Bhoutan : Un chrétien bhoutanais condamné à trois ans de prison pour avoir projeté des films sur le christianisme

Naître chrétien ou rester bouddhiste

Bhoutan, 22 octobre 2010 (Apic) Le 6 octobre dernier, le tribunal de Gelephu a condamné Prem Singh Gurung à trois ans de prison pour « incitation à troubler l’ordre public ». A l’origine de cette condamnation, des séances de cinéma organisées dans des villages, au cours desquelles il lui est reproché d’avoir projeté des films parlant du christianisme, rapporte l’agence Eglises d’Asie dans un communiqué du 21 octobre.

Selon l’organe de presse officiel Kuensel, Prem Gurung a été arrêté quatre mois plus tôt, le 21 mai dernier, à la suite d’une plainte des habitants des villages de Gonggaon et de Simkharkha. Ces derniers s’étaient rendus, à son invitation, à voir des films népali, mais entre les projections, il aurait diffusé des films sur le christianisme.

Outre « l’incitation à troubler l’ordre public », le chrétien est accusé d’avoir violé la loi sur les médias, l’information et la communication promulguée en 2006, selon laquelle toute projection publique de film est soumise à un visionnage préalable par les autorités.

Interdiction de tout prosélytisme

La liberté religieuse est cependant inscrite à l’article 7 de la nouvelle constitution de l’Etat, promulguée en 2008. Mais, comme le rapporte le quotidien Bhutan Observer, citant les propos du ministre de l’Intérieur bhoutanais, Lyonpo Minjur Dorji : « Il n’y a absolument aucun problème si vous naissez chrétiens… La Constitution vous protège. Mais il est tout à fait illégal de chercher à convertir (…). Si nous avons des preuves de prosélytisme dans notre pays, nous nous devons de prendre des mesures immédiates ».

Dans le royaume bouddhiste himalayen, le protectionnisme est une vertu quasi érigée en dogme d’Etat. Malgré l’impulsion moderniste donnée par le jeune souverain Jigme Khesar Namgyel, qui a accédé au trône en 2008 et poursuivi le programme de démocratisation amorcé par son père, la « cohésion nationale » est devenue le mot d’ordre de l’Etat bhoutanais. Au Bhoutan, toute autre religion – et le christianisme en particulier – est considérée comme une menace pour l’identité bhoutanaise et comme l’avant-garde d’un Occident aux « influences néfastes ». La dernière manifestation de cette stigmatisation du christianisme est une loi anti-conversion. Votée très prochainement par le Parlement bhoutanais, cette loi suscite une forte inquiétude dans les milieux chrétiens, déjà en butte à de nombreuses et croissantes discriminations (*). Elle vise à punir d’un à trois ans d’emprisonnement « toute tentative par la séduction ou par quelque moyen que ce soit » pour « convertir un citoyen bhoutanais à une autre religion que la sienne ». Dans le cas de Prem Singh Gurung, elle semble être appliquée avant même son vote par le Parlement (**).

Non respect de la liberté religieuse

La nouvelle de l’emprisonnement du chrétien n’a été connue que tardivement, les autorités bhoutanaises ne voulant pas ébruiter le verdict du 6 octobre. Une semaine plus tard – le 14 octobre –, une version officielle est parue dans le quotidien Kuensel, puis a été reprise par différents médias (Bhutan News Service le 17 octobre et Compass Direct News le 20 octobre.

Si l’Etat bhoutanais n’a fait aucun commentaire sur l’événement, certains membres de la communauté hindoue ont réagi par l’intermédiaire de blogs et de groupes de discussion. Sur le site du Bhutan News Service, par exemple, un certain Sushil s’indigne : « C’est comme cela que nous étions traités lorsque nous essayions de célébrer nos fêtes dans les années 1980-1990 au Bhoutan (…). Que faut-il encore à la communauté internationale pour qu’elle comprenne enfin que certaines communautés ne peuvent jouir de la liberté de religion ! (…) L’ONU devrait apprendre au Bhoutan ce qu’est la vraie définition du Bonheur National Brut (***) ».

Répartition confessionnelle

Selon les statistiques officielles, plus de 75 % des 680 000 Bhoutanais sont bouddhistes, répartis dans les régions de l’ouest et de l’est. 22 % sont hindous – la plupart d’origine népalaise – et occupent la partie méridionale du pays. Les Eglises chrétiennes étant « souterraines », il existe aucunes statistiques précises les concernant. Selon des sources essentiellement protestantes, les chrétiens seraient entre 3 000 et 6 000, toutes confessions confondues, parmi lesquels se trouveraient quelques centaines de catholiques. Récemment, la Bible a été traduite en dzongkha, la langue nationale, attestant le développement d’une Eglise indigène.

Prem Gurung est un chrétien âgé d’une quarantaine d’années, bhoutanais d’origine népalaise de Tarithang, dans le district de Sarpang. Dans cette partie sud du pays coexistent des communautés hindoues et chrétiennes ; de petites et discrètes minorités religieuses dans un pays où le bouddhisme sous sa forme tantrique Vajrayana (lamaïsme) est religion d’Etat.

(*) Bien que soit révolue l’époque où le christianisme était banni du territoire, le prosélytisme, l’entrée de missionnaires ou de religieux, la publication de bibles, la construction d’églises, d’écoles ou d’autres institutions chrétiennes, ainsi que la pratique du culte en dehors de la sphère privée sont toujours interdits au Bhoutan. Seul le P. Kinley Tshering, jésuite du diocèse de Darjeeling et affilié à la famille royale régnante, est autorisé à résider épisodiquement au Bhoutan. Ces dernières années, les dénonciations et plaintes contre les chrétiens se sont multipliées ainsi que les profanations de sépultures.

(**) Le projet de loi anti-conversion, qui s’appuie sur l’article 463 du Code pénal bhoutanais, sera voté par le Parlement lors de la prochaine « session d’hiver ».

(***) Cette expression a été forgée au début des années 1970 par le père de l’actuel roi. Alors que son pays s’ouvrait au monde extérieur et se mesurait à l’économie des pays capitalistes, il a déclaré que le « Bonheur National Brut était plus important que le Produit National Brut ». Devenu aujourd’hui un véritable programme politique, le concept repose sur une évaluation du développement économique, de la préservation de la culture bhoutanaise, de la bonne gestion de l’environnement et d’une gouvernance responsable. (apic/eda/ggc)

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