Conséquence de l’abandon massif de la pratique religieuse
Montréal, 3 janvier 2011 (Apic) Avec les fidèles qui délaissent les églises et l’abandon massif de la pratique religieuse dans la Province du Québec, bien des paroisses se retrouvent avec des édifices coûteux à entretenir. Les communautés religieuses doivent souvent les vendre en vue de pouvoir assumer de nouvelles vocations. Ces ventes permettent certaines fois de préserver ce précieux patrimoine.
Démolies ou transformées en condos (appartements en copropriété), de nombreuses églises québécoises aujourd’hui désertées semblent vouées soit à la mort, soit à une deuxième vie. L’église de Saint-Paul-Apôtre à Limoilou, un des quartiers de Québec, a échappé à cette destinée. Le bâtiment du patrimoine religieux de Limoilou accueille aujourd’hui des personnes âgées et des ménages à revenu modeste, après avoir été repensé, soulevé, et même agrandi.
Au Québec, couvents, cloîtres et autres établissements religieux déjà à moitié vides sont abandonnés les uns après les autres à mesure que les membres vieillissants des congrégations cessent d’y habiter. Des chercheurs de l’Ecole d’architecture de l’Université Laval à Québec réfléchissent activement à ce qu’il pourrait advenir de tout ce patrimoine bâti qui façonne les villes de la Province et raconte l’histoire du Québec.
Ils remarquent que l’Etat n’est pas disposé à prendre ces actifs en charge, comme il l’avait fait pour les écoles et les hôpitaux après s’être approprié les responsabilités de l’éducation et de la santé, au sortir de la « Révolution tranquille » des années 60. D’autre part, le secteur privé n’est plus guère tenté par la conversion de tels bâtiments, qu’il a jugée non rentable lors d’une première vague de transfert de propriétés, dans les années 1970, peut-on lire dans « Contact », le magazine de l’Université Laval destiné à ses diplômés et partenaires.
Rien qu’à Québec, Tania Martin a recensé près de 300 propriétés de communautés religieuses. Professeure à l’Ecole d’architecture, Tania Martin est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine religieux bâti. « Bien sûr, dit-elle, ces propriétés ne font pas toutes partie d’immenses domaines conventuels comme on en voit à Beauport ou sur les hauteurs de la falaise à Sillery, mais elles n’en façonnent pas moins la morphologie de la ville ».
Martin Dubois, chargé de cours à l’Ecole d’architecture et président de la firme Patri-Arch, a récemment évalué à la demande de la Ville de Québec 56 ensembles conventuels offrant un potentiel patrimonial ou des possibilités de développement s’ils sont vendus.
En majorité, ces bâtiments datent de la fin XIXe début XXe siècles et sont entourés de grands terrains qui comportent parfois constructions secondaires, jardins et vergers. Comme partout au Québec, la plupart ont été érigés à l’extérieur du noyau urbain, qui les a toutefois rejoints par la suite.
« Une caractéristique commune à tous ces édifices est qu’ils ont été très bien construits, toujours avec un souci de durabilité », relate François Dufaux, chercheur et chargé d’enseignement à l’Ecole d’architecture. Tout aussi remarquable est leur excellent état actuel, a constaté Martin Dubois dans son évaluation, ces bâtisses ayant été entretenues de façon exemplaire. Le problème est que ces couvents, toujours habités, ne sont pas conformes aux normes modernes: escaliers trop étroits, sorties de secours insuffisantes, protection déficiente contre les incendies, infirmeries désuètes… Dans certains cas, le coût d’une mise aux normes peut atteindre les millions de dollars, selon Martin Dubois. Et les travaux peuvent être obligatoires même si la propriété ne change pas de mains.
La Régie du bâtiment, qui se montrait encore tolérante à l’égard de ces carences il y a une dizaine d’années, est aujourd’hui beaucoup plus stricte. Cela a d’ailleurs forcé plusieurs communautés à se départir de leurs bâtiments plus vite que prévu, se voyant incapables d’amortir l’investissement nécessaire sur le nombre d’années qu’elles croyaient pouvoir encore y demeurer.
Les propriétés religieuses ne sont pas toutes passées sous le pic des démolisseurs après avoir changé de mains, rappelle « Contact ». Plusieurs ont été recyclées en « condos » ou en copropriétés, en coopératives d’habitation, en bibliothèques, en centres communautaires ou même en hôtels de ville dans certains villages. « Il y a eu des adaptations plutôt malheureuses lorsqu’on ne respectait pas la logique du bâtiment, par exemple en scindant de grands espaces intérieurs en petites pièces », note Tania Martin. Pour François Dufaux, plus sévère, « une bonne partie de ce qui s’est fait l’a été dans un esprit de braderie, sans beaucoup d’intelligence ».
