-Planzer, ils devront compter avec une taxe spéciale pour les éventuelles prestations ecclésiales. Mais le montant réclamé ne devra pas être prohibitif.

L’Eglise cantonale d’Argovie se montre par contre sceptique face à une taxation des prestations pour les non membres. Une telle mesure ne va pas dissuader des catholiques de quitter l’Eglise et serait contre-productive au regard d’une pastorale de réintégration, selon un rapport rédigé sur demande du Conseil de l’Eglise cantonale argovienne.

Aschi Rutz recommande à l’Eglise cantonale zurichoise d’agir avec générosité face à des sortants qui demandent une prestation. D’une part, il est intéressant de garder un contact avec eux, et d’autre part cela ne concerne que quelques cas isolés. Et par ailleurs, le statut de corporation de droit public de l’Eglise catholique lui octroie une responsabilité globale pour l’ensemble de la société. Mais si le problème devait gagner en importance en raison d’une augmentation des cas, Aschi Rutz plaiderait pour la mise en place d’une tarification unique dans le canton.

Il est par contre clair pour toutes les Eglises cantonales que, du point de vue ecclésial, il ne peut y avoir en fait de sorties d’Eglise. Les impôts ecclésiaux sont une contribution à la mission d’ensemble de l’Eglise dans la société. La « sortie partielle » constitue dans ce sens une atteinte au devoir de solidarité, mais ne peut être sanctionnée légalement.

Encadré :

Un jugement qui fera date

Les Eglises catholiques cantonales ne peuvent exiger de leurs membres qui veulent la quitter qu’ils renient leur foi. C’est à cette conclusion qu’est arrivé en novembre 2007 le Tribunal fédéral, qui a tranché dans l’affaire d’une femme qui voulait quitter la paroisse de Lucerne sans sortir de l’Eglise. Par sa décision, Mon-Repos a donc admis le principe d’une « sortie partielle » de l’Eglise catholique.

La paroisse de Lucerne n’avait pas accepté une telle demande de sortie sans quitter l’Eglise. Pour elle, quitter une communauté paroissiale devait être la conséquence d’un renoncement à la foi catholique. La décision de la paroisse avait été confirmée par le Conseil synodal cantonal. Les juges de Mon-Repos ont décidé que pour une sortie, il ne pouvait pas être exigé que la personne délivre une déclaration dans laquelle elle ne veut plus faire partie de l’Eglise catholique romaine. Selon eux, une telle prescription viole l’article 15 de la Constitution fédérale sur la liberté de foi et de conscience.

Le reniement de sa confession implique une dimension spirituelle, ainsi qu’une sortie de l’Eglise universelle, ce qui n’est d’ailleurs pas possible selon le droit canonique. Le tribunal fédéral en a déduit qu’une déclaration claire de sortie de l’Eglise cantonale était suffisante. Quant aux conséquences pastorales, à savoir la privation de prestations comme les sacrements, elles sont du ressort de l’Eglise elle-même.

Avec cette décision, le Tribunal fédéral est revenu sur un jugement qu’il avait prononcé il y a quatre ans. Il avait alors décidé qu’une sortie de l’Eglise cantonale uniquement n’était pas possible pour quelqu’un qui se reconnaissait membre de l’Eglise catholique romaine.

(apic/ak/bb)

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