Lausanne: Présentation à l’UNIL du dernier ouvrage de Martin Baumann et Jörg Stolz

« La nouvelle Suisse religieuse – Risques et chances de sa diversité »

Lausanne, 1er mai 2009 (Apic) Ces trois dernières décennies, la Suisse a subi d’importantes mutations, le paysage religieux notamment se diversifiant toujours davantage. Cette réalité nouvelle – focalisée en ce moment sur la présence musulmane – provoque des craintes et certains questionnements.

Dans ce contexte, Martin Baumann, professeur de sciences des religions à l’Université de Lucerne, et Jörg Stolz, sociologue des religions et professeur à l’Université de Lausanne (il est également directeur de l’Observatoire des religions en Suisse – ORS), présenteront leur dernier ouvrage (*) le mardi 5 mai prochain à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne (UNIL). Cette étude de quelque 400 pages, intitulée « La nouvelle Suisse religieuse. Risques et chance de sa diversité », vient de sortir de presse aux Editions Labor et Fides à Genève. C’est la traduction d’une étude déjà parue en allemand en 2007 (**) et qui a réuni une vingtaine de chercheurs de divers horizons.

Les Eglises chrétiennes en recul

Si les chrétiens – toutes tendances confondues – restent largement majoritaires en Suisse avec 80% d’adhérents, selon le recensement fédéral de l’an 2000, ils étaient tout de même 98% trente ans auparavant… Ainsi, à côté des Eglises chrétiennes traditionnelles s’élèvent aujourd’hui en Suisse des mosquées, des synagogues, des centres bouddhistes et bien d’autres lieux dévolus à une pluralité d’autres systèmes de croyance. Le fondamentalisme, l’ésotérisme et les thérapies spirituelles ont la cote. Les manières de croire en Suisse deviennent par ailleurs de plus en plus individuelles.

Ces développements créent des risques, mais représentent dans le même temps des chances pour la société, par exemple dans les domaines du droit, de la politique, de l’école, de la médecine ou des médias, notent les auteurs de l’ouvrage. Ces 20 chercheurs (***) dressent un panorama complet des diverses religions pratiquées en Suisse et décrivent le développement et les conséquences de la nouvelle pluralité religieuse en Suisse depuis 1950 jusqu’à nos jours.

Etant donné que la Suisse est (encore) l’un des pays dans lesquels la question sur l’appartenance religieuse figure dans les recensements décennaux, les données statistiques à ce sujet permettent une analyse très enrichissante. L’étude se concentre avant tout sur la situation contemporaine, mais il offre aussi des perspectives historiques, qui éclairent le contexte actuel, notamment quand il s’agit des grandes Eglises chrétiennes: Bernard Forclaz signe ainsi un chapitre sur la diversité religieuse en Suisse depuis la Réforme, tandis que Michael Krüggeler et Rolf Weibel s’intéressent à l’évolution du catholicisme romain en Suisse au XXe siècle, mettant en évidence les changements intervenus et les nouveaux acteurs du catholicisme.

La diversité religieuse en Suisse est devenue une réalité (le pays compte désormais 491 groupes religieux différents) et la plupart des religions du monde sont présentes sur son territoire: du judaïsme au christianisme, en passant par l’islam, l’hindouisme, le bouddhisme, le confucianisme, le taoïsme, le sikhisme ou le bahaïsme, sans parler des nouvelles tendances religieuses, les « religiosités parallèles », les « raëliens », les scientologues et les mouvements ésotériques qui envahissent les librairies.

Une grande diversité sociale

Selon les données du recensement fédéral de l’an 2000, les catholiques romains sont près de 42%, l’Eglise réformée vient derrière avec 33 %, suivie de ceux qui n’affichent aucune appartenance religieuse (11%). Viennent ensuite les communautés islamiques (plus de 4% de la population vivant en Suisse), les Eglises orthodoxes (1,8%), les Eglises évangéliques libres (moins de 1,5%). Une Eglise chrétienne historique, l’Eglise catholique chrétienne, ne regroupe que 0,18% de fidèles, près de la moitié moins que les Eglises néo-apostolique ou pentecôtiste, voire les Témoins de Jéhovah (0,28%). Les communautés juives ne représentent que 0,24% de la population, moins que les bouddhistes (0,29%) ou les hindous (0,38%). Les musulmans, souvent présentés de façon monolithique, sont en fait très diversifiés: ils viennent pour la plupart de l’ex-Yougoslavie (42,8%), dans une moindre mesure de Turquie (14%) et d’Afrique du Nord (4,8%).

