Fribourg: Rencontre avec Mgr Willy Ngumbi Ngengele, évêque du diocèse de Kindu, au Congo RDC

Chez nous, l’Etat étant absent, c’est l’Eglise qui est la colonne vertébrale de la société

Fribourg, 18 août 2010 (Apic) «Chez nous, dans le Maniema, l’Etat étant absent, c’est l’Eglise qui est la colonne vertébrale de la société… » Mgr Willy Ngumbi Ngengele, évêque du diocèse de Kindu, une partie de l’ancien Kivu, à l’Est du Congo démocratique, ne parle pas la langue de bois. Il est depuis l’été 2007 évêque du diocèse de Kindu, une région enclavée qui a été dévastée durant des années par les bandes armées qui ont ensanglanté tout l’Est du Congo. Mgr Willy, le plus jeune évêque de l’épiscopat congolais, visitait ces jours-ci les œuvres suisses d’entraide.

La superficie du diocèse de Kindu est le double de celle de la Suisse, mais les comparaisons s’arrêtent là. Sur une population de près de 800’000 habitants, quelque 280’000 sont catholiques, tandis que 30% sont musulmans et le reste appartient aux religions traditionnelles africaines (que l’on appelait autrefois «animistes»). Pourquoi tant de musulmans dans cette région au cœur de l’Afrique ?

Forte présence musulmane dans le Maniema

Plusieurs décennies avant l’arrivée dans le Maniema, il y a un peu plus d’un siècle, des premiers missionnaires catholiques – des Pères Blancs – , des musulmans venus de la côte orientale de l’Afrique, de Zanzibar et de Tanzanie, s’étaient déjà installés dans ce qui allait devenir le berceau de l’islam en RDC.

Parlant le swahili, de souche bantoue mais profondément arabisés, ces musulmans pénétrèrent vers 1860 dans l’Est de l’actuelle République démocratique du Congo. Ils y bâtirent de grandes cités telles que Kasongo, Kabambare, Nyangwe, Kisangoni, Ubundu et Lomami. C’est pour lutter contre leur influence que Mgr Victor Roelens, premier évêque du vicariat apostolique du Haut Congo, y envoya des missionnaires. Kasongo en effet était devenu vers la fin du XIXème siècle principale base militaire et commerciale de l’«empire» arabo-swahili bâti notamment par le fameux Tippo-Tip (*), un marchand d’esclaves originaire de Zanzibar.

Mais aujourd’hui, après des décennies d’hostilité réciproque – le Concile Vatican II est passé par là ! – les tensions se sont apaisées, le dialogue et la cohabitation islamo-chrétienne dans le Maniema sont une réalité palpable.

Panser les plaies d’années de guerre et de chaos

«Le premier problème que nous devons affronter, ce n’est pas la question de l’islam, mais les séquelles de la guerre qui a déchiré la province du Maniema entre 1998 et 2003», confie l’évêque de Kindu. Tout près de la ville se trouvait une grande base des rebelles Maï-Maï, qui avaient installé leur QG à Katako, dans le presbytère et le centre de développement et de promotion rurale. Au départ, ils étaient considérés comme des «patriotes» congolais parce qu’ils se sont battus contre les envahisseurs rwandais. A cette époque, «Kinshasa était absent, la région était laissée à elle-même… c’était le chaos total, sans policiers, sans juges».

Les Maï Maï étaient très implantés dans la région de Kindu, et ils y avaient recruté beaucoup de jeunes, des enfants de 10-12 ans. Une bonne partie d’entre eux sont désormais démobilisés, grâce aux efforts de la Mission des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC).

«Parmi ces enfants soldats, témoigne l’évêque de Kindu, il y avait même des enfants de choeur que je connaissais. On les avait pris de force, arrachés de l’école primaire, pour les emmener dans la forêt et en faire des soldats. Beaucoup ont appris à vivre sur le dos de la population, en pillant. Certains ont tué, violé des femmes et des filles. Au départ, le mouvement Maï Maï représentait une autodéfense contre les envahisseurs, ils ont freiné l’avance des troupes rwandaises, mais cela a vite dégénéré. Ce qu’ils ont fait après est terrible. La toute puissance des armes leur a fait tourner la tête».

