«Le Créateur m’a accordé tout ce que j’aurais pu souhaiter pour ma vie»

Série d´été « politiciens chrétiens »
Lausanne: La foi de Luc Recordon l’aide dans ses rapports avec les autres religions

Lausanne, 30 août 2011 (Apic) Ses ascendances chrétiennes – où l’on retrouve de nombreuses composantes – et son parcours dans l’Eglise réformée ont forgé la foi chrétienne du conseiller aux Etats écologiste Luc Recordon. S’il ne se sent pas une âme de prédicateur, les valeurs qu’il partage l’aident cependant à dialoguer avec les autres communautés religieuses avec confiance et sérénité. Interview.

Apic: Parlez-moi un peu de votre parcours, en tant que croyant …

Luc Recordon: Je suis protestant, mais avec des ascendances très diverses. Mon grand-père, d’origine catholique, est devenu un salutiste très engagé. Ma grand-mère, darbyste, est également devenue salutiste. Ils ont même fondé ensemble la communauté salutiste de Pékin. Après leur séparation, ma grand-mère est devenue membre de l’Eglise évangélique libre.

Mes parents étaient engagés dans la paroisse réformée de Prilly. Ma mère exerçait une fonction équivalente à celle de conseillère paroissiale sans en avoir le titre, car cette fonction était alors réservée aux hommes. J’ai eu une éducation religieuse approfondie: école du dimanche, culte, catéchisme, confirmation, … J’ai été actif dans le mouvement des jeunes paroissiens de Prilly. Je me suis engagé ensuite en politique. Ces deux engagements sont allés de pair. Ils sont complémentaires.

J’ai mis à contribution mes convictions religieuses dans ma fonction de conseiller municipal de Jouxtens-Mézery, où j’ai eu en charge durant plus de 21 ans la question des cultes. Il est important que l’autorité civile cherche à faciliter l’exercice du culte et la vie des communautés religieuses.

Nous vivons dans un Etat de neutralité religieuse, mais il est important de soutenir le fait religieux, de façon prudente et avisée.

Apic: Quelle est la place de votre foi dans votre vie quotidienne?

Luc Recordon: Elle est très forte. Elle me soutient dans mes convictions. Elle m’aide notamment à rester fidèle à des principes de paix et d’amour du prochain.

Dans mes fonctions, je dois en permanence lutter pour des valeurs. Et la foi est un guide très puissant lorsqu’il faut opérer des choix. Elle m’aide à m’engager en vue de maintenir un lien social fort entre les différents groupes de personnes, à me montrer solidaire vis-à-vis des autres peuples, des membres des autres religions et – ce qui n’est pas moindre – de mes adversaires politiques.

Apic: Quel rôle joue votre foi dans votre engagement politique?

Luc Recordon: Là où elle joue le rôle le plus fort? Rappeler continuellement qu’en plus de ce que l’on fait, il y a la manière de le faire.

On peut être rude avec ses adversaires et même avec ses amis politiques, mais tout en observant des limites. Tout en conservant un certain respect.

Je ne me réfère pas explicitement à mon statut de chrétien dans mes engagements et je ne veux pas imposer mes convictions religieuses, mais je cherche quand même à proposer des éléments du message chrétien. Je le remarque entre autres dans le dialogue avec mes collègues musulmans.

Les religions du Livre – judaïsme, christianisme et islam – sont en principe convergentes. Et cela, les personnes intelligentes le savent. Le Christ est d’ailleurs reconnu par les musulmans comme prophète. Avec les juifs également, le dialogue s’est énormément enrichi depuis plusieurs années. La nouvelle Constitution vaudoise, à l’élaboration de laquelle j’ai œuvré, donne un statut aux Eglises catholique romaine et évangélique réformée, mais aussi à la communauté juive, qui est reconnue d’utilité publique. Les communautés musulmanes aspirent également à cette reconnaissance, et notamment la Mosquée de Lausanne, avec laquelle j’ai parfois des contacts. J’y suis assez favorable surtout si elles parviennent à se regrouper dans une organisation faîtière.

