Genève: Le théologien Marc Faessler élucide la pensée de Calvin à l’égard des Juifs

Juifs et chrétiens placés au suspens de l’ombre des choses à venir

Genève, 23 janvier 2011 (Apic) Dans son ouvrage consacré aux questions et objections d’un certain Juif (*), le réformé Marc Faessler, 70 ans, présente et commente un texte publié pour la première fois en 1575 par Thédore de Bèze. Traduit du latin par l’auteur lui-même, la version française offre au lecteur 23 clés de compréhension de la pensée calviniste vis-à-vis du judaïsme. Un grand atout pour envisager davantage la perspective d’une reconnaissance mutuelle entre chrétiens et Juifs.

Dans son appartement situé à la rue du château à Genève, le théologien Marc Faessler savoure la publication d’un ouvrage qu’il vient de traduire pour la première fois en français. Trouvé dans les papiers de Calvin après sa mort, l’original latin de ce texte fut publié en 1575 par Théodore de Bèze. « Dès le début, l’ouvrage a un grand succès et connaît de nombreuses copies », explique le Genevois, qui précise que c’est Jean du Tillet qui a dû mettre la main sur la partie d’une annexe d’une de ces copies. Il résolut de publier cette traduction en hébreux de l’évangile de Matthieu, réalisée par les Juifs à partir du latin de la Vulgate, mais de façon parfois approximative dans le suivi du texte. C’est grâce au célèbre hébraïsant Jean Mercier, successeur de Vatable et professeur au Collège royal (actuel Collège de France), qu’il y a une retranscription latine qui témoigne des distorsions et des lacunes de cette traduction juive. « Le but avoué est de mettre à disposition un document révélant une lecture juive partiale et partielle de l’Evangile, car une telle publication s’avère utile aux controverses qui, depuis l’Inquisition, mettent aux prises chrétiens et Juifs », note notre interlocuteur visiblement mû par la volonté de mettre en évidence l’attachement de Calvin à la Transcendance divine.

Calvin vise la rébellion de tous les humains enfermés dans le péché

Si l’artisan de la Réforme protestante adopte par moments un ton polémiste et véhément dans ses réponses, Marc Faessler situe les propos de Calvin dans un contexte historique, dont la verdeur du langage est à la hauteur des enjeux sociaux et ecclésiaux qui se trament en plein 16ème siècle, une période d’invectives. Le judaïsme, minoritaire et persécuté – sauf peut-être dans le nord de l’Italie –, puise lui aussi dans les arguments antichrétiens qu’il s’est forgés au cours des siècles précédents. Catholiques, réformés et anabaptistes s’invectivent copieusement sur fond de répression des dissidences », rappelle notre interlocuteur. Il avoue que le lecteur moderne risque d’être choqué, en lisant les apostrophes lancées à l’auteur juif et élargies parfois au pluriel d’un « ils » désignant les Juifs en général.

« A l’époque, écrit le pasteur Marc Faessler, ces apostrophes sont monnaie courante à l’égard de toutes sortes d’adversaires et souvent calquées sur les imprécations prophétiques de la Bible elle-même. » Pour l’auteur, le génie de Calvin est de rester relativement contenu, ce qui est une constante de sa pensée. « Ce qu’il dit des Juifs, il l’entend aussi de l’ensemble des humains », fait-il remarquer. Lorsque, reprenant Ezéchiel, il parle de « chiens pervers » ou traite les contradicteurs d’ »impies, voire de chiens corrompus », de « vauriens », de « bêtes », de « chiens qui aboient », d’ »esprits égarés », de « profanes impies », de « porcs », d’ »insensés », de « chiens enragés », de « porteurs de confusion », etc., Calvin vise la rébellion de tous les humains enfermés dans le péché, y compris ceux qui se prétendent chrétiens sans confesser leur insuffisance. « Calvin ne se dresse jamais en position de propre justice », observe l’ancien pasteur de la paroisse de Champel. Pour lui, il combat l’adversaire, sachant que la vérité reste toujours extérieure à nous, ce qui est un mystère du Dieu qui se révèle en faisant alliance avec les humains, mais dont la Transcendance n’est aux mains de personne.

Voilà ainsi décrite la vigueur du langage de Calvin dans ses réponses aux 23 objections de l’auteur Juif. Ces objections, qui n’ont pas la même hauteur théologique, se rattachent à une lecture critique de l’évangile de Matthieu, tout en élaborant un éloge à l’extériorité salvatrice de la Transcendance. « Juifs et chrétiens sont par conséquent placés au suspens de l’ombre des choses à venir. Pour les chrétiens, la foi en la résurrection préfigure le Royaume à venir. Pour les Juifs – en dépit du préjugé partagé par Calvin que l’infortune de leurs épreuves est en partie conséquence de leur obstination à refuser la messianité de Jésus –, leur foi aux promesses continue de préfigurer une attente différente du Messie », conclut l’ancien directeur du Centre protestant d’études à Genève.

Dans sa retraite active, il estime ainsi avoir apporté son grain de sel pour donner une réponse et du sens aux questions que chrétiens et Juifs se posent pour vivre ensemble intelligemment.

(*) Marc Faessler, « Jean Calvin, réponses aux questions et objections d’un certain Juif », éd. Labor et Fides, 2010. (apic/dng/ggc)

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