Claude Ducarroz, prévôt de la cathédrale et doyen de Fribourg

Apic Interview

« Je n’aime pas les exclusions »

Jacques Schouwey, agence Apic

Fribourg, 20 novembre 2008 (Apic) Prêtre engagé dans les questions de l’oecuménisme, prévôt de la cathédrale Saint-Nicolas et doyen du grand Fribourg, l’abbé Claude Ducarroz décrit ses multiples fonctions et parle de l’avenir de l’Eglise. Un homme au franc parler, soucieux du bien commun.

Claude Ducarroz vient de publier aux Editions La Sarine « En toute sincérité. Ces espérances qui me font vivre ».

Apic: Claude Ducarroz, quel est le rôle du prévôt, et celui du doyen?

Claude Ducarroz: Le prévôt, c’est d’abord un long et parfois glorieux héritage du passé à Fribourg. Le chapitre a été fondé en 1512, il y a donc bientôt 500 ans. Il a traversé et parfois porté l’histoire de Fribourg, notamment après la Réforme, peu après sa fondation, avec des prévôts qui ont joué un rôle important, par exemple, Peter Schneuwly qui a attiré Pierre Canisius et les jésuites à Fribourg.

A d’autres époques aussi, les prévôts ont pratiquement exercé la fonction épiscopale à Fribourg, quand l’évêque de Lausanne était absent ou sans domicile fixe, après la Réforme. Actuellement, depuis que la collégiale de Saint-Nicolas est devenue cathédrale, l’évêque est le patron à la cathédrale et le prévôt a perdu de son aura et aussi une partie de sa mission.

Aujourd’hui, c’est une tâche d’abord liturgique. Nous célébrons ensemble, matin et soir, plus l’eucharistie, dans la cathédrale. Je suis associé à certaines tâches diocésaines, par exemple les confirmations. Et puis, il y a un rôle de représentation, je dirais de pont, entre l’Eglise et l’Etat. Il y a une reconnaissance par l’Etat du rôle historique du prévôt. A part cela, je suis un prêtre qui est en ministère ailleurs, autour de la cathédrale. Prévôt, c’est une petite partie de mon ministère.

Le doyen, avec les unités pastorales, a vu sa mission redéfinie. Actuellement, c’est une mission de lien entre les prêtres, de soutien fraternel. Organiser des rencontres. Le doyen n’est plus celui qui anime la pastorale sur une région, mais plutôt celui qui met du liant entre les acteurs de la pastorale.

Apic: Et entre les unités pastorales aussi?

Claude Ducarroz: A Fribourg, je préside la réunion des curés-modérateurs. On m’a confié un certain nombre de tâches qui concernent l’ensemble du décanat ou de la ville, mais en soi, cela aurait pu être quelqu’un d’autre. Ce sont des tâches d’organisation, d’animation générale sur le plan de la ville de Fribourg: l’oecuménisme, le bulletin paroissial, l’administration des finances de l’Eglise.

Apic: Votre dernier ouvrage montre les espérances qui vous font vivre. Mais y a-t-il nécessité d’une réforme dans l’Eglise actuelle?

Claude Ducarroz: Le Concile Vatican II, qui s’est terminé il y a 43 ans, a dit cette belle phrase, qui vient d’ailleurs de la Réforme protestante: « L’Eglise doit être en état permanent de réforme ».

Donc la réforme dans l’Eglise, c’est une manière d’être qui doit épouser tous les aléas de son histoire. Aujourd’hui encore, il y a des choses à réformer. On ne fait pas de grandes réformes tous les cinq ou dix ans, évidemment.

C’est pour cela qu’il y a de temps en temps un concile qui, comme le souhaitait Jean XXIII, provoque dans l’Eglise un « aggiornamento, une mise à jour plus profonde, plus vaste. Aujourd’hui, il me semble, personnellement, que nous sommes en ce temps où un concile serait nécessaire pour opérer certaines réformes. Dans l’Eglise affrontée aux défis de notre temps, je pense en particulier à l’Europe ou à l’Occident qui passent par des moments difficiles pour l’Eglise. Mais il y a aussi toute la dimension universelle de l’évangélisation.

Dire qu’il serait bon qu’un concile se réunisse pour refaire le point et redonner du tonus à l’Eglise, cela n’a rien de révolutionnaire. Parce que pour moi le concile n’est pas un événement administratif, c’est un événement spirituel, un événement que j’appelle théologal. C’est une convocation de l’Esprit à toutes les forces vives de l’Eglise – et même au-delà de ses frontières visibles -, pour provoquer cette interface entre l’Eglise et l’Evangile, entre l’Eglise et la figure du Christ afin que l’Eglise devienne toujours plus ce qu’elle est ou pourrait être, c’est-à-dire: une, sainte, catholique, apostolique.

