«N’oublions pas que derrière ces drames, il y a des êtres humains!»

Berne: Abus sexuels dans la pastorale, «on a brisé un tabou», affirme Mgr Martin Werlen

Berne, 15 septembre 2011 (Apic) «On a brisé un tabou, mais nous ne sommes qu’au début d’un long processus», a déclaré jeudi 15 septembre à Berne Mgr Martin Werlen, en charge de la Commission «Abus sexuels dans le cadre de la pastorale». Les données sur ces abus sont certes faciles à élaborer et à communiquer, «mais n’oublions pas que derrière ces drames, il y a des êtres humains!» a-t-il martelé lors de la conférence de presse présentant le rapport intermédiaire sur ces abus. La CES a aussi rendu publique à cette occasion une étude sur sa position longtemps timorée durant le régime d’apartheid en Afrique du Sud.

Mgr Werlen, responsable du département «Eglise et Monde» au sein de la Conférence des évêques suisses (CES), a également reconnu que la CES avait manqué d’intérêt, de courage, de foi, d’amour et de catholicité à l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud. Auteur de l’étude de la Commission «Justice et Paix» de la CES, intitulée «L’Eglise catholique en Suisse et son attitude face à l’apartheid en Afrique du Sud – 1970-1990», l’historien lucernois Bruno Soliva a relevé que la CES a longtemps manqué de distance envers la politique officielle suisse et les banques, favorables à la minorité blanche.

En ce qui concerne les abus sexuels, la tendance semble à la baisse

Commentant le rapport intermédiaire portant sur les «Abus sexuels dans le cadre de la pastorale», l’avocat Adrian von Kaenel, qui préside la commission d’experts – une commission indépendante, composée notamment de médecins, de juristes et de psychologues –, a présenté les statistiques des cas annoncés dans les divers diocèses de Suisse en 2010. Concernant leur nombre, la tendance semble à la baisse.

Il s’agit d’un total de 146 cas d’abus sexuels, commis par 125 personnes, à savoir 62 prêtres diocésains, 32 religieux, 4 religieuses, 3 théologiens laïcs et 3 enseignants dans une institution appartenant à l’Eglise. Dans 11 cas, les auteurs n’ont pu être identifiés, et dans 10 autres, il n’y a pas de données. 29 victimes sont des enfants jusqu’à 12 ans, 15 sont des filles de 12 à 16 ans, 36 sont des garçons de 12 à 16 ans, 22 des femmes adultes, 34 des hommes adultes.

Les agressions sexuelles ont été commises, pour 22 cas, dans les années 1950-60, pour 27 cas, dans les années 1960-70, pour 22 cas, dans les années 1970-80, pour 9 cas, dans les années 1980-90, pour 9, cas dans les années 1990-2000, et pour 13 cas, dans les années 2000-2010. Pour 22 cas, il n’y a pas de données.

«Nous avons obtenu des résultats et fait de grands progrès ces dix dernières années», a confié à l’Apic Me Adrian von Kaenel. «Avant, on ne parlait pas de ces problèmes dans l’Eglise, on les passait sous silence. Maintenant, on a pris conscience de ce que représentent les abus sexuels, cela a un effet préventif… Mais je dois avouer qu’il y a toujours des réticences dans certains milieux d’Eglise, et cela prendra au moins une génération pour dépasser ces réticences…»

L’avocat ne veut pas en dire plus sur les milieux concernés, mais il estime qu’il n’est pas facile de faire évoluer les mentalités partout à la même vitesse. Certains pensent qu’en déballant les affaires de pédophilie ou d’abus sexuels dans l’Eglise, on porte atteinte à l’institution. Mais il estime qu’il est absolument nécessaire de faire la lumière sur ces abus. «C’est une question de cohérence et de crédibilité, et cela aide également à