Nyon: Les convictions du conseiller national vaudois Claude Ruey « Libéral parce que social »
Berne, 29 août 2011 (Apic) « Je suis libéral parce que social… Seul le système de l’économie de marché permet de créer des richesses, pas le système d’économie planifiée… » Le ton est donné, le conseiller national libéral Claude Ruey n’est pas socialiste, même si certaines figures du PS ne lui sont pas antipathiques, comme celle de l’ancienne ministre française Georgina Dufoix (*), issue d’une vieille famille protestante française, qu’il a souvent côtoyée dans des colloques sur l’éthique et sur la foi.
Ces deux faces – cette conviction libérale sans faille et cette sensibilité sociale, qu’il puise dans la lecture de l’Evangile, quand ce n’est pas dans les encycliques sociales des pontifes romains! –, caractérisent cet homme politique vaudois qui ne cache pas sa foi chrétienne de protestant engagé. Fils d’une mère catholique d’origine jurassienne et singinoise et d’un père protestant, Claude Ruey, en bon disciple du mouvement de Taizé, est également imprégné d’ouverture œcuménique. Ses amitiés s’étendent des catholiques traditionnels (tout de même pas jusqu’aux traditionalistes d’Ecône!) aux protestants de tendance évangélique.
Claude Ruey se retire de la scène fédérale à la fin de l’année: président du conseil d’administration de santésuisse à Berne, il quittera ses fonctions en même temps que son mandat politique. Cet avocat-conseil de formation pourra alors consacrer davantage de temps à l’œuvre d’entraide protestante EPER, dont il est président du conseil de fondation. « En fait un poste à 40% », précise-t-il.
Il souhaite pouvoir mieux maîtriser la connaissance des projets de développement de l’EPER, qu’il visite à chaque fois qu’il peut, lors de ses voyages comme conseiller national à l’étranger, en tant que membre de la délégation suisse à l’Assemblée parlementaire de la Francophonie. « Je profite de ces déplacements pour voir sur place certains projets que mène l’EPER avec les organisations partenaires locales, mais je vais désormais pouvoir le faire de façon plus suivie ». Et, avoue-t-il, « à 62 ans, je pourrai enfin avoir plus de temps pour ma famille, car aujourd’hui, je travaille entre 70 et 80 heures par semaine… »
On a toujours discuté politique à la maison. J’ai fait aussi beaucoup de scoutisme, ce qui a contribué à développer mon sens social. Je suis né en pleine guerre froide. La politique était alors un peu simpliste: c’était blanc et noir, le monde libre et le monde communiste derrière le « rideau de fer ». En 1956, j’écoutais à la radio les développements de l’insurrection hongroise…
Du côté paternel, mon grand-père, fils de paysans, aurait bien aimé devenir pasteur. On était dans un milieu où la religion comptait. Mon beau-père était le pasteur Maurice Ray, aujourd’hui décédé, une figure proche de la tendance évangélique charismatique, connu comme écrivain et homme de radio. C’est le père de mon épouse Elisabeth, municipale et députée à Nyon.
Quant à moi, j’ai reçu une éducation religieuse protestante normale: école du dimanche, catéchisme… J’ai été confirmé vers l’âge de 16 ans. Sur tout notre groupe, nous avons été seulement deux à lever la main quand on nous a demandé qui allait retourner à l’église après la confirmation !
Nous avions fait une promesse, alors il était naturel que nous la tenions, par respect de la parole donnée: « Que ton oui soit oui, que ton non soit non! ». C’était le fruit de l’éducation reçue en famille. Comme j’avais fait aussi beaucoup de scoutisme – j’ai fini responsable cantonal des scouts -, je savais ce qu’était l’éthique de l’engagement. Mais je dois l’avouer: à cette époque, ma foi n’était pas aussi forte qu’aujourd’hui…
Il était notamment visiteur de prisons. Il m’a aidé à développer ma foi. C’est le pasteur Dubois qui m’a emmené pour la première fois à Taizé. Est-ce un hasard si mon fils Amédée, qui est théologien, vient de commencer son stage de pasteur à Romainmôtier ?
Je suis « libéral parce que social », dans le sens de John Stuart Mill (philosophe, logicien et économiste britannique du XIXe siècle, ndr). En effet, le libéralisme ne croit pas à l’homme angélique. Il prend l’homme pour ce qu’il est, car le chrétien libéral considère que l’on vit dans un monde déchu, où le prince de ce monde est le démon. Dans ce sens, si on est « soumis à Dieu », je ne crois pas que l’on puisse être inféodé à un parti, être pris par une idéologie. On ne peut pas changer l’homme par l’homme, non plus par la politique. Par contre, s’il s’accommode du mal, le chrétien libéral trahit sa foi!
