Un trésor à sortir complètement de l’oubli
Lausanne, 24 juin 2009 (Apic) Du haut Moyen Age à l’aube du XIXe siècle, la cathédrale de Lausanne a été le lieu choisi par de nombreux Vaudois pour leur ultime demeure. Pendant des siècles, des interdits d’inhumation se succèdent sans réussir à faire plier la population, qui tient mordicus à l’enterrement dans ce haut lieu spirituel de la Suisse romande. Analyse du phénomène, pas très connu du grand public, avec Dave Lüthi, coauteur d’un livre (*) sur la question.
Plus vieille que la fondation de la Suisse, la cathédrale de Lausanne est un vrai temple nécropole. En 1275, la bâtisse est consacrée par l’empereur Rodolphe de Habsbourg et le pape Grégoire X. A la Réforme, en 1536, elle subit d’importants changements dont un nouvel espace liturgique aménagé dans la nef. Mais le changement le plus marquant, surtout au niveau rituel, restera l’interdiction aux Vaudois d’inhumer leurs morts dans l’édifice religieux.
« Depuis le Moyen-Age, le site avait cependant accueilli diverses inhumations, en relation avec les bâtiments antérieurs à la cathédrale actuelle, puis dans l’édifice gothique ou dans les cimetières avoisinants, implantés au sud d’abord et au nord ensuite », explique Dave Lüthi, historien de l’art et chercheur à l’Université de Lausanne. « Actuellement, estime-t-il, le patrimoine funéraire de la cathédrale comprend 15 dalles, 5 gisants, un monument laïque, une douzaine de tombes dans le sous-sol de l’édifice pour l’époque médiévale. » Quant à la période allant du premier tiers du 17ème siècle au début du XIXe siècle, les recherches font état de 29 dalles et monuments ainsi que 4 pierres commémoratives. Lors de fouilles conduites de 1909 à 1912, 225 sépultures ont été recensées, certaines se trouvaient à l’extérieur de la cathédrale actuelle et sont liées aux bâtiments antérieurs. Les problèmes de datation et d’attribution sont ardus. Les tombes, même de grands personnages comme les évêques ou les nobles, sont souvent mal documentées avec des inscriptions effacées.
Souvent déplacés, mutilés, détruits ou parfois même réemployés pour d’autres usages, ces monuments échappent encore à la connaissance d’une grande partie de l’opinion populaire. Qu’on se réfère au cas de la duchesse de Courlande et de la comtesse de Walmoden-Gimborn, deux dignitaires venues confier leur santé fragile aux soins du célèbre docteur Tissot. Les dépouilles de ces noblesses reposaient jusqu’à un certain temps dans le chœur de la cathédrale. Leur présence est attestée par des textes anciens et modernes. En 1967, elles sont « exilées » au cimetière du Bois-de-Vaux de Lausanne, hors de leur contexte d’origine où les tombeaux sont exposés aux intempéries. Par comparaison aux œuvres conservées à l’abri, leur endommagement s’intensifie. Pour Dave Lüthi ce sont des œuvres qu’il faudrait sortir de l’oubli pour les étudier et les replacer dans leur contexte artistique. Elles seraient ainsi intégrées à l’histoire régionale du XVIIIe siècle.
L’interdiction d’inhumer dans les églises date déjà du concile de Braga en 563. « Elle ne réussit jamais à s’imposer complètement », écrit Claire Huguenin, dans un ouvrage sur le patrimoine funéraire du joyau lausannois (*). Pour l’auteure, l’interdit souffre d’exceptions en faveur de dignitaires tant laïcs qu’ecclésiastiques. Ainsi, 12 évêques sont recensés parmi les personnalités ensevelies à la cathédrale. C’est le cas d’Henri de Bourgogne (985-1016), enterré dans la nef. Mais aussi de Guillaume de Menthonay (1394-1406), enterré dans la chapelle de Menthonay. Les cas de laïcs enterrés à la cathédrale restent rares. Il faut généralement un certain rang social pour bénéficier d’une tombe dans cet édifice.
Deux cas de demandes sont répertoriés entre le milieu du 14ème siècle et le milieu du 15ème siècle. L’histoire retient celle du chevalier de Lucinge, nommé sénéchal par Othon de Grandson en 1311. L’autre demande est celle de Jeannette Barberyez, ou Barbey, qui voulut être ensevelie dans la chapelle de la Vierge Marie. Personne ne sait si son vœu a été exaucé.
