Les gouvernements bradent les terres, au mépris des paysans
Johannesburg, 7 août 2009 (Apic) La propension des pays riches et des grandes entreprises multinationales à louer ou acheter de vastes terres de culture en Afrique noire pour y produire des vivres ou du biocarburant inquiète les paysans, éleveurs et observateurs. Elle fait craindre une dépossession des paysans pauvres de ces pays qui exploitent ces terres sans moyens.
A cause de l’augmentation de leurs populations, la Chine, la Corée du Sud et l’Inde, qui manquent de terres et d’eau, et des pays arabes financièrement puissants, signent des accords avec les gouvernements africains pour produire des vivres dans leurs pays, et les exporter, après récoltes, chez eux.
Dans une grande enquête intitulé : «Afrique: Les fermiers dépossédés de leurs terres?», l’agence de presse onusienne IRIN, (Réseau d’information régionale intégrée), l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), un organisme américain, fait état d’un « manque de transparence » dans beaucoup de ses accords. Leurs financements « restant en outre souvent aussi obscures ».
En Afrique de l’Est, une des régions les plus gravement touchées par les pénuries alimentaires en Afrique au sud du Sahara, la plupart des accords ont été conclus avec plusieurs pays arabes du Golfe. Pour Joachim von Braun de l’IFPRI et David Hallam de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), il est cependant encore « trop tôt » pour évaluer les répercussions de ces accords sur la sécurité alimentaire et les agriculteurs dans les pays bailleurs.
Au Kenya, les agriculteurs et éleveurs du delta du Tana, à l’extrême nord du pays, ont réagi violemment lorsqu’ils ont appris que le gouvernement comptait louer une grande partie de ces terres côtières au Qatar. Selon leur représentant, Mohammed Mbwana, qui est aussi responsable d’une organisation non gouvernementale locale, « Shungwaya Welfare », cet accord provoquerait le déplacement de milliers d’habitants. Au moins 150’000 familles issues d’agriculteurs et d’éleveurs dépendent de ces terres, qui feraient partie de la plus grande zone humide du Kenya.
Au Mozambique, les médias rapportent que les populations ont refusé de céder aux Chinois des terres louées.
A Madagascar, les négociations engagées avec la compagnie sud-coréenne, Daewoo Logistics en vue de la location de 1,3 million d’hectares de terres, pour y cultiver du maïs et des palmiers à huile, a provoqué en partie la chute du régime de Marc Ravalomanana, au début de cette année.
Au Malawi, les investisseurs chinois ont loué des terres exploitées par les populations locales à des fins agricoles dans la ville de Balaka (sud) pour y construire une usine de traitement de coton. Lorsque des manifestations de contestation contre ce projet ont éclaté, les chefs traditionnels de la région ont été emmenés en Zambie voisine pour y constater les avantages offerts par la Chine en termes de développement. A leur retour, ils ont cédé aux chants des sirènes.
Au Soudan, l’un des pays qui a reçu les investissements étrangers les plus importants dans le secteur agricole, les autorités ont écarté nie l’idée d’une nouvelle forme de colonialisme. Selon Abdeldafi Fadlalla Ali, commissaire fédéral à l’agriculture au ministère soudanais de l’Investissement, les autorités s’assurent toujours que les intérêts des populations locales soient servis dans le cadre de ces accords (les fruits et légumes sont vendus dans la région et les populations locales « deviennent les premiers bénéficiaires »).
Le Soudan, a indiqué Ali, compte 84 millions d’hectares de terres arables, dont seulement 20% sont cultivées, et a conclu 75 accords pour une somme totale de 3,5 milliards de dollars en huit ans. Sur cette somme, près de 930 millions ont déjà été investis. Huit pays, dont l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Koweït, l’Egypte, la Jordanie, la Chine et l’Inde, sont concernés.
En Afrique de l’ouest aussi, le Mali et le Sénégal ont signé des accords du même genre avec la Libye (Mali) et la Chine (Sénégal). Officiellement, ils visent à promouvoir l’agriculture à travers un échange bien particulier. Au Mali, Le projet Malibya porte sur l’affectation de 100’000 hectares sur un potentiel de 236’600 hectares dans le bassin de l’Office du Niger, en vue de production de riz. Le site de la présidence de la république du Mali situe ce projet dans le cadre de « l’augmentation, la diversification et la sécurisation des productions agricoles ». Mais, pour le quotidien malien « Le Soir », il ne fait plus « aucun doute » pour nombre de producteurs que « la Libye veut accaparer une bonne partie des rizières » du pays.
« Pendant que le gouvernement malien proclame sa volonté d’assurer l’autosuffisance alimentaire, il signe en même temps un nombre inquiétant d’accords avec des investisseurs étrangers. Ce qui permet, à ces derniers, d’avoir un contrôle sur les terres agricoles les plus importantes du pays, notamment sur les rizières », souligné le journal.
Au Sénégal enfin, plus de 80’000 hectares de terres ont été affectées à des personnalités influentes et puissantes du régime. Selon les adversaires du pouvoir, des entreprises se cacheraient derrière certaines de personnalités, pour leur exploitation.
Face à toutes ces spéculations foncières, l’ONG espagnole « Grain », qui lutte pour la promotion de la gestion et de l’exploitation durables de la biodiversité agricole, a averti que « ces terres, où se trouvent aujourd’hui des petites exploitations ou des forêts, ou encore autre chose seront transformées en de grandes propriétés industrielles, liées à des marchés lointains. Emploi ou non, les fermiers ne seront jamais plus de vrais fermiers », a-t-elle prévenu dans un rapport cité par IRIN.
L’IFPRI, de son côté, a appelé à élaborer un code de conduite, fondé sur le droit international des affaires, pour prévenir la corruption dans le contexte des investissements étrangers directs, afin de protéger les paysans africains démunis. (apic/ibc/pr)
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