Partager et approfondir les connaissances des professionnels des médias
Berne, 3 décembre 2010 (Apic) A quelques jours seulement du vote sur les criminels étrangers, c’est une initiative d’un tout autre ordre qui a eu lieu en Suisse, du 21 au 27 novembre : une rencontre, par-delà les cultures, religions et appartenances politiques, entre journalistes égyptiens, soudanais et suisses. Un projet ambitieux, organisé par l’Institut Religioscope à Fribourg (voir encardé) et ayant pour objectif le partage et l’approfondissement des connaissances de ces « faiseurs d’opinion ».
Le séminaire, conçu de manière dynamique, est organisé sous la forme de deux sessions : l’une en Suisse en novembre et l’autre en Egypte au printemps 2011. Pour la première partie de l’expérience, la partie « suisse », une petite vingtaine de journalistes ont parcouru le pays, à la rencontre de lieux de culte et d’intervenants. Home judéo-chrétien et quartier général d’une organisation chrétienne missionnaire à Bâle, Maison des Religions et temple hindou à Berne, mosquée de Prilly, maison quaker à Genève, évêché de Fribourg, temple réformé de Morat, les lieux de visite ont témoigné de la pluralité qui caractérise le paysage religieux suisse. Les intervenants, quant à eux, étaient tout aussi divers : professionnels des médias – Tania Buri, de l’agence de presse protestante Protestinfo ; Arthur Vogel, rédacteur en chef du quotidien bernois « Bund » ; Jean-Christophe Emery et Fabien Hünenberger, journalistes religieux à la Radio Suisse Romande (RSR) -, acteurs religieux – Particia Shipley, pasteure pentecôtiste ; le Père Roland-Berhnard Trauffer, ancien vicaire général du diocèse à Bâle – et chercheurs – Jörg Stolz, directeur de l’observatoire des religions à Lausanne ; Andreas Tunger, membre du Groupe de recherche sur l’islam en Suisse (GRIS) – sont intervenus au cours des cinq jours de présentation.
Une semaine d’exposés et de débats, de rencontres et de visites et plusieurs objectifs, plus pratiques que théoriques : le partage et l’approfondissement des connaissances sur les phénomènes religieux, la révision de stéréotypes et le développement d’une réflexivité plus poussée, la découverte d’univers médiatiques différents et la création de réseau entre les journalistes.
A l’heure du bilan, les organisateurs et participants semblent ravis de l’expérience. Les nombreux contacts échangés, les réflexions mutuelles et les moments de partage témoignent d’un échange réel entre les participants, journalistes chrétiens ou musulmans, suisses, égyptiens ou soudanais.
La rencontre ne s’est cependant pas limitée à la seule constitution de réseaux et à la découverte de l’autre. Ce sont surtout les clichés, stéréotypes et autres préjugés qui ont été profondément ébranlés. Ainsi, l’image d’un Occident sécularisé, d’une Europe a-religieuse, fortement présente dans l’esprit des participants musulmans – et peut-être même des participants chrétiens – au premier jour du séminaire s’est effacée devant la complexité des réalités. Au cours des différentes visites, les journalistes ont pris la mesure de la vivacité qui caractérise certains secteurs du monde religieux en Suisse.
Pour Marie-Laure Schick, coordinatrice suisse du programme « Media & Religion » à Fribourg, la rencontre entre les journalistes et les étudiants de l’Institut Philanthropos a été particulièrement marquante. Cette rencontre à Bourguillon a non seulement montré aux participants qu’il existe des croyants engagés en Europe mais a également « surpris les journalistes musulmans, étonnés d’apprendre que les croyants pratiquants sont parfois mal perçus en Suisse », souligne la coordinatrice. Et de remarquer que la situation des musulmans dans la Confédération ne diffère pas fondamentalement de celle d’autres croyants.