Je me sens nourri de ma foi chrétienne lorsque j’entre en discussion avec les autres communautés.

Apic: Vous êtes plutôt un chrétien engagé en politique ou un politicien chrétien?

Luc Recordon: Ce sont deux angles indissociables. Mais ils ne se placent pas sur le même plan. La foi est d’abord une affaire personnelle. Elle se situe au niveau d’un rapport direct avec Dieu. J’ai énormément reçu du Créateur, mais je ne vais pas pour autant prêcher ou tenter de convertir les autres. Au niveau politique, les convictions se prêtent davantage au partage.

Je ne me sens donc pas davantage un chrétien en politique qu’un politicien chrétien.

Apic: Eprouvez-vous des difficultés à concilier engagement religieux et engagement politique?

Luc Recordon: Non, pas au niveau de mes convictions. En revanche, il m’arrive de vivre des moments difficiles lorsque l’un des deux domaines tend à s’imposer à l’autre.

Je suis défavorable à tout prosélytisme ou extrémisme, mais aussi à toute tentative de laïcisation complète de la société.

Apic: Et dans des domaines touchant à l’éthique, n’arrive-t-il pas que le réalisme politique ne dicte une solution qui peut heurter la conscience?

Luc Recordon: C’est possible, oui. Dans mon cas, en étant favorable par exemple au diagnostic préimplantatoire, j’avais une position qui était conforme à mes convictions religieuses. Mais il est vrai que c’est un point de vue qui ne sera pas partagé par un catholique fidèle à son Eglise.

Apic: Vous avez même heurté beaucoup de personnes en affirmant que si le diagnostic préimplantatoire avait existé autrefois, vous ne seriez certainement pas né et cela aurait été une bonne chose …

Luc Recordon: Ce n’est pas tout à fait ce que j’ai dit. J’ai effectivement affirmé lors des débats que si un tel diagnostic avait été possible, il aurait été logique que ma naissance n’ait pas lieu, en considération des souffrances quasi certaines qui s’annonçaient. Je suis né avec un lourd handicap et les années qui ont suivi ont été très difficiles autant pour ma mère, pour mon père que pour moi. Ce qui ne m’empêche pas de réaffirmer maintenant que le Créateur m’a accordé tout ce que j’aurais pu souhaiter pour ma vie, mais au départ on ne pouvait pas tabler sur autant de bienfaits.

Apic: Est-il déjà arrivé que les deux engagements – politique et chrétien – s’opposent? Lequel avez-vous privilégié?

Luc Recordon: Non, vraiment. Je n’ai pas senti de véritables conflits de conscience à ce niveau-là dans mon engagement politique.

Apic: Mais dans la question difficile du droit d’asile, par exemple. Comment concilier le sens chrétien de l’accueil et le réalisme politique?

Luc Recordon: C’est effectivement une question difficile à gérer. On ne peut pas accueillir tous les étrangers qui affluent dans notre pays. Ce n’est pas réalisable. Il faut alors trouver des solutions acceptables, ce qui implique de refuser certains candidats à l’asile. Cela n’est pas facile et peut engendrer des réactions d’incompréhension dans certains milieux. Pour ma part, je suis d’avis cependant que nous sommes trop restrictifs et pas toujours humains.

Rester fidèle à ses convictions a parfois pour conséquence d’accepter d’être impopulaire. Ou d’être taxé d’irréaliste. Mais il faut l’accepter.

Apic: Et le domaine de l’environnement, cher aux Verts, comment l’abordez-vous en tant que chrétien?

Luc Recordon: Certaines personnes n’ont qu’une conception utilitaire des questions d’environnement, avec une réflexion basée sur des valeurs comme la propreté, l’utilisation des ressources naturelles, la préservation de la nature, … Mais on peut aussi l’aborder d’un autre point de vue, celui du respect de la Création. Nous n’avons pas reçu le monde comme nous recevons un jouet. J’aime bien cette idée selon laquelle la Terre nous est prêtée par nos enfants et petits-enfants. Ce qui exclut par exemple la surexploitation des ressources naturelles. Le monde nous est confié et nous devons le gérer avec le respect que nous devons aux générations futures.

