«Le Portugal a été une grande force de la foi catholique»

Voyage du pape Portugal: Les propos de Benoît XVI avant son arrivée à Lisbonne (Verbatim)

Lisbonne, 12 mai 2010 (Apic) Benoît XVI, dans la matinée du 11 mai 2010, s’est rendu à la rencontre des journalistes l’accompagnant dans l’avion qui le menait au Portugal. Durant 15 minutes, le pape a répondu à 3 questions des journalistes relayées par le Père Federico Lombardi, directeur du Bureau de presse du Saint-Siège. Voici la traduction intégrale des propos de Benoît XVI, sur la base de la transcription diffusée mercredi 12 mai par le Bureau de presse du Saint-Siège:

Père Lombardi :

« Quelles sont vos inquiétudes et vos sentiments sur la situation de l’Eglise au Portugal ? Que peut-on dire au Portugal, profondément catholique et porteur de la foi dans le monde par le passé, mais aujourd’hui en voie de profonde sécularisation, que ce soit dans la vie quotidienne ou au niveau juridique et culturel ? Comment annoncer la foi dans un contexte indifférent et hostile à l’Eglise ?

Benoît XVI :

Tout d’abord, bonne journée à vous tous, espérons que nous ferons un bon voyage, malgré le fameux nuage sous lequel nous nous trouvons. Quant au Portugal, j’éprouve surtout des sentiments de joie, de gratitude pour tout ce que ce pays a fait et fait encore dans le monde et dans l’histoire, et pour la profonde humanité de ce peuple, que j’ai pu connaître au cours d’une visite et grâce à de nombreux amis portugais.

Je dirais qu’il est vrai, très vrai que le Portugal a été une grande force de la foi catholique, qu’il a porté cette foi dans toutes les parties du monde; une foi courageuse, intelligente et créative; il a su créer une grande culture, nous le voyons au Brésil, au Portugal lui-même, mais aussi par la présence de l’esprit portugais en Afrique, en Asie.

D’autre part, la présence du sécularisme n’est pas quelque chose de totalement nouveau. La dialectique entre sécularisme et foi au Portugal a une longue histoire. Déjà, au 18e siècle, il existait une forte présence des Lumières, il suffit de penser au nom Pombal (Sebastião José De Carvalho E Melo, marquis de Pombal (1699-1782) était un homme politique portugais, ndlr). Ainsi nous voyons que pendant ces siècles le Portugal a toujours vécu dans la dialectique, qui s’est bien sûr aujourd’hui radicalisée et qui se manifeste par tous les signes de l’esprit européen actuel. Celle-ci me semble être un défi mais aussi une grande opportunité. Pendant ces siècles de dialectique entre illuminisme, sécularisme et foi, il y avait toujours des personnes qui voulaient créer des ponts et créer un dialogue, mais malheureusement la tendance dominante fut celle de l’adversité et de l’exclusion réciproque.

Aujourd’hui nous voyons que cette dialectique est précisément une chance, que nous devons trouver la synthèse et un dialogue profond et porteur. Dans la situation multiculturelle où nous sommes tous, on voit qu’une culture européenne uniquement rationaliste n’aurait pas de dimension religieuse transcendante, ne serait pas capable d’établir un dialogue avec les grandes cultures de l’humanité, qui possèdent toutes cette dimension religieuse transcendante, qui est une dimension de l’être humain.

Ainsi, penser qu’il y aurait une raison pure, anti-historique, qui existerait seulement par elle-même et qui serait ›la’ raison, est donc une erreur; nous découvrons de plus en plus qu’elle touche seulement une partie de l’homme, qu’elle exprime une certaine situation historique, qu’elle n’est pas la raison en tant que telle. La raison en tant que telle est ouverte à la transcendance et c’est seulement dans la rencontre entre la réalité transcendante, la foi et la raison que l’homme se trouve lui-même.

Ainsi je pense que le devoir, la mission de l’Europe dans cette situation sont précisément de trouver ce dialogue, d’intégrer la foi et la rationalité moderne dans une unique vision anthropologique qui complète l’être humain et qui permet ainsi aux cultures humaines de communiquer. C’est pourquoi je dirais que la présence du sécularisme est une chose normale, mais la séparation, l’opposition entre sécularisme et culture de la foi est anormale, et doit être dépassée. Le grand défi de notre époque est que ces deux derniers se rencontrent, de façon à trouver leur vraie identité. Voilà, comme je l’ai dit, la mission de l’Europe et la nécessité humaine dans notre histoire.

Père Lombardi :

La crise économique s’est récemment aggravée en Europe et concerne en particulier le Portugal. Certains leaders européens pensent que l’avenir de l’Union européenne est menacé. Quelles leçons peut-on tirer de cette crise, y compris sur le plan éthique et moral ? Quelles sont les clefs permettant de consolider l’unité et la coopération des pays européens à l’avenir ?

Benoît XVI :

Je dirais que cette crise économique, avec sa composante morale que personne ne peut ne pas voir, est précisément un cas d’application, de concrétisation de ce que j’ai dit auparavant, c’est-à-dire que deux courants culturels séparés doivent se rencontrer, sinon nous ne trouverons pas la route vers l’avenir. Ici aussi nous voyons un faux dualisme, c’est-à-dire un positivisme économique qui pense pouvoir se réaliser sans la composante éthique, un marché qui serait régulé uniquement par lui-même, par les forces économiques pures, par la rationalité positiviste et pragmatique de l’économie – l’éthique serait quelque chose d’autre, étrangère à cela.