Apic: Y a-t-il des points concrets où une nécessité plus urgente demanderait la réunion d’un concile?

Claude Ducarroz: Bien sûr, il y en a plusieurs. D’abord, peut-être, l’acculturation. L’Eglise a heureusement explosé aux dimensions du monde. Mais est-ce qu’elle a su approcher les différentes cultures, et même les différentes religions du monde, avec un regard positif, sans perdre la mission d’évangéliser, mais en évangélisant les cultures avec respect? Il y aurait une manière d’être chrétien, il y aurait une manière de vivre l’Evangile qui serait propre aux cultures différentes.

Un autre point, c’est l’oecuménisme, évidemment, puisque l’Eglise catholique est enfin montée dans le train de l’oecuménisme avec le Concile Vatican II. Et maintenant il faut qu’elle fasse encore de nombreux progrès sur cette route avec les autres pour un rapprochement entre les Eglises.

Il y a toute la question des ministères, surtout en Occident. De ce côté, il y a une grave crise. Quand je suis entré au séminaire en 1960, on était vingt en première année. Maintenant, dans notre séminaire, il y a en tout et pour tout 4 séminaristes. Cela montre la profondeur du problème et la difficulté à relever le défi. Là, il y aurait des choses à revoir.

Et puis, par rapport à ce que j’appellerais les progrès – vrais ou faux – dans la société, toutes les questions autour de la vie: le début de la vie, la fin de la vie, toutes ces questions liées aux progrès des sciences de la vie. On voit qu’il y a beaucoup de choses qui émergent dans la société civile, scientifique. Et là, il y a une éthique à chercher, un dialogue à mener avec ces gens. On ne peut pas simplement répéter des vieilles recettes. Il faut prendre en compte les nouveaux défis.

Apic: Notamment dans les questions d’ordre éthique…

Claude Ducarroz: Oui. Dans l’éthique de la vie. On sent que les sciences bouillonnent parfois de découvertes ou de nouveautés, de nouvelles solutions. Il vaut la peine de s’arrêter, pour écouter et prendre position, pas dans la peur mais dans le dialogue en apportant le regard prophétique de l’Evangile sur ces domaines pas faciles. Il faut prendre le temps de bien les examiner avec tous les experts en ces matières, qui ne sont pas nécessairement des croyants.

Apic: Dans l’optique d’un concile, la question du célibat des prêtres devrait-elle être abordée?

Claude Ducarroz: Dans l’Eglise catholique, il y a deux manières d’être prêtre. Il y a la manière célibataire qui s’est imposée dans l’Eglise latine au Moyen Age seulement. Donc pendant les 1000 premières années, c’était une règle observée par certains, mais pas par tous. Et puis, il y a l’Eglise d’Orient, y compris catholique – je pense aussi aux orthodoxes – qui a une autre discipline. La plupart des prêtres sont mariés parce qu’ils ont été ordonnés après leur mariage. On a ordonné des hommes mariés.

Quand on voit la situation actuelle en Occident, personnellement je pense qu’on pourrait élargir les voies d’accès au ministère presbytéral, notamment en ordonnant des hommes d’âge plus ou moins mûr, qui ont fait leurs preuves dans leurs responsabilités familiales et sociales (des « viri probati », ndr).

Ils pourraient devenir de très bons prêtres, après la formation et l’ordination, bien sûr. Ce serait une autre manière d’être prêtre, complémentaire de l’autre. Moi, je n’ai rien contre le célibat, en tout cas pas contre le mien parce que je le vis bien. Je trouve que c’est un bon serviteur de mon ministère. C’est pour cela qu’il faut éviter le mot « abolir ». On ne va quand même pas obliger les prêtres à se marier, j’espère. C’est encore un droit humain de rester célibataire.

Mais, pour moi, il faut voir cela comme un élargissement, un enrichissement. Ce n’est pas la lutte du mariage contre le célibat ou du célibat contre le mariage. C’est l’accueil de deux formes de vie pour le prêtre. Je ne vois pas pourquoi le mariage, qui est un beau sacrement, ne pourrait pas abriter dans ses branches le ministère du prêtre, à côté des prêtres célibataires.

Apic: Est-ce qu’il y a encore un espoir pour l’oecuménisme dans la situation actuelle de l’Eglise ? Surtout aujourd’hui où l’on voit des structures se rigidifier ? On voit aussi de jeunes prêtres plutôt rétrogrades, dans leurs exigences et leur comportement, très stricts sur la doctrine ?