La MONUC parle parfois de 6’000 enfants combattants qu’elle a récupérés à Kindu et à Kasongo. «Difficile à confirmer, mais c’est sûr qu’il s’agit de milliers d’enfants, car chaque village avait son groupe de Maï Maï. Ce phénomène a divisé les communautés, alors maintenant l’Eglise s’attache à mettre en oeuvre un processus de réconciliation entre les villages», poursuit Mgr Willy Ngumbi Ngengele.

L’Eglise propose le pardon et la réconciliation

Mais la récupération est difficile, car la population est traumatisée par les violences qu’elle a subies. «On est en train de payer les conséquences de cette époque, des années après ! On a utilisé le viol comme arme de guerre, des milliers de femmes et de fillettes ont été abusées, elles en gardent des blessures profondes». L’évêque a envoyé une religieuse de son diocèse étudier à Kinshasa la psychologie pour aider les victimes à surmonter le traumatisme des viols. Des ONG comme l’agence américaine Catholic Relief Services (CRS) ou la Caritas diocésaine travaillent déjà dans ce secteur.

Aujourd’hui, alors que les Maï Maï, qui ont commis tant d’atrocités, sont pour la plupart démobilisés, l’évêque de Kindu se demande s’il faut les amener devant la justice – «cela pourrait être ressenti comme de la vengeance» – ou s’il ne faut pas plutôt favoriser la réconciliation. L’Eglise est très engagée dans ce processus: «les gens demandent pardon lors de sessions, ils se parlent, ils vident leur sac au cours de la palabre… ils reconnaissent leurs crimes».

Des gens qui hier encore se sont combattus travaillent désormais ensemble pour reconstruire un pont ou d’autres infrastructures détruites durant les combats, témoigne Mgr Willy Ngumbi Ngengele, car ils sont conscients que ceux qui ont profité de ces violences, ce sont avant tout les «seigneurs de la guerre». Certains d’entre eux sont jugés devant la Cour internationale de justice de La Haye ou sont en prison en RDC. «Dans l’ensemble, les gens arrivent à se pardonner, même s’ils n’oublient pas le mal qui a été fait».

Le Maniema, enclavé géographiquement entre le Kasai-Oriental à l’ouest, la Province Orientale au nord, le Nord-Kivu et le Sud-Kivu à l’est, et le Katanga au sud, n’a pas de frontières vers l’extérieur. La région est isolée des autres provinces en raison de l’état désastreux du réseau routier et les déplacements entre un village et son chef-lieu de territoire peuvent prendre plusieurs jours. Le passage d’un véhicule dans un village constitue un véritable événement, tandis que Kindu, la capitale provinciale, a plus l’air d’un «grand village» que d’un chef lieu de province.

«S’il n’y avait pas l’Eglise, il n’a aurait rien chez nous, tant au plan social qu’éducatif, sans parler des médias et de l’information en général», assène l’évêque de Kindu. Les congrégations religieuses tiennent les écoles, les collèges, l’aumônerie des prisons. «C’est l’Eglise qui apporte la nourriture dans beaucoup de prisons, car l’Etat n’a pas de budget pour cela… Les communautés de quartier, les charismatiques, la Légion de Marie, les scouts paroissiaux, les Focolari, l’aumônerie des prisons, tous font des collectes dans la rue pour nourrir les prisonniers. L’Eglise, chez nous, c’est la colonne vertébrale de la société, les autorités le reconnaissent ! »

Mais l’évêque de Kindu met en garde: «L’Eglise doit donner des principes éthiques, attirer l’attention sur la doctrine sociale chrétienne, mais elle ne peut faire la politique à la place des politiciens. Elle doit surtout garder sa liberté, pour pouvoir critiquer les pouvoirs en place. Sur beaucoup de questions, seule l’Eglise peut parler, car les gens ont peur de perdre leur travail s’ils dénoncent des injustices. Il est donc important que l’Eglise garde sa différence, qu’elle puisse se faire la voix des sans-voix…»

Malgré l’important travail de réconciliation que mène l’Eglise sur place, les problèmes sont toujours présents, car ceux qui détiennent les armes sont plus que jamais attirés par les richesses minières qui abondent: «l’argent facile, c’est ce qui alimente les conflits… Les groupes armés ont de grandes réserves, ce qui leur permet de corrompre les gouverneurs et les responsables politiques…».

