L’un des grands témoins chrétiens de la 2e moitié du 20e siècle

France: Les chiffonniers du Caire sont en deuil, Soeur Emmanuelle est décédée lundi

Callian/Var, 20 octobre 2008 (Apic) Soeur Emmanuelle, la célèbre « chiffonnière du Caire » qui aurait fêté ses 100 ans le 16 novembre prochain, est décédée dans la nuit de dimanche à lundi dans la maison de retraite des Soeurs de Notre-Dame de Sion à Callian, dans le Var, au sud de la France. La religieuse franco-belge, qui avait dédié sa vie aux plus pauvres, est sans conteste l’un des grands témoins chrétiens de la 2e moitié du 20e siècle. Le Vatican a relevé à l’annonce de son décès que son témoignage de charité « dépassait les frontières, comme Mère Teresa de Calcutta ».

Celle qui fut pendant deux décennies la « chiffonnière du Caire » – elle a passé 22 ans dans les bidonvilles, avec les chiffonniers d’Ezbet-el-Nakhl puis du Mokattam, avant de se retirer en 1993 dans le midi de la France où elle était restée très active – s’est éteinte dans son sommeil. Selon sa volonté, elle sera enterrée dans la plus stricte intimité.

Née le 16 novembre 1908 à Bruxelles, Soeur Emmanuelle, de son vrai nom Madeleine Cinquin, est entrée dans les ordres à 20 ans. Elle choisira la congrégation de Notre-Dame de Sion, un ordre apostolique qui a ouvert des écoles dans le monde musulman. Elle devient enseignante en Turquie, en Tunisie et en Egypte. Mais Soeur Emmanuelle a gagné la célébrité à l’âge où d’autres prennent leur retraite, en s’installant en 1971 dans un bidonville installé en plein milieu des ordures du Caire.

La religieuse a créé en 1980 Asmae (aide socio-médicale à l’enfance), une association au service de dizaines de milliers d’enfants. La religieuse au franc parler, souvent appelée sur les plateaux de TV, vivait depuis quelques années dans une maison de retraite appartenant à sa communauté religieuse de Notre-Dame de Sion dans le Var.

Soeur Emmanuelle avait sulfaté la « vigne à Farinet »

Ce jour du 22 mai 2003, Soeur Emmanuelle avait fait sensation à la « vigne à Farinet », au-dessus de la bourgade valaisanne de Saillon, où le faussaire au grand coeur distribuait il y a un peu plus d’un siècle sa fausse monnaie aux pauvres. La célèbre chiffonnière des bidonvilles du Caire avait alors sulfaté « La Vigne de la Paix », propriété du Dalaï Lama. « Je me sens un peu comme Farinet, avait-elle alors confié à l’Apic, car le combat est le même: Nous avons tous les deux voulu aider les plus pauvres, ceux que tout le monde méprise, c’est ce lien d’amour qui nous rattache. Un bandit au grand coeur ? Le mot ’bandit’ ne m’intéresse pas, les moyens qu’il prend, ce n’est pas mon affaire! Ce qui m’intéresse, c’est le coeur de l’homme, c’est de croire en l’homme et de se battre pour l’homme ».

Accompagnée par les roulements de tambour, sulfateuse en mains, la facétieuse nonne avait copieusement arrosé la photographe et les trois ceps de la « plus petite vigne de la terre ». Cette vigne fameuse, travaillée chaque année par des personnalités du monde entier, permet, grâce à la vente d’une dôle du Valais appelée « Sang de la Terre », l’octroi à des oeuvres humanitaires du Prix « Farinet ». Une manne bienvenue pour faire vivre les milliers d’orphelins et d’enfants des rues que la religieuse a recueillis dans ses foyers et ses fermes au Soudan, en Egypte et dans d’autres pays encore. Elle confiait alors qu’ »au contact des pauvres, vous gardez une éternelle jeunesse ».

« Nous mangions tous les jours des fèves, mais nous les mangions ensemble! »

Soeur Emmanuelle était familière de la Suisse, où elle venait régulièrement donner des conférences et récolter des dons pour ses oeuvres. Elle avait été l’hôte de marque des « arteplages » de Morat et de Bienne lors de l’Expo.02, à l’invitation de l’Association des Amis de Soeur Emmanuelle.