La population finit par contourner les interdictions pour mériter une place de repos dans leur édifice privilégié. Par exemple, ils profitent du système législatif en vigueur dans le Pays de Vaud où cohabitent deux formes de traditions juridiques, à savoir le droit écrit et la coutume qui prescrit l’élection de sépulture dans la paroisse. Selon Dave Lüthi, le testament permet de déroger à l’interdiction même si dès sa réapparition dans la seconde moitié du XIIIème siècle, la pratique testamentaire ne parvient jamais à supplanter la coutume. « Le testament, qui présuppose un certain statut social et culturel, relève d’une certaine élite », explique Dave Lüthi, ajoutant que ce sont les élites qui peuvent se permettre d’utiliser l’écrit, réservé généralement au pouvoir épiscopal, à des fins privées afin de mettre en évidence leur singularité. « C’est dans cet ordre d’idées que les classes aisées se forgent leur succession temporelle et spirituelle. Temporellement, elles s’appliquent à partager leurs biens. Spirituellement, elles organisent leur vie dans l’au-delà pendant le temps du purgatoire jusqu’au jugement dernier », peut-on lire dans l’ouvrage collectif.
Claire Huguenin, historienne et archiviste, écrit que l’acte testamentaire permet de prendre les dispositions propres à abréger la purgation de ses péchés et à assurer le salut de son âme, avec le concours des vivants, par les suffrages tels que prières et messes mais aussi par le biais d’un système souvent complexe de legs et de donations. « Le lieu d’accueil de la dépouille mortelle revêtait une importance capitale, l’opinion populaire ne distinguant pas l’âme du corps, le corps glorieux du corps charnel, le corps doit être enterré là ou l’âme se voit offrir les meilleures conditions de résurrection », souligne la chercheuse.
En 1536, la réforme bernoise prohibe l’inhumation à l’intérieur des églises et abolit toute manifestation religieuse, y compris prières et aumônes lors des enterrements, pour éradiquer les superstitions et les mises en scène liées à la mort dans l’ancien culte. « Il souffre néanmoins d’exceptions », note Claire Huguenin.
Finalement, c’est en 1804 que l’on instaure une loi sonnant le glas de l’inhumation dans les églises, au nom des principes égalitaires. Elle proclame l’abolition de tous les privilèges de lieux, de naissance, de personne ou de familles au nom de la salubrité publique. Malgré la rigueur de l’époque, il y a encore une fois une exception consentie en 1817 pour l’élégant cénotaphe à la mémoire d’Henriette Canning, l’épouse de l’ambassadeur d’Angleterre en Suisse. Son monument est actuellement situé dans la partie sud du vestibule. « Après cet ultime soubresaut, l’ancienne solidarité qui avait réuni vivants et morts en un même lieu se dénoua et la vie d’ici bas prit ses distances avec le monde de l’au-delà », conclut Claire Huguenin
(*) »Destins de pierre. Le patrimoine funéraire de la cathédrale de Lausanne » Lausanne, Cahiers d’archéologie romande n° 104, 2006. Claire Huguenin, Gaëtan Cassina, Dave Lüthi (dir.).
Contemporain de la cathédrale de Chartres (1194-1220), l’une des plus célèbres constructions religieuses du continent, l’édifice lausannois présente une polychromie intérieure de première importance. Son décor, qui remonte à la construction d’origine, est masqué lors de la Réforme. Il est remis à jour au début du 20e siècle. Ainsi, des peintures sont encore visibles aussi bien dans la chapelle de la Vierge que sur la statuaire du portail peint, élément tout à fait original qui date des années 1225-1235.
Inaugurées en 2003, les nouvelles orgues de la cathédrale sont d’une conception qui en fait un monument unique en son genre. Elles comprennent près de 7’000 tuyaux dont le poids est estimé à 40 tonnes, un travail qui a pris 150’000 heures de travail pour leur réalisation.
Actuellement, l’édifice dépend directement de la paroisse de Chailly-La Cathédrale. Une fois par mois, il abrite des célébrations œcuméniques. Des manifestations culturelles s’y déroulent aussi régulièrement. L’événement œcuménique que les chrétiens vaudois garderont le plus dans leur mémoire sera certainement l’autorisation, depuis le 13 novembre 2004, d’y célébrer des messes. Un signe d’ouverture de la part des protestants vaudois que la communauté catholique du canton affirme apprécier. C’est au député écologiste et libéral, protestant, Jacques-André Haury qu’on doit l’idée d’ouvrir la bâtisse à d’autres communautés chrétiennes.
Est-il exact que les prémontrés de Bellelay ont inventé la tête de moine? Pourquoi l’évêque de Bâle se trouve-t-il à Soleure? Pourquoi les inhumations ont-elles été longtemps interdites à la Cathédrale de Lausanne? Ces questions (et bien d’autres) trouveront réponse dans la série d’été que l’Apic consacre à « ces lieux chargés d’histoire ». Une série de reportages à découvrir en juin et en juillet.
(apic/dng/bb)
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