L’action politique n’est effectivement que contingente, même si, comme le dit saint Paul, « Tout pouvoir vient de Dieu ». Cela nous permet de nous détourner de tout fondamentalisme, de toute tentation d’hégémonie chrétienne sur le monde! Nous ne pouvons donc céder ni à la tentation du césaro-papisme, lequel absorbe le religieux dans le politique et soumet l’Eglise à l’Etat, ni à la tentation de la théocratie, laquelle absorbe le politique dans le religieux et assujettit l’Etat à la tyrannie ecclésiastique. La distinction nécessaire entre le spirituel et le temporel conduit à la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
« Cette séparation est un legs de l’origine du christianisme et aussi un facteur décisif de liberté », dit encore le cardinal Ratzinger dans « Le sel de la terre » (*****). Car pour moi, si la réalisation du bien commun ne peut être imposée par l’Eglise ou par quelque religion que ce soit, l’Eglise et les chrétiens n’ont cependant pas à se désintéresser du sort de ce monde. Ainsi, la foi peut éclairer la raison de l’homme politique et lui servir de guide, comme le suggère le pape Benoît XVI dans son encyclique « Deus caritas est ».
Une telle lecture est aujourd’hui dépassée et abandonnée. Nous avons à participer à ce que Calvin appelle « L’ordre de conservation du monde ». Ainsi que le dit le réformateur, Dieu n’a pas abandonné le monde malgré sa rébellion, mais refusant de livrer l’histoire à un hasard aveugle, il en demeure le modérateur afin qu’ »humanité règne entre humains ». ****** Dans son ouvrage « Valeurs pour un temps de crise » (op. cit., p. 33) le cardinal Ratzinger souligne aussi que la mission de l’Etat est de préserver l’ordre dans la cohabitation entre les hommes, de créer un équilibre de liberté et de valeurs permettant à chacun de mener une vie digne.
(*) La socialiste française Georgina Dufoix, sous la présidence de François Mitterrand, fut ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale de 1984 à 1986
(**) La famille du père de Claude Ruey est originaire du Chambon-sur-Lignon, une commune de la région Auvergne qui s’est rendue célèbre par avoir sauvé de nombreux juifs fuyant les persécutions nazies),
(***) Cf. Evangile et politique, in Revue réformée n° 132, Aix-en-Provence, 1982, p. 162.
(****) Cf. « Valeurs pour un temps de crise. Relever les défis de l’avenir », Paris, Parole et Silence, 2005, p. 33), (apic/be)
(*****) C. « Le sel de la terre », Paris, Flammarion et Cerf, pp. 230-231)
(******) Cf. Calvin, « L’Institution chrétienne », tome 4, chapitre XX, Du gouvernement civil.
PROFIL
Nom: Claude Ruey
Date de naissance: Originaire de Gland, né le 29 novembre 1949 à Nyon
Formation/Profession: Licence ès sciences politiques, doctorat en droit, brevet d’avocat; président du conseil d’administration de santésuisse
Etat civil/enfants: Marié, deux enfants, Amédée (1982), pasteur, et Benjamin (1984), qui travaille dans le marketing.
Eglise: Eglise évangélique réformée du canton de Vaud
Parti: Parti libéral
Fonction politique: Conseiller national
Parcours politique: Claude Ruey a fait ses premières armes à l’âge de 23 ans dans le législatif de Nyon en octobre 1974, avant d’être propulsé quelques mois plus tard au Grand Conseil, le parlement cantonal vaudois. Il siégera dans ces deux instances jusqu’en 1990. De 1990 à 2002, il est membre du Conseil d’Etat du canton de Vaud où il occupe successivement la tête des Départements de la Justice, de la Police et des Affaires militaires de 1990 à 1994, de l’Intérieur et de la Santé publique de 1994 à 1998 puis des Institutions et des Relations extérieures de 1998 à 2002.
Membre de la Chambre basse du parlement fédéral depuis le 6 décembre 1999, il quittera le Conseil national en fin de législature, à l’âge de 62 ans. Il a présidé le Parti libéral de juin 2002 à mars 2008. Sa femme Elisabeth Ruey-Ray, née le 5 janvier 1948, est membre de l’exécutif de la commune de Nyon ainsi que du Grand conseil vaudois.
Une figure qui l’inspire: Calvin
Un verset/une phrase qui l’anime: « Aime ton prochain comme toi-même »
Pour ou contre:
Le bébé médicament: Comme ultima ratio, avec un cadre éthique strict
Les minarets: Un faux débat
Les centrales nucléaires: En sortir progressivement
Les 0.7 % du PNB pour l’aide au développement: Oui, pour exercer la solidarité d’un pays riche
La révision de la loi sur l’assurance-chômage acceptée récemment en référendum populaire: Oui, pour assurer la stabilité et la durabilité de cette assurance indispensable.
Des photos de Claude Ruey peuvent être commandées à l’Apic (prix CHFR 80.– pour la première, CHFR 60.– pour les suivantes) peuvent être commandées auprès de l’Apic: apic@kipa-apic.ch, Tél. 026 426 48 11 (apic/be)
webmaster@kath.ch
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/serie-d-ete-politiciens-chretiens/