Mais plusieurs transformations sont aussi dignes de mention, note « Contact ». Martin Dubois cite le cas du couvent des Sœurs du Bon-Pasteur sur la colline parlementaire: tout un quadrilatère d’édifices construits entre 1850 et 1930, occupés auparavant par la communauté et qui, depuis 1980, ont été transformés en sept coopératives d’habitation pour différents types de clientèle. Peu de changements ont été apportés aux façades des édifices, tandis qu’on a adapté les intérieurs aux nouvelles fonctions, mais en conservant l’organisation de base des lieux: petits appartements distribués de part et d’autre de corridors centraux.
La titulaire de la Chaire de recherche mentionne pour sa part le Centre résidentiel et communautaire Jacques-Cartier, un ancien couvent situé au coin Langelier et Charest à Québec. Cet immeuble abrite aujourd’hui le café Tam Tam au rez-de-chaussée et près d’une trentaine de logements abordables pour jeunes à faibles revenus, aux étages supérieurs. Plusieurs activités communautaires d’intégration sociale y sont offertes, ce qui, pour Tania Martin, est une belle façon de conserver l’esprit qui animait jadis cette institution.
Que dire aussi du Vieux-Séminaire de Québec, qui abrite aujourd’hui l’Ecole d’architecture de l’Université Laval ? Sa transformation minutieuse a su allier modernisation et conservation des éléments patrimoniaux importants, tout en maintenant la vocation d’enseignement introduite au XVIIe siècle par Mgr de Laval.
Reste que « réhabiliter et mettre des édifices en valeur, ça coûte cher », comme le dit François Dufaux. Plusieurs projets de réhabilitation pris en charge par le secteur privé en vue d’en faire de l’habitation, même haut de gamme, n’ont pas été suffisamment profitables pour continuer à intéresser beaucoup de promoteurs. Le gouvernement, de son côté, ne dispose pas de l’argent nécessaire pour prendre entièrement la relève, comme cela se fait en France. Le Fonds du patrimoine religieux créé en 1996 suffit à peine à entretenir et à restaurer les lieux de culte, en parant au plus urgent.
Au cours des prochaines années, l’offre du bâti religieux au Québec dépassera donc largement les moyens envisagés pour y répondre. Il y aura des choix à faire, conviennent les trois interlocuteurs de « Contact ». Et pour éviter que les résultats se soldent par trop de démolitions, il faudra imaginer de nouvelles façons d’aborder la question, trouver des moyens intermédiaires entre l’intervention de l’Etat et la mainmise du secteur privé. Et surtout préserver la mémoire de ces bâtisses en leur conservant une vocation communautaire qui poursuivrait en quelque sorte l’œuvre de solidarité sociale des congrégations.
C’est un peu ce qui se fait à Oka avec l’ancienne abbaye des trappistes. La propriété a été vendue à une société qui est appuyée par la communauté et la municipalité dans son objectif de conservation du patrimoine, assorti d’un plan de développement intégrant tourisme, éducation et culture. Ou encore cela pourrait ressembler au projet des Pères Augustins de l’Assomption qui, par le biais d’une fiducie, seraient prêts à partager leur monastère de Québec avec des ménages de diverses conditions. Ainsi, les communautés auraient la possibilité de demeurer propriétaires de leurs avoirs tout en poursuivant leur contribution à la collectivité, conclut Tania Martin.
A l’église de Rivière-Héva, en Abitibi-Témiscamingue, une région administrative de l’ouest du Québec, une porte de garage sépare la chapelle de la nouvelle salle de conditionnement physique aménagée l’an dernier. Le lieu de culte a été réduit de moitié, pour faire place à des espaces qui génèrent de nouveaux revenus. « C’est sûr qu’on n’a pas eu le choix, explique le président du Comité multiorganismes, Réjean Hamel. Autrement, avec juste les revenus de la quête, il aurait été impossible de maintenir le complexe tel quel. Alors, il faut innover, il faut trouver d’autres solutions pour rentabiliser ce complexe-là ». A Rouyn-Noranda, capitale de l’Abitibi-Témiscamingue, plusieurs églises ont été vendues depuis 2002. La salle de spectacle l’Agora des arts a vu le jour au sein de l’église Notre-Dame-de-Protection.
Pour plusieurs lieux de culte, c’est la transformation ou la décrépitude assurée. Certaines églises doivent inévitablement changer de vocation, selon le président du Conseil du patrimoine religieux en Abitibi-Témiscamingue, René Gauthier. « On ne sera pas capable de maintenir nos églises juste pour faire des monuments à admirer, plaide-t-il. Ça coûte cher et les milieux, surtout les petits milieux, n’en ont carrément pas les moyens ». Le Conseil du patrimoine religieux estime que sur une centaine d’églises dans la région, une quinzaine seulement présentent une valeur architecturale. (apic/rvm/unilaval/be)
webmaster@kath.ch
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/consequence-de-l-abandon-massif-de-la-pratique-religieuse/