Elle avait visité deux lieux significatifs d’Expo.02: à Morat les sept lieux spirituels de l’exposition « Un ange passe », et à Bienne le pavillon en forme de lingot d’or de la Banque nationale. L’esprit et l’argent, tout un symbole! « A voir cette mise en scène, confiait-elle à l’Apic, je me rends compte que ce n’est pas l’or qui fait le bonheur: on peut jouer avec l’or, mais cela reste superficiel, c’est de la poudre aux yeux! J’ai vécu durant 22 ans dans des bidonvilles du Caire où il n’y avait rien – ni eau, ni électricité, ni vraies maisons – mais les gens étaient malgré tout heureux. La relation était telle entre les gens qu’ils vivaient de façon beaucoup moins stressée qu’ici. Lorsque la tête dans les étoiles et les pieds dans les ordures, je priais mon chapelet, je me sentais entourée d’un monde presque harmonieux… Au bidonville, nous mangions tous les jours des fèves, mais nous les mangions ensemble, nous rigolions, et personne n’avait faim! »

Après avoir enseigné les lettres et la philosophie durant 40 ans à Istanbul, Tunis, Alexandrie, Soeur Emmanuelle s’installera, à l’âge de la retraite, au milieu des chiffonniers du Caire, avant d’obéir enfin à ses supérieures, et de rentrer en France.. à l’âge de 85 ans! La lancinante question de la possession des biens matériels l’avait toujours taraudée depuis qu’elle avait décidé, à l’âge de 20 ans, d’entrer dans les ordres.

C’est à l’âge de la retraite qu’elle peut enfin réaliser son ardent désir de vivre avec les déshérités. La religieuse a publié de nombreux ouvrages, notamment « Vivre, à quoi ça sert », « Chiffonnière avec les chiffonniers », « Jésus tel que je le connais », « Richesse de la Pauvreté », « Yalla! En avant les Jeunes », « Nom de Dieu – L’Evangile des Chiffonniers », « Soeur Emmanuelle. L’amour plus fort que la mort », « L’aventure de soeur Emmanuelle ». Cet été, Jacques Duquesne avait co-signé avec Annabelle Cayrol « J’ai Cent ans et je voudrais vous dire », un livre d’entretien avec Soeur Emmanuelle. C’est en 1993 que Soeur Emmanuelle confie son oeuvre à Soeur Sara, une religieuse égyptienne de la congrégation copte-orthodoxe des Filles de Marie, qui l’avait rejointe depuis plusieurs années. L’association fondée par Soeur Emmanuelle est désormais présente dans une dizaine de pays, venant en aide à des dizaines de milliers d’enfants. JB

Cf. ASSOCIATION SUISSE DES AMIS DE SOEUR EMMANUELLE, 19, rue du Rhône, CH-1204 Genève Tél. +41 (0)22 311 20 22 Fax +41 (0)22 310 21 93 info@asase.org

Fribourg: Soeur Emmanuelle, la célèbre « chiffonnière du Caire », avait été reçue à l’évêché

Une cheffe de cordée qui nous mène vers les sommets de la charité

Fribourg, 20 octobre 2008 (Apic) « C’est un peu la charité de l’Eglise qui est en deuil, c’était l’Abbé Pierre au féminin », a déclaré à l’Apic Mgr Bernard Genoud, lundi 20 octobre, à l’annonce du décès de Soeur Emmanuelle. Il avait reçu la célèbre « chiffonnière du Caire » en novembre 2004 à l’évêché de Fribourg, puis à Genève, lors d’une célébration. Elle était présente à cette occasion à Fribourg dans le cadre de la rencontre « Prier Témoigner » à l’Université.

Mgr Genoud a été très impressionné par le charisme de cette « grande dame », par son enthousiasme, sa profondeur et l’efficacité de celle qu’il considère comme une « cheffe de cordée qui nous mène vers les sommets de la charité ». « Elle a continuellement vécu dans la main de Dieu, cela vient d’ailleurs, d’en haut », lance-t-il.

L’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg a été marqué par la rencontre avec cette femme humble, d’une grande simplicité intérieure, qui défendait la cause des plus démunis avec passion et « sans à-plat-ventrisme ». Elle avait visité l’évêché de Fribourg en compagnie des responsables de l’Association Suisse des Amis de Soeur Emmanuelle (ASASE) à Genève.

La petite soeur au visage buriné se remémorait alors le temps passé dans les bidonvilles cairotes d’Ezbet-el-Nakhl et du Mokattam, au milieu des détritus et des rats. « C’est là que j’ai connu la vraie joie, loin de la fugacité des plaisirs matériels. Les chiffonniers qui ne possèdent rien sont épanouis; dans notre Europe nantie, les récriminations sont monnaie courante et nous oublions jusqu’à la simple joie d’exister. Se peut-il donc que la pauvreté soit aussi source d’enrichissement ? », aimait-elle à répéter. (apic/be)

webmaster@kath.ch

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/france-les-chiffonniers-du-caire-sont-en-deuil-soeur-emmanuelle-est-decedee-lundi/