Précurseur et protagoniste de la «théologie africaine»
Ouagadougou, 29 septembre 2010 (Apic) «Originaire d’une famille pratiquant la religion traditionnelle, j’ai été en 1948 le premier baptisé de la famille. D’autres membres ont suivi, mes frères et sœurs, ma maman. Mon père n’a été baptisé qu’au moment de sa mort… » témoigne Mgr Anselme Titianma Sanon. L’archevêque de Bobo-Dioulasso (*), la capitale économique burkinabé située au sud-ouest du Burkina Faso, fut dès les années 1970 un précurseur de la «théologie africaine». L’Apic l’a rencontré en ce mois de septembre à Ouagadougou, la capitale du «pays des hommes intègres».
Docteur en théologie de l’Institut Catholique de Paris (**), Anselme T. Sanon compte parmi les théologiens de l’inculturation qui cherchent à favoriser une véritable rencontre entre le christianisme – à ses yeux encore trop marqué par son héritage culturel méditerranéen – et les cultures africaines. Ce théologien de 73 ans a ouvert des perspectives nouvelles sur le christianisme africain et permis de renouveler le débat sur l’africanisation des espèces eucharistiques. Il s’est également interrogé sur la façon dont le Christ devait être présenté dans les cultures africaines et a mis en valeur la notion de «l’Eglise-famille» qui a connu un certain succès lors de l’assemblée spéciale du Synode pour l’Afrique en 1994.
Les débuts de l’évangélisation du Burkina remontent en effet à 1900 avec la fondation à Koupéla, à l’est du pays, de la première mission catholique des Pères Blancs. Le second poste fut ouvert l’année suivante à Ouagadougou, puis c’est la naissance de la Préfecture apostolique de Bobo-Dioulasso, au sud-ouest, en 1927. C’est donc une chrétienté neuve, si l’on peut dire. Mais la religion traditionnelle dans cette région est ancestrale, le peuple est très religieux. Etre Africain, c’est faire partie d’une culture imprégnée de religion. On est d’une terre que l’on cultive, on est sur un héritage que l’on vénère, on fait partie d’une société dans laquelle on se développe. C’est un tout. C’est sur cette culture qu’arrive l’Evangile.
Le missionnaire qui vient chez nous est également le produit d’une culture, qu’il a identifiée avec le message dont il est porteur. L’Evangile a une vocation universelle, mais sa transmission est culturelle, et dans notre cas, elle est marquée par la tradition occidentale. Certes, le milieu africain est amené à s’ouvrir, une interaction est nécessaire. Mais on ne peut faire abstraction de la tradition culturelle dans la façon de prier et dans la formulation doctrinale.
En Occident, la vision de la famille est celle d’un père, d’une mère, des enfants. Pour nous, la famille c’est une maison, un héritage, tout une chaîne de transmission qui prend en compte les généalogies. Les racines ethniques et les origines ancestrales sont primordiales. Si mon oncle est mort, d’une certaine façon je suis mort aussi. Si mon grand frère est malade, je suis aussi malade…
C’est vrai que quand les gens vont en ville, ils sont sur ce territoire comme citoyens, mais leur enracinement est ailleurs, il reste au village. Dans notre vision d’«Eglise-famille», les racines sont là où nous vivons la foi de l’Eglise, où l’on reçoit les sacrements. Nous formons des communautés ecclésiales de base vivantes où se retrouvent des chrétiens de toutes les ethnies, origines et provenances. Ils y trouvent une ouverture par rapport aux pesanteurs de la communauté d’origine, c’est une vision libératrice.
Des missionnaires viennent chez nous bardés de 20 siècles de christianisme et ce qu’ils trouvent, c’est un développement social qui se situe au niveau du Moyen Age… Mais les gens comprennent l’Evangile, l’Ancien Testament bien mieux que le catéchisme, car ce qu’ils y entendent leur parle, ils peuvent se reconnaître dans cette réalité.
Nous devons donner à ce message des racines culturelles. L’Encyclique «Redemptoris missio» du pape Jean Paul II emploie ce terme: «enraciner», c’est plus profond que la simple inculturation, bien que le Synode pour l’Afrique ait retenu le concept d’«inculturation». Dans notre réalité, où se côtoient plus de 60 nationalités ou ethnies, autant de langues et de dialectes, où les chrétiens sont quelque 20% de la population, aux côtés des religions africaines traditionnelles et de l’islam majoritaire, nous devons parler non seulement le langage de la rationalité, mais également celui du cœur et du corps. Une vérité froide ne vous nourrit pas ! Pour notre réalité, l’Occident est trop rationaliste… L’intelligence de la raison n’est pas suffisante, il faut l’intelligence du cœur. Quand le pape Jean Paul II a publié son encyclique «Foi et raison» (Fides et Ratio), j’ai dit «Foi, raison et culture».
La culture, pour nous, est primordiale: ainsi le monde de la sorcellerie par exemple est de plus en plus présent chez nous. C’est un moyen de défense et de structuration. On rencontre effectivement cette «double assurance»: aller à la messe et ensuite adorer les idoles. Les gens cherchent les symboles de protection que le milieu fournissait et que l’Eglise est censée donner. Ils cherchent une garantie. Du côté de l’Eglise, on a les sacrements, les médailles… Avec une foi enracinée, une vie chrétienne sacramentale, on ne donne pas des signes magiques, mais des signes et des symboles de la foi, c’est là toute la différence. JB
(**) C’est en 1975 que l’abbé Anselme Titianma Sanon est nommé évêque de Bobo-Dioulasso qui, à l’époque, était plus vaste qu’aujourd’hui, puisqu’il regroupait la plupart des diocèses actuels de l’Ouest du Burkina, l’ancienne Haute-Volta. L’évêque prend pour devise «Venu pour servir et donner sa vie».
La préfecture apostolique de Bobo-Dioulasso a été créée en décembre 1927 par détachement des vicariats apostoliques de Bamako, au Mali, et de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Elle fut érigée en vicariat apostolique en mars 1937, puis en évêché en septembre 1955, enfin en archevêché en décembre 2000. Le diocèse de Bobo-Dioulasso, d’une superficie de 24’415 km2, compte plus de 1,5 million d’habitants, dont quelque 130’000 catholiques baptisés et 15’000 catéchumènes.
(*) La thèse de doctorat d’Anselme Titianma Sanon à la Faculté de Théologie de l’Institut Catholique de Paris s’intitule «Tierce Eglise, ma mère, ou la conversion d’une communauté païenne au Christ» (1970). Mgr Anselme T. Sanon est également le co-auteur, avec René Luneau, de l’ouvrage «Enraciner l’évangile: initiations africaines et pédagogies de la foi, rites et symboles». Paris, Les Editions du Cerf (1982). Voir également «Jésus, Maître d’initiation – Chemins de christologie africaine», éd. par Bukasa Kabongo, Paris, Desclée, 1986.
Au Burkina Faso, l’Eglise catholique compte actuellement 13 diocèses, répartis dans trois provinces ecclésiastiques :
– la province ecclésiastique de Ouagadougou, dirigée par Mgr Philippe Ouédraogo, compte 4 diocèses: Ouagadougou, Koudougou, Ouahigouya, Manga;
– la province ecclésiastique de Bobo-Dioulasso, avec Mgr Anselme Titianma Sanon, est composée de 5 diocèses : Bobo-Dioulasso, Diébougou, Dédougou, Banfora et Nouna.
– la province ecclésiastique de Koupéla, avec à la tête Mgr Séraphin Rouamba, est formée de 4 diocèses : Koupéla, Kaya, Fada N’Gourma, Dori. (apic/be)
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