Apic: « Les chrétiens ne sont pas de ce monde », dit-on souvent. Comment comprenez-vous cette affirmation? Comme une invitation à ne pas se lancer en politique?

Luc Recordon: Non, pas du tout. Je la comprends comme une invitation aux chrétiens à ne pas s’empêtrer dans les valeurs de ce monde. A ne pas perdre de vue ce qui est fondamental dans les convictions chrétiennes.

Apic: Quelle place pour la religion dans les partis?

Luc Recordon: Elle est plutôt en sourdine. Les sujets religieux ne sont presque jamais abordés spontanément. Mais la religion peut apparaître dans des cadres spécifiques. Chez les Verts vaudois, nous avons un groupe thématique « Spiritualité et politique » où se déroulent des discussions très intéressantes, mais j’ai malheureusement peu l’occasion d’y participer.

Nous sommes aussi parfois interpellés par des communautés religieuses à l’étranger, ce qui nous amène à nous positionner du point de vue religieux.

Apic: Et sous la coupole fédérale?

Luc Recordon: Oui, la religion a une place, mais de manière très ponctuelle, lorsque nous abordons des sujets de société. Ou des questions soulevées par l’UDC (minarets, droits des musulmans, …). Je peux même dire que nous assistons à un certain regain des discussions religieuses. Cette tendance a d’ailleurs permis de resserrer les rangs, de façon transversale, entre parlementaires qui ont des convictions très fortes, sans personne de l’UDC, ce qui est dommage.

En particulier, l’initiative anti-minarets nous a en quelque sorte « réveillés » au niveau religieux.

#Pour ou contre?

– Le bébé médicament:

Je suis très réservé sur cette question. Faire naître un bébé pour une mission à laquelle il n’a pas eu voix au chapitre me semble noble, mais très délicat.

– Les minarets:

Je suis pour la liberté d’en ériger. Cela fait partie des libertés religieuses fondamentales.

Les centrales nucléaires:

Pour leur fermeture à court terme, le temps de mettre en place les procédures. On ne peut pas continuer à hypothéquer ainsi notre avenir.

– Les 0.7 % du PNB pour l’aide au développement:

Oui, je me suis bagarré pour cette cause. J’ai constaté par moi-même que la DDC effectuait un travail remarquable et profitable en faveur d’un développement durable dans les pays du sud.

– La dernière révision de la loi sur l’assurance-chômage

J’y étais opposé. Elle faisait peser un poids excessif sur les jeunes chômeurs. Il faut plutôt favoriser leur intégration dans la société et cela ne peut pas se faire à coups d’expédients.

#Engagé aux niveaux communal, cantonal et fédéral

Avocat (« à temps très partiel! »), célibataire, Luc Recordon, âgé de 56 ans, est un véritable « touche à tout » au niveau politique. Membre du législatif de sa commune de Jouxtens-Mézery de 1975 à 1989, puis de l’exécutif depuis 1990, il est devenu député au Grand conseil vaudois de 1999 à 2003, conseiller national de 2003 à 2007, et enfin conseiller aux Etats depuis 2007. Il se représente aux élections du Conseil aux Etats sur la Liste du Parti écologiste. Il a été candidat aux élections au Conseil fédéral en 2007 et 2008, mais s’est à chaque fois retiré avant les votes.

Une figure qui l’inspire? « Jésus Christ, mais aussi d’autres personnalités comme Gandhi pour son action politique pacifique et efficace ».

Un verset/une phrase qui l’inspire? Du premier épître de Paul aux Corinthiens (13:13): « Maintenant donc ces trois choses demeurent: la foi, l’espérance et l’amour. Mais la plus grande des trois est l’amour ».

Note aux médias: Des photos illustrant cet article peuvent être commandées à apic@kipa-apic.ch. Prix pour diffusion: 80 frs la première, 60 frs les suivantes.

(apic/bb)

webmaster@kath.ch

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/le-createur-m-a-accorde-tout-ce-que-j-aurais-pu-souhaiter-pour-ma-vie/