Le projet, fruit d’une rencontre entre Nagwan Abdelmaboud El Ashwal, responsable égyptienne du programme « Media & Religion », et Patrick Haenni, chercheur à l’Institut Religioscope, a été élaboré en 2009 déjà. Bénéficiaire « collatéral » du vote de l’initiative anti-minaret – acceptée par le peuple suisse en 2009 -, le séminaire trouve un financement auprès de la Division politique IV du Département Fédéral des Affaires étrangères (DFAE). Prévu pour une année, le mandat octroyé à l’Institut Religioscope pourrait être reconduit si l’expérience s’avère satisfaisante.
Une fois le financement assuré, l’équipe du programme « Media & Religion » s’attèle à l’élaboration du séminaire. A la rencontre classique, statique, on préfère un modèle plus dynamique, caractérisé par une grande mobilité des participants, un contact direct avec les acteurs et les atmosphères. Reste à sélectionner les journalistes, thèmes, intervenants et lieux de visite, travail qui sera confié en grande partie à Marie-Laure Schick et Nagwan Abdelmaboud El Ashwal.
Commence alors un véritable défi organisationnel. D’une part, il faut trouver les « bons » journalistes, d’autre part il faut traiter les « bons » sujets. Le choix des journalistes se fait en fonction de différents critères de sélection : la langue tout d’abord – il faut que les journalistes parlent anglais -, ensuite les connaissances sur les questions religieuses et les compétences analytiques, enfin la variété des médias – presse écrite, radio. Le choix des thèmes tente de répondre aux attentes d’un double public. Marie-Laure Schick confie avoir cherché à éviter une surfocalisation sur la question de l’islam et avoir sélectionné les thèmes en fonction de leur pertinence mais également de leur diversité. Ainsi, les participants ont traité tour à tour de l’héritage chrétien de l’Europe, des religions immigrées en Suisse, des activités missionnaires ou de l’oecuménisme.
Le temps s’est révélé le défi majeur pour l’organisation du séminaire. Pour les journalistes, libérer une semaine représentait un investissement considérable alors que pour les organisateurs, cinq jours ne suffisaient pas à traiter tous les sujets intéressants. Si Marie-Laure Schick remarque que de nombreux journalistes suisses, pourtant intéressés par la démarche, n’ont pu se libérer pour participer au séminaire, Nagwan Abdelmaboud El Ashwal souligne l’investissement des journalistes égyptiens présents, alors même que l’Egypte connaissait des élections législatives le 28 novembre.
Pour Jean-François Mayer, directeur de l’Institut Religioscope, il s’agit maintenant de maintenir la dynamique féconde des échanges entre participants. La deuxième partie du projet, qui aura lieu en Egypte au mois de mars, devrait permettre de poursuivre les discussions et de renforcer les contacts. Le chercheur fribourgeois espère que la rencontre permettra de créer un réseau informel de journalistes, prêts à partager des informations et à développer une perception plus exacte du monde religieux.
Rappelant que la poursuite du projet dépend de son financement, il espère pouvoir dès l’année prochaine réitérer l’expérience avec un nouveau groupe de professionnels des médias. Et pourquoi pas, cette fois, élargir le séminaire à d’autres sphères religieuses, comme la Russie orthodoxe ?
Encadré
Fondé en 2007, l’Institut Religioscope est dirigé par l’historien Jean-François Mayer et est basé à Fribourg, en Suisse. Il a pour objectif de promouvoir l’étude et l’analyse des questions religieuses et de publier le résultat de ses recherches. L’Institut organise également le séminaire « Media & Religion ».
Il est directement lié au site Internet Religioscope, créé en 2002. Le site a « pour lignes directrices la publication d’informations et d’analyses sérieuses et non partisanes. Il choisit une approche rigoureuse, inspirée à la fois par les principes d’un journalisme de qualité et par les idéaux d’une recherche universitaire cultivant à la fois respect et distance. » Au cours des cinq dernières années, le site Religioscope a publié plus de 1’000 articles consacrés à la place des religions dans le monde contemporain. (apic/amc)
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