L’Etat et les entreprises sommés de respecter la dignité des travailleurs
Copiapo, 10 novembre 2010 (Apic) Un mois après le sauvetage largement médiatisé des 33 mineurs chiliens prisonniers dans la mine de Copiapo, dans la région d’Atacama, au nord du Chili, l’Apic a rencontré Mgr Gaspar Quintana, évêque de Copiapo, la ville la plus proche du puits de San José. L’évêque chilien n’est pas tendre envers le gouvernement et les propriétaires de la mine.
Marqué par la foi et l’espérance des familles et des mineurs, incommodé parfois par le « show » médiatique, l’évêque n’hésite pas surtout à fustiger le manque de responsabilité de l’Etat et la cupidité des compagnies minières, plus soucieuses de profits que de garantir la sécurité de leurs employés.
Mgr Quintana: Depuis la libération des « 33 », je n’ai pas eu de contact direct avec eux, mais j’ai régulièrement de leurs nouvelles par l’intermédiaire de leurs familles. Globalement, ils vont bien. Ils aspirent à se reposer et à retrouver le calme après une aventure physiquement et nerveusement éprouvante, ainsi que des sollicitations médiatiques dont ils ont été l’objet.
Certains se reposent dans leur logement, ici à Copiapo. D’autres sont allés se ressourcer dans leur région d’origine, parfois très éloignée. Quelques uns enfin ont profité des invitations de médias européens pour faire un peu de tourisme sur le Vieux Continent.
Mgr Quintana: D’abord, de la joie, du soulagement et de la satisfaction de voir que la mission a été accomplie avec autant de succès. Je ne peux cependant m’empêcher de repenser à cette attente, longue et douloureuse, qui a marqué ces hommes et leurs familles. En particulier durant les dix-sept premiers jours qui ont suivi l’éboulement et durant lesquels nous étions sans nouvelles des mineurs ensevelis sous 700’000 tonnes de roches. Mais, grâce à Dieu, à la confiance des mineurs, à leur sens de l’organisation et à leur discipline, mais aussi grâce à l’efficacité et le professionnalisme des secours, l’histoire s’est bien terminée.
Mgr Quintana: Face à une telle situation de douleur, les familles avaient plus que jamais besoin de la présence de l’Eglise à leurs côtés. J’y ai souvent célébré la messe, mais j’ai surtout passé le plus de temps possible à écouter les familles, en assurant ce que j’appelle le « ministère de l’accompagnement et de la consolation. »
Je dois dire que j’ai été impressionné par la force de l’espérance de ces femmes et de ces hommes. J’ai également été interpellé par la réflexion qu’un tel évènement a suscitée chez nombre de fidèles. Certains m’ont confié par exemple qu’ils se sont interrogés sur ce que Dieu voulait leur dire en leur mettant cette épreuve et cette souffrance dans leur vie. D’autres ont évoqué la fragilité humaine et l’humilité indispensable à conserver face à la nature, en dépit de l’avancée de la technologie et de la science. D’autres enfin ont avoué réfléchir à leur foi dans la miséricorde de Dieu. Je dois dire que ces moments ont été très importants pour moi aussi. En tant qu’évêque, j’ai également beaucoup appris, car j’ai eu le sentiment que l’évangélisation a véritablement fonctionné dans les deux sens.
Mgr Quintana: Effectivement, nous avons souvent prié ensemble à leur demande. Certains m’ont dit à quel point ils avaient besoin de sentir la présence de Dieu pour mener à bien ce qu’ils considéraient comme la mission la plus difficile de leur carrière. Ils m’ont souvent avoué qu’ils avaient besoin de lumière, de sagesse et de force pour prendre les bonnes décisions afin de ne pas mettre en péril la vie de ces hommes bloqués au fond.
J’ai été marqué de voir ces professionnels extrêmement pointus dans leurs domaines de compétences, demander humblement l’aide de Dieu pour mener à bien leur mission. Je n’ai que très peu utilisé le terme de « miracle » à propos de ce sauvetage, car je pense que le vrai miracle de Dieu a été de faire son œuvre à travers les médiations humaines. C’est en effet le travail, l’intelligence et la volonté de tous qui ont permis de réaliser le miracle que Dieu suscite. Car Dieu agit à travers l’intelligence, l’initiative, les qualités et la personnalité de chacun d’entre nous.
Mgr Quintana: Il y a deux manières de considérer la couverture médiatique de cette histoire. De l’avis même des familles, la présence des médias, notamment peu de temps après l’éboulement, a sans aucun doute mis une certaine pression sur les politiques pour qu’ils agissent rapidement. En cela, ils ont eu raison. En revanche, la cohabitation au sein du camp Esperanza entre les familles et les quelques 2’000 journalistes venus de toute la planète pour couvrir l’évènement n’a pas toujours été facile et bon nombre d’entre elles se sont plaintes du peu de respect de leur intimité et de leur pudeur.
Par exemple, la maman et le frère de Florencio Avalos, le premier mineur à sortir, ont été littéralement assaillis par une centaine de journalistes pour donner leurs premières impressions. D’autres familles ont dû menacer certains journalistes d’aller se plaindre à la police pour les empêcher de filmer, sans autorisation, dans les tentes où se reposaient les proches. Heureusement, tout cela est du passé et les choses sont plus calmes désormais à Copiapo.
Mgr Quintana: Tout le monde s’accorde à dire que cela ne doit plus jamais arriver !
Il est indispensable que l’Etat et les compagnies minières prennent désormais les décisions qui s’imposent pour valoriser la dignité du travail humain. Car le travail n’est pas une marchandise qui s’achète et se vend. Il fait partie de la vie et chacun a le droit de travailler avec un maximum de sécurité possible, d’entrer dans la mine dignement et… d’en sortir sain et sauf !
Il faut rappeler que cette mine avait déjà connu deux accidents graves qui auraient déjà dû alerter les pouvoirs publics. L’Etat doit donc prendre ses responsabilités et faire en sorte que la sécurité des mines soit contrôlée et que le travail ne soit pas une aventure. De par les difficultés économiques qu’ils rencontrent, les mineurs acceptent trop souvent de travailler dans des situations dangereuses. Certains sont tellement novices qu’ils ignorent leurs droits.
Quant aux entreprises, elles ont le devoir d’offrir des conditions de travail sûres. Par exemple, dans la région de l’Atacama, sur un millier de centres miniers environ, moins d’une centaine ont été contrôlés par l’Etat. Il est vrai qu’il existe seulement deux fonctionnaires publics pour remplir cette tâche ! Depuis longtemps, l’Eglise chilienne demande à ce que les entreprises investissent davantage dans la sécurité et ne pensent plus uniquement à leurs profits.
Mgr Quintana: Malgré les promesses, leur situation n’a pas changé et la plupart sont sans emploi. Je me réunis régulièrement avec eux pour discuter et voir quelles sont les solutions. Leurs intentions est de s’organiser et ils souhaitent pour cela s’appuyer sur l’Eglise afin d’alerter plus facilement les pouvoirs publics. Il est important qu’ils ne tombent pas dans l’oubli, car leur situation est très précaire.
Des photos de Jean-Claude Gérez se trouvent sur le site internet: www.flickr.com/photos/jeanclaudebahia/sets/72157625209288083/ (apic/jcg/be)
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