Ces richesses minières, qui ne profitent pas à la population locale, sont arrachées au sol par la population qui est peu payée pour ce travail. Les précieux minerais transitent par les villes de Goma, Bukavu, Kinshasa, tandis qu’à Kigali, dans le pays voisin, on trouve même un «quartier coltan» (**). Ce sont ces richesses qui ont permis de financer la guerre. Le commerce des «minerais de sang» – l’oxyde d’étain, le coltan, la wolframite et l’or – alimente en effet les conflits ethniques au Congo RDC et dans les pays voisins. Ils devraient cependant être mieux contrôlés à l’avenir. La Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) a salué au début du mois la nouvelle loi américaine sur les «minerais des conflits», relevant qu’en RDC, les immenses richesses naturelles du pays deviennent la cause de la misère des Congolais. JB

Encadré

Né il y a 45 ans à Bujumbura de parents congolais expatriés pour des raisons professionnelles, Mgr Willy Ngumbi Ngengele a passé ses premières années au Burundi. Mais c’est de retour dans sa région d’origine qu’il allait rencontrer les «Pères Blancs» et finalement se décider à devenir lui-même un «Missionnaire d’Afrique». Après son «philosophat» chez les Pères Blancs au Grand Séminaire de Bukavu (de 1984 à 1987), une période de noviciat à l’Africanum de Fribourg (de 1987 à 1988), il fait, de 1988 à 1990, son stage apostolique dans la ville de Birnin N’Konni, parmi les musulmans du Niger. Il y apprend très vite la langue du milieu, le «haoussa», afin de communiquer avec la population. De 1990 à 1993, il fait ses études de théologie à Toulouse où il obtient la licence en théologie.

Après son ordination sacerdotale en 1993, le Père Willy est envoyé en mission à Zinder, la deuxième ville du Niger, dans un pays à très grande majorité musulmane, où les chrétiens ne font même pas 1% de la population. Le Père Willy se sent très à l’aise dans la pastorale de la rencontre, c’est-à-dire le dialogue avec l’islam. En 1996, il est nommé à la communauté de Birnin N’Konni où il avait fait son stage apostolique. Il continue la pastorale de la rencontre. Comme il maîtrisait parfaitement le «haoussa», il donne un coup de main pour enseigner cette langue aux nouveaux missionnaires qui arrivent dans les régions où l’on parle cette langue.

En 1997, ses supérieurs lui demandent de retourner au Congo et d’aller faire de l’animation vocationnelle au foyer Ngongo à Goma, la propédeutique des missionnaires d’Afrique. Il restera à Goma jusqu’en 2001, avant d’être nommé assistant provincial des Missionnaires d’Afrique de la Province du Sud-Est Congo qui comprenait l’ancien Kivu et le Katanga. A la fin de son mandat d’assistant provincial en 2003, le Père Willy est nommé à Lyon, en France, afin de se préparer pour diriger une maison de formation. Sa formation à Lyon terminée, le Père Willy est nommé comme formateur à l’année spirituelle (noviciat) des Missionnaires d’Afrique à Bobo-Dioulasso au Burkina Faso. C’est alors qu’il occupait cette fonction qu’il a été nommé évêque de Kindu. JB

(*) De son vrai nom Hamed Ben Mohamed Ben Yuma Ben Rajab El Murjebi

(**) Le coltan (colombite-tantalite) est utilisé par les industries des pays du Nord produisant les téléphones portables et les ordinateurs

Des photos de Mgr Willy Ngumbi Ngengele peuvent être obtenues à l’apic: jacques.berset@kipa-apic ou apic@kipa-apic.ch, tél. 026 426 48 01 (apic/be)

webmaster@kath.ch

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/chez-nous-l-etat-etant-absent-c-est-l-eglise-qui-est-la-colonne-vertebrale-de-la-societe/