La multiplicité des pays d’origine engendre des fractionnements au sein des groupes religieux, notent les auteurs de l’étude. Ainsi, des appellations comme « les musulmans » ou « les bouddhistes » ne rendent pas du tout compte de la diversité interne à ces communautés, insistent Martin Baumann et Jörg Stolz. Il ne faut pas oublier la stratification sociale pour comprendre les problèmes d’intégration des différentes communautés issues de l’immigration. « Une analyse en terme de classes sociales ne doit pas être écartée face au tout religieux. Les musulmans, qui appartiennent le plus souvent aux classes sociales inférieures, sont de ce fait particulièrement exposés au chômage ou à la pauvreté », estiment ainsi les auteurs de la recherche.

Une concentration dans les centres urbains

En outre, la diversification de l’environnement religieux de la Suisse ne se manifeste pas géographiquement de façon égale sur tout le territoire: les adhérents de religions non chrétiennes sont ainsi surreprésentés dans les zones urbaines. De même, les auteurs nous rappellent que, si l’érosion de l’appartenance aux Eglises traditionnelles est une réalité, elle ne se manifeste pas partout au même degré: dans certains cantons traditionnellement protestants – Zurich, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Genève ou Neuchâtel – les réformés représentent souvent moins de 50% de la population. Seuls Berne et Schaffhouse dépassent encore la barre des 50% de protestants.

En revanche, les cantons traditionnellement catholiques (parmi eux Obwald, Nidwald, Uri, Schwyz, Zoug, le Jura, le Valais, Lucerne, le Tessin, Appenzell Rhodes-Intérieures et Fribourg) ont conservé leur majorité catholique « malgré une pluralisation religieuse croissante ». Ce sont avant tout les cantons « urbains » comme Zurich, Bâle-Ville ou Genève, qui affichent la plus grande proportion de « sans confession » ou de « sans religion ». Ainsi, à Bâle-Ville, près d’un tiers de la population (31%) entre dans cette catégorie, contre 22,6% à Genève. Dans les cantons plus « ruraux », cette proportion descend à moins de 5%.

La « pluralisation » du paysage religieux rend de plus en plus problématique le maintien des structures juridiques classiques en matière de relations Eglises-Etat, avec la reconnaissance « de droit public » limitée pratiquement aux catholiques romains, aux protestants, aux catholiques chrétiens et aux juifs.

D’autre part, la situation n’est pas homogène dans tout le pays, étant donné que le statut des religions relève des cantons, et non de l’Etat fédéral, sans oublier que deux cantons – Neuchâtel et Genève – connaissent un régime de séparation Eglises-Etat). Les autres communautés religieuses (y compris les orthodoxes, musulmans, hindous, bouddhistes) s’organisent par contre librement. Leur statut de droit privé ne leur permet pas, par exemple, de bénéficier de l’ »impôt ecclésiastique » prélevé auprès des fidèles concernés pour le compte des communautés religieuses bénéficiant du statut « de droit public ».

Les auteurs de l’ouvrage illustrent les réactions face à la diversité religieuse par des exemples concrets, notamment le débat qui agite le landerneau politique suisse concernant la construction de minarets. Ce débat mérite l’attention des chercheurs, car il révèle toute une série d’enjeux et de craintes par rapport à l’islam, la construction d’un édifice bouddhiste ne suscitant pas les mêmes réactions d’hostilité.

L’inscription d’une mosquée avec son minaret dans l’espace public est perçue par les opposants non comme une simple expression de la foi des croyants, mais comme une menace politique et culturelle. En arrière-fond, on s’aperçoit aussi que le détachement des Suisses des religions historiques fait peur aux Eglises établies, qui craignent de devenir minoritaires à l’avenir. Mais, concluent les auteurs de la recherche, ce mouvement de diversification religieuse semble de plus en plus inéluctable « avec la progression vertigineuse de la mondialisation ». JB

(*) « La nouvelle Suisse religieuse. Risques et chances de sa diversité », sous la direction de Martin Baumann et Jörg Stolz, Editions Labor et Fides, 424 pages.

(**) « Eine Schweiz – viele Religionen. Risiken und Chancen des Zusammenlebens » – Bielefeld, transcript-Verlag, 2007

(***) Martin Baumann, Iso Baumer, Samuel M. Behloul, Reinhold Bernhardt, Patrick Ettinger, Cla Reto Famos, Olivier Favre, Bertrand Forclaz, Katharina Frank, Kurt Imhof, Ansgar Jödicke, Michael Krüggeler, Stéphane Lathion, Jacques Picard, Stefan Rademacher, Ilario Rossi, Kerstin-Katja Sindemann, Jörg Stolz, Peter Voll, Rolf Weibel. (apic/be)

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