A Bethléem, c’est la fête de la naissance, celle d’un enfant qui vient tout changer

Apic Interview

Le Père Jean-Bernard Livio a eu un « coup de coeur » pour cette ville

Jacques Berset, agence Apic

Fribourg, décembre 2008 (Apic) Sac au dos, bac en poche, Jean-Bernard Livio se rend pour la première fois en Terre Sainte en 1958, au temps où il fallait encore passer de la Jordanie à Israël par la Porte de Mandelbaum, dans la vieille ville de Jérusalem, aujourd’hui occupée par Israël. Depuis 50 ans, celui qui entre-temps est devenu Père jésuite (*), bibliste et archéologue se rend en Palestine et en Israël plusieurs fois par an, emmenant, comme guide reconnu, des groupes de pèlerins.

Le Père Livio, dès les premiers instants, est tombé sous le charme de la Terre Sainte. Il a d’ailleurs, entre autres, étudié à l’Université hébraïque et à l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem. Mais il a un sentiment plus particulier pour Bethléem, en Palestine, la ville de la nativité du Christ,. Notre interview

Apic: La Terre Sainte, c’est une vraie « histoire d’amour »!

P. Livio: Quand j’ai vu pour la première fois sur un panneau de signalisation « Nazareth, 22 km », cela a été un vrai choc. Je me suis dit alors: Nazareth, cela existe, et pas seulement dans la Bible! J’y suis retourné, j’ai fait de l’archéologie là-bas, avec l’Université hébraïque de Jérusalem, avec la Faculté d’archéologie de Tel Aviv et aussi avec l’Ecole archéologique et biblique. Je parle hébreu suffisamment pour me faire comprendre et pour lire les textes.

Apic: Vous dites avoir eu un « coup de coeur » pour Bethléem.

P. Livio: C’est un fait, j’ai eu un vrai « coup de coeur » pour cet endroit, car au-delà des fioritures que l’on trouve dans la Basilique de la Nativité, j’ai été chercher l’enfant ailleurs, en particulier l’enfant malade. J’ai eu l’occasion pendant plus d’une quinzaine d’années de faire partie du comité d’administration du Caritas Baby Hospital, puis il était normal après tout ce temps que je me retire.

Mais on ne se refait pas: avec des amis que j’ai emmenés avec moi dans des groupes de pèlerins, nous avons créé une association des « Amis de la Crèche de Bethléem » (Cf: www.creche-bethleem.ch). Cette « crèche » est une oeuvre des Filles de la Charité de St-Vincent de Paul qui recueille notamment des enfants abandonnés ou venant de familles très démunies. C’est encore une façon pour moi de retrouver l’enfant à Bethléem. Depuis longtemps, je m’y rends en moyenne quatre à cinq fois par année avec des groupes…

Apic: Vous êtes en fait un témoin privilégié du drame que vit cette région depuis des décennies!

P. Livio: Je ne sais pas ce qu’est un témoin privilégié, mais je ne suis en tout cas pas un témoin impartial! On ne peut pas être impartial quand on est là-bas et que l’on connaît la situation. Je suis en tous cas un témoin qui prend beaucoup de coups, ayant la chance d’avoir des amis un peu dans tous les milieux.

Régulièrement, on est choqué, scandalisé par ce qui se passe sur le terrain: il y a certes des crèches et des orphelinats partout dans le monde. Mais à Bethléem, c’est plus dur de voir que l’on abandonne des enfants pour des questions sociales, économiques, pour des questions de handicaps mentaux ou de malformations physiques.

Bien sûr, ce sont des choses qui arrivent partout dans le monde, mais c’est un peu plus choquant parce que cela se passe à Bethléem, et que pour nous chrétiens, ce lieu représente l’enfant, la joie, la naissance, la paix. Ce sont des beaux slogans à Noël, mais c’est difficile de voir la réalité sur place.

Apic: Bethléem, la ville de la Nativité, est aujourd’hui désertée par les chrétiens, qui sont devenus une minorité au milieu d’une population majoritairement musulmane…

P. Livio: C’est vrai, mais ces jours-ci, c’est la fête à Bethléem, avec une grande joie populaire. On se prépare à la grande procession qui voit l’arrivée, dans l’après-midi du 24 décembre, du patriarche latin de Jérusalem qui apporte le bébé à la crèche. C’est en quelque sorte la fête patronale pour tous à Bethléem. Et là, on ne distingue pas entre chrétiens et musulmans. Les musulmans de la ville sont fiers de tout ce qui se célèbre à Bethléem, bien qu’il n’y aucun enracinement musulman à Bethléem. Yasser Arafat venait assister à la messe de minuit et maintenant c’est au tour de Mahmoud Abbas. C’est tout à fait normal, car la Nativité est la fête de toute la ville.

C’est un très beau symbole, c’est la fête de la naissance, celle d’un enfant qui vient tout changer comme tous les enfants du monde ont toujours tout changé quand ils arrivent dans une famille. Empêcher cela, c’est pour moi un crime contre l’humanité. C’est se couper de soi-même, de son propre avenir si on se coupe de l’enfant. Ainsi Bethléem devient beaucoup plus qu’une simple agglomération de 80’000 habitants (en comptant les localités alentour), en majorité musulmans, et dont le caractère s’estomperait en raison de l’émigration constante des chrétiens.

Apic: Concrètement, si c’est la ville de tout le monde puisque l’on y célèbre la naissance, cette ville est tout de même enfermée derrière un mur de huit mètres de haut, avec des miradors et des « check points »…

P. Livio: C’est vrai, et c’est d’autant plus choquant. Lorsque les responsables politiques israéliens veulent fermer l’accès à la ville et l’isoler du restant du pays, ils se heurtent immédiatement aux agences de voyage. Aucune d’entre elles en effet n’arrive à vendre Israël sans emmener les touristes au moins à Bethléem. Parce que cette ville fait partie de la Terre Sainte, et tout de suite derrière Jérusalem, il y a Bethléem.

Même si cela ne plaît pas beaucoup à certains milieux politiques en Israël, c’est une réalité. Bethléem est pour moi, en Terre Sainte, tout autant importante, sinon plus que Jérusalem, car c’est le symbole de la naissance. Que dit-on à Bethléem… « Un enfant est né, un fils nous est donné! » Si nous nous coupons de la naissance, nous nous coupons de nos racines, et les juifs le savent tout aussi bien que les chrétiens. Bethléem reste pourtant – je n’oserais plus dire un lieu saint, car il s’y passe trop d’horreurs – l’endroit d’une espérance fantastique. JB

(*) Le Père Jean-Bernard Livio est né à Lausanne en 1940 d’un père tessinois et d’une mère jurassienne. Il a fait une partie de ses études en français, puis a étudié en allemand chez les bénédictins d’Einsiedeln, où il a passé son baccalauréat. Après son passage au séminaire diocésain de Lausanne, Genève et Fribourg – où il a été l’élève du cardinal Journet et du futur évêque du diocèse, Mgr Pierre Mamie – il est entré chez les jésuites en 1966, avant d’être ordonné prêtre en 1970. Le Père Livio a une licence en archéologie de l’Université de Bâle, et il a obtenu sa licence de philosophie et de théologie à Paris. Il vit actuellement au Centre de formation et de retraite Notre-Dame de la Route à Villars-sur-Glâne. Archéologue et spécialiste de la Bible, il organise plusieurs fois par an des voyages en Terre Sainte – Israël, Jérusalem et Palestine – et donne différents cours d’étude biblique. JB

Photos du Père Livio disponibles auprès de l’agence Apic: jacques.berset@kipa-apic.ch (apic/be)

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