En réalité, nous voyons maintenant qu’un pur pragmatisme économique qui fait abstraction de la réalité de l’homme – qui est un être éthique – ne finit pas de façon positive mais crée des problèmes insolubles. C’est pourquoi, le moment est venu de voir que l’éthique n’est pas une chose extérieure, mais interne à la rationalité et au pragmatisme économique.

D’autre part, nous devons aussi confesser que la foi catholique, chrétienne, était souvent trop individualiste, qu’elle laissait les choses concrètes et économiques au monde et pensait uniquement au salut individuel, aux actes religieux, sans voir que ces derniers impliquent une responsabilité mondiale, une responsabilité envers le monde. Ainsi, nous devons, ici aussi, entamer un dialogue concret.

Dans mon encyclique « Caritas in veritate » – et toute la tradition de la doctrine sociale de l’Eglise va dans ce sens – j’ai cherché à étendre l’aspect éthique et l’aspect de la foi à l’individu, à la responsabilité envers le monde, à une rationalité rendue performante par l’éthique. D’autre part, les derniers événements du marché, de ces deux-trois dernières années, ont montré que la dimension éthique est interne et doit entrer au sein de l’action économique, car l’homme est un. Il s’agit de l’homme, d’une saine anthropologie, qui implique tout. C’est seulement ainsi que l’on résout le problème, c’est seulement ainsi que l’Europe remplit et réalise sa mission.

Père Lombardi :

« Quelle signification ont pour nous aujourd’hui les apparitions de Fatima ? Lorsque vous avez présenté le texte du 3e secret au Bureau de presse du Saint-Siège, en juin 2000, il vous a été demandé si le message pouvait être étendu, au-delà de l’attentat contre Jean Paul II, notamment aux autres souffrances des papes. Est-ce possible, selon vous, d’inclure aussi dans cette vision les souffrances de l’Eglise d’aujourd’hui, pour les péchés des abus sexuels sur mineurs ?

Benoît XVI :

Tout d’abord je voudrais exprimer ma joie d’aller à Fatima, de prier devant la Vierge de Fatima, qui est pour nous un signe de la présence de la foi, un signe que c’est précisément des enfants que naît une nouvelle force de la foi, qui ne se réduit pas aux enfants, mais dont le message s’adresse au monde entier, atteint l’histoire précisément dans son présent et illumine cette dernière.

En 2000, durant la présentation, j’avais dit qu’une apparition, c’est-à-dire une impulsion surnaturelle, qui ne vient pas seulement de l’imagination de la personne, mais en réalité de la Vierge Marie, du surnaturel, entre chez une personne et s’exprime dans les possibilités de la personne. La personne est déterminée par ses conditions historiques et personnelles, par son tempérament, et elle traduit donc la grande impulsion surnaturelle dans ses capacités à voir, à imaginer et à exprimer. Mais, dans ses expressions formées par la personne, se cache un contenu qui va au-delà, plus en profondeur. Ce n’est qu’au cours de l’histoire que nous pouvons voir toute la profondeur, qui était – on pourrait dire – ›habillée’ par cette vision possible à des personnes concrètes.

Ainsi je dirais qu’ici aussi, en plus de cette grande vision de la souffrance du pape, qui peut d’abord faire référence au pape Jean Paul II, il est aussi question de réalités de l’avenir de l’Eglise qui peu à peu se développent et se manifestent. C’est pourquoi il est vrai qu’au-delà du moment indiqué dans la vision, on parle, on voit la nécessité d’une passion de l’Eglise, qui naturellement se reflète dans la personne du pape, mais le pape représente l’Eglise et ce sont donc des souffrances de l’Eglise qui sont annoncées. Le Seigneur nous a dit que l’Eglise serait toujours souffrante, de différentes manières, jusqu’à la fin du monde.

Il est important que le message, que la réponse de Fatima ne conduise pas essentiellement à des dévotions particulières, mais plutôt à la réponse fondamentale, c’est-à-dire à la conversion permanente, à la pénitence, à la prière et aux trois vertus cardinales: foi, espérance et charité. Ainsi, nous voyons ici la véritable réponse fondamentale que l’Eglise doit donner, que chacun d’entre nous doit donner face à cette situation.

Concernant les nouveautés que nous pouvons découvrir aujourd’hui dans ce message, il y a aussi le fait que les attaques contre le pape et l’Eglise ne viennent pas seulement de l’extérieur mais que les souffrances de l’Eglise viennent précisément de l’intérieur de l’Eglise, du péché qui existe dans l’Eglise. On a toujours su cela mais aujourd’hui, nous le voyons de façon réellement terrifiante: la plus grande persécution de l’Eglise ne vient pas d’ennemis extérieurs mais elle naît du péché de l’Eglise et l’Eglise a donc profondément besoin de réapprendre la pénitence, d’accepter la purification, d’apprendre le pardon, mais aussi la nécessité de la justice. Le pardon ne remplace pas la justice.

En un mot, nous devons réapprendre précisément l’essentiel: la conversion, la prière, la pénitence et les vertus théologales. Ainsi, nous répondons, nous sommes réalistes et nous nous attendons à ce que le mal puisse toujours attaquer, qu’il attaque de l’intérieur et de l’extérieur, mais que les forces du bien sont aussi toujours présentes et que, au final, le Seigneur est plus fort que le mal, et la Vierge nous assure de façon visible et maternelle de la bonté de Dieu, qu’Il est toujours le dernier mot dans l’histoire. (apic/imedia/be)

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