Genève: Un prêtre recherche les dépouilles des juifs fusillés par les nazis dans l’ex-URSS
Pour l’Apic, Michel Bavarel
Genève, 18 septembre 2008 (Apic) Depuis l’an 2000, Patrick Desbois, prêtre du Prado, se voue à une tâche douloureuse : découvrir, dans l’ex-URSS, les fosses communes où les nazis ont enfoui les corps de centaines de milliers de juifs et de tziganes fusillés durant la guerre. Il dirige également le Service national pour les relations avec le judaïsme de la Conférence des évêques de France. Il était hier de passage à Genève.
Le père Patrick Desbois est arrivé tout à l’heure de Moscou et il parle ce soir, devant la communauté juive de Genève, des « terribles secrets de la shoah par balles ». Il se rend régulièrement, avec une équipe de l’association Yahad-in unum (« ensemble », en hébreu et en latin), en Ukraine et en Biélorussie pour interroger les témoins du génocide opéré par les nazis dans ces régions. Qu’est-ce qui l’a amené à entreprendre une telle tâche ? « Au début, répond-il, c’était une affaire personnelle. Mon grand-père a été déporté en Ukraine comme prisonnier de guerre. Il nous disait toujours : ’Pour nous, c’était terrible, mais en dehors du camp, c’était pire’. En allant sur place, j’ai compris qu’il se trouvait dans une région où, dès l’entrée en guerre de l’Allemagne contre l’URSS, en juin 1941, des unités spéciales qui suivaient l’armée se sont mises à fusiller des juifs et des tziganes dans les villes et les villages occupés par le Reich ».
De retour à Paris, Patrick Desbois en parle au cardinal Lustiger et crée Yahad-in unum qui recherche les fosses communes recelant les corps des victimes. On en a déjà découvert 800, dont certaines petites et d’autres immenses.
« L’ordre était de ne pas utiliser plus d’une balle par juif, assure-t-il. Les tziganes n’étaient pas fusillés le même jour que les juifs et pas dans les mêmes fosses communes. On tuait aussi de cette façon des handicapés mentaux ».
Comment se fait-il que cette histoire tragique soit longtemps restée « secrète » ? L’explication du père Desbois: « Du temps de l’URSS, on n’avait pas accès aux archives et, avant la chute du mur de Berlin, nous ne pouvions pas faire ce que nous faisons aujourd’hui ».
Parler avant de mourir
Avec une équipe de neuf personnes, le père Desbois parcourt les villages en quête des personnes âgées qui, enfants, ont été réquisitionnées par les Allemands pour creuser la fosse, transporter en chariots les juifs du village à la fosse, la combler, ramener les vêtements…
« Ces enfants qui ont maintenant 75 ans veulent parler avant de mourir et nous enregistrons leur témoignage. Si on ne le fait pas aujourd’hui, on ne retrouvera jamais les corps car la plupart des fosses ne sont pas signalées. Ces témoignages sont douloureux : les gens se mettent à pleurer et nous sommes obligés d’interrompre l’enregistrement. Souvent, c’est la première fois qu’ils parlent de ces événements ».
C’est également douloureux pour Patrick Desbois et son équipe. Pourquoi un prêtre catholique accomplit-il cette besogne ? « Quand le pape Jean Paul II est allé à la synagogue de Rome, témoigne-t-il, il a dit aux juifs : « Vous êtes nos frères aînés dans la foi ». Dans ces régions de l’Est, nos frères aînés se trouvent sous des champs de blé, des potagers et l’on ne peut pas construire l’Europe sur les fosses communes d’un génocide dont les victimes n’ont pas été enterrées comme des êtres humains et n’ont jamais bénéficié de prières. Nous voulons donc les réintégrer dans l’humanité. Nous faisons venir des rabbins qui disent la prière du kadish. Les juifs religieux considèrent ces victimes du nazisme comme des saints. Cette action a permis de tisser entre nous et les juifs des relations profondes, d’ordre spirituel ». Selon le religieux, cette action est soutenue par les communautés juives comme, à la suite du cardinal Lustiger, par le cardinal André Vingt-Trois. « Ils comprennent bien que c’est une action de l’Église et pas seulement d’un homme isolé. C’est à la fois un appel personnel et une mission ecclésiale ».
Le père Desbois a publié un livre, un documentaire a été diffusé à la télévision, une exposition circule dans les capitales européennes… « Je travaille à révéler ce qui s’est passé pour renforcer la résistance face au génocide, qui est toujours une menace. Il y en a eu d’autres depuis la guerre, au Cambodge, au Rwanda… C’est le résultat du racisme, de la haine qui défigure l’humanité.
Site: www.yahadinunum.org – « Porteur de mémoires. Un prêtre révèle la Shoah par balles ». Editions Michel Lafon, 2007.
(apic/mba/pr)
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