Claude Ducarroz: Je ne veux pas juger ni condamner mes confrères d’une autre génération. Mais, à mon avis, toutes les tentatives de restauration, dans des détails vestimentaires, liturgiques, je le dis franchement: ce sont des coups d’épée dans l’eau bénite. On ne peut pas ouvrir un avenir en revenant simplement à un passé qui a eu ses heures de gloire, mais qui est dépassé justement. Alors, c’est vrai qu’actuellement peut-être la tendance serait plutôt vers la restauration – on le voit aussi à partir de Rome -. Cela n’a pas d’avenir à mon avis.

Du point de vue du dialogue avec les autres religions chrétiennes, l’Eglise catholique est montée tard dans le train de l’oecuménisme. Elle doit y jouer un rôle à la proportion de son importance dans la chrétienté, car la bonne moitié des chrétiens se réclament de l’Eglise catholique. Donc elle a rôle important à jouer pour réaliser la prière du Christ « Que tous soient un, afin que le monde croie ».

Il y a de multiples manières de vivre l’oecuménisme. Chacun peut apporter sa pierre. Cela n’est pas d’abord une question de spécialistes ou d’élite. Et il y a des groupes qui sont particulièrement actifs. Je pense aux groupes de couples mixtes, confessionnellement mixtes, qui sont très apôtres de cette cause. Il y a aussi des théologiens, la théologie biblique, l’exégèse.

Les théologiens ne peuvent pas faire de la théologie sans la faire de manière oecuménique. J’ai la chance d’appartenir au groupe des Dombes, et là nous essayons, à partir des questions concrètes et cruciales qui marquent nos divisions, de faire avancer la cause oecuménique, de provoquer des rapprochements, comme on l’a vu dans les documents que ce groupe à publiés, notamment sur la Vierge Marie ou l’autorité dans l’Eglise.

C’est dire que même au niveau doctrinal, on peut progresser à la rencontre les uns des autres. Il y a tous les autres niveaux, mais celui-là ne doit pas être oublié, parce que c’est l’ensemble de ces dimensions oecuméniques de la vie de l’Eglise qui doit progresser pour réaliser un jour, nous l’espérons, la communion entre les Eglises.

Apic: Que pensez-vous de l’intercommunion, notamment pour un couple mixte ?

Claude Ducarroz: Il faut définir les mots. L’hospitalité eucharistique, c’est-à-dire être accueilli à l’eucharistie dans l’autre Eglise, l’Eglise catholique elle-même y est favorable à certaines conditions. Nous pouvons accueillir des protestants à l’eucharistie célébrée dans notre Eglise. La réciproque n’est pas toujours simple parce qu’il y a encore des divergences importantes sur l’eucharistie et les ministères.

Mais bien évidemment, dans le cas des couples mixtes entre autres, la réciproque est souvent vécue. On va ensemble partager la célébration, toute la célébration, les uns chez les autres. C’est lié aussi à cette condition particulière: on est un couple mixte, c’est-à-dire à la fois très uni, mais qui porte la douleur de la division et surtout l’espérance de la réconciliation.

Apic: Au Tessin, un prêtre a refusé de marier un tétraplégique sous prétexte qu’il ne pouvait procréer. Qu’en pensez-vous ?

Claude Ducarroz: Je n’aime pas les exclusions, surtout quand c’est au détriment des plus pauvres. JS

Encadré

Claude Ducarroz est né le 23 novembre 1939 dans une famille d’agriculteurs à Montbrelloz, dans le canton de Fribourg. Il est l’aîné de 5 enfants. Après son baccalauréat au Collège Saint-Michel en 1960, il entre au séminaire diocésain de Fribourg. Ordonné prêtre le 27 juin 1965, il sera successivement vicaire à la paroisse Saint-Nicolas à Fribourg puis vicaire à Notre-Dame, au Valentin, à Lausanne. De 1972 à 1974, il étudie la théologie à l’Université grégorienne à Rome, puis à l’Université de Munich de 1974 à 1975. Dès cette date et jusqu’en 1982, il est aumônier de la jeunesse et directeur spirituel au Séminaire diocésain. De 1982 à 1997, il est curé de la paroisse Notre-Dame à Lausanne, après quoi il devient auxiliaire à la paroisse de Saint-Jean à Vevey et rédacteur à l’hebdomadaire « L’Echo romand ». Dès 1999, il fait partie du groupe oecuménique des Dombes. De 2001 à 2006, il est directeur de l’Ecole de la Foi et des Ministères à Fribourg. En 2004, il est élu prévôt du chapitre cathédral Saint-Nicolas à Fribourg. En 2007, il est nommé doyen du décanat de Fribourg. (apic/js)

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