Algérie: La Kabylie n’échappe pas à la vague néo-évangélique
Algérie, 19 janvier 2010 (Apic) Timides durant l’époque coloniale et le début de l’indépendance algérienne, les conversions au protestantisme se multiplient en Kabylie, région du nord de l’Algérie aux aspirations indépendantistes. Ces conversions, aujourd’hui massivement évangéliques, font l’objet d’un récent article publié par la chercheuse française au CNRS, Karima Dirèche (*).
L’historienne met en avant la visibilité de ces nouvelles conversions, effet paradoxal de la loi algérienne de 2006 qui tend à les réprimer, et porte un éclairage sur le contexte de leur développement.
« Suivant des chiffres très difficiles à vérifier, l’Algérie compterait aujourd’hui environ 20’000 protestants évangéliques issus de l’islam, surtout regroupés en Kabylie, où la seule ville de Tizi-Ouzou rassemblerait quinze assemblées rattachées à ce type de protestantisme », écrit Sébastien Fath, historien français spécialiste du protestantisme évangélique. Dans une récente étude sur les conversions néo-évangéliques en Kabylie, région aux revendications autonomistes, l’historienne française Karima Dirèche note la progression néo-évangélique par la prolifération de « cellules de prières » remarquées sur le terrain. « Petites maisons en ciment hâtivement construites dans des lieux improbables éloignés des axes, garages et petits locaux de commerce, arrière-boutiques, tout est bon pour réunir une poignée de pratiquants. »
Déjà présente durant l’époque coloniale en Algérie, notamment à travers la mission « Rolland », du nom de son fondateur – un ouvrier baptiste de Montbéliard – l’Eglise protestante y connaît alors une ampleur restreinte, peu comparable à celle des missions catholiques du cardinal Charles Martial Lavigerie (1825-1892). Se consacrant à l’évangélisation de l’Afrique, le cardinal Lavigerie fonda en 1868 la Société des missionnaires d’Afrique, plus connue sous le nom de Pères Blancs. Selon l’EPA, l’Eglise protestante d’Algérie, la population non musulmane d’Algérie au milieu du 20e siècle est composée de 10% de protestants contre 90% de catholiques.
Dès l’indépendance de l’Algérie, le travail de prédication et d’évangélisation protestantes demeure discret et les convertis silencieux dans une Algérie au nationalisme exacerbé. Si le réveil évangélique protestant marque la Kabylie au début des années 1980, c’est en juillet 2004, selon Karima Dirèche, au cours d’une campagne de presse, que le phénomène déchaîne les passions des journaux tant algériens que marocains.
La loi de mars 2006 a également braqué les projecteurs sur les nouveaux convertis. Cette législation relative à la réglementation de l’exercice du culte et des lieux de culte autres que musulmans, nommée aussi loi anti-prosélytisme, se veut, en théorie, garante de la paix entre les confessions. Répressive, elle vise notamment à empêcher les conversions des musulmans vers une autre religion. Paradoxalement, cette loi est estimée positive par les responsables d’Eglises, « puisqu’elle leur permet d’être visibles, de marquer le champ du religieux algérien mais surtout d’en finir avec des pratiques cultuelles souterraines et d’obtenir des agréments officiels », relate Karima Dirèche.
Contrairement au dessein de ses auteurs, la loi « permet d’accentuer le caractère algérien et donc national » des communautés religieuses des convertis.
Les conversions au néo-évangélisme s’inscrivent dans un contexte algérien de violence politique et idéologique: la décennie 1990, « décennie noire », a laissé place à la terreur et la guerre civile qui a fait plus de 200’000 victimes, opposant le gouvernement algérien à divers groupes islamistes. Cette violence a suscité le désarroi dans une Kabylie déjà encombrée de nombreuses crises. Elle a engendré une stigmatisation de l’islamisme et une perte de repères propices à l’évangélisation. « Et si les conversions à l’évangélisme provoquent autant d’émoi en Algérie et mobilisent l’énergie des hommes politiques, des théologiens, des législateurs et de la presse, c’est parce qu’elles renvoient à l’inanité des espoirs et du projet de société », écrit Karima Dirèche.
En Kabylie, le désenchantement induit par les années noires fait place à l’invocation d’un passé idéalisé. Au niveau politique, le Mouvement des tribus (âarch), qui émerge en 2001, renvoie aux structures anciennes d’une société kabyle précoloniale idéalisée où régnait la solidarité sociale. Au niveau religieux, le christianisme s’impose comme la religion d’origine du peuple kabyle, illustré par la figure de proue du Berbère qu’était saint Augustin (354-430). Evêque d’Hippone, en Algérie, saint Augustin, docteur de l’Eglise, n’aura cesse de prêcher, d’écrire, de catéchiser dans son diocèse africain, laissant derrière lui une considérable œuvre théologique et spirituelle.
Ce « mythe kabyle » a toujours fait partie du discours missionnaire, tant sous le cardinal Lavigerie que sous les missionnaires néo-évangéliques: « la Kabylie est abordée comme un univers d’islamisés et non de musulmans et toute la différence et l’intérêt sont là ».
Les causes des conversions sont multiples. Selon une analyse sociopolitique, la conversion pourrait traduire, et principalement en Kabylie, la tentative de s’opposer au pouvoir et de se distinguer face à l’arabo-islamisme idéologique nationaliste algérien. Le ministre des Affaires religieuses algérien, Bouabdellah Ghlamallah, trouve en effet que l’évangélisation « reflète un manque de nationalisme et un éloignement de la religion chez certains citoyens ».
Dans ce cas, la conversion s’apparente, comme le souligne Karima Dirèche, à un acte politique. « Car s’affirmer chrétien devient une revendication d’ethnicité qui renvoie à une histoire et à un patrimoine religieux bien plus anciens que celui de la communauté arabo-islamique dans laquelle on ne se reconnaît plus ». Mais les témoignages des 62 converti-e-s interviewé-e-s par la chercheuse ne renvoient pas qu’à des arguments de retour aux origines. Au contraire, la plupart revendiquent un passé musulman: « les néophytes évangéliques affirment leur autochtonéité, leur ancrage national et s’autorisent des discours interprétatifs sur la religion musulmane ». Leur connaissance les pousse à un comparatisme religieux plus qu’à un déni de l’islam.
Bien que toutes les personnes interviewées par la chercheuse s’accordent à dire qu’elles n’ont pas subi d’agressions relatives à leur conversion, l’année 2008 a vu la fermeture de 13 lieux de cultes évangéliques en Kabylie et une vague d’arrestations de convertis « au nom de l’identité religieuse des Algériens ». Pas plus tard que le 12 janvier 2010, une église protestante de Tizi-Ouzou était incendiée par des islamistes. LCG
(*) Karima Dirèche est chercheuse au CNRS. Historienne spécialiste de l’histoire sociale de l’Algérie à la période coloniale, elle est l’auteur, entre autres, de l’article cité: « Dolorisme religieux et reconstructions identitaires. Les conversions néo-évangéliques dans l’Algérie contemporaine », Annales. Histoire, Sciences Sociales, n° 5, septembre-octobre, EHESS, Paris, 2009, p. 1137-1162.
A paraître: Karima Dirèche, « Coloniser et évangéliser en Algérie: les dessous d’un mythe », in Bernard Heyberger et Rémy Madinier (dir.), Christianismes en terres musulmanes, Editions Karthala, Paris, 2010, 300 pages. (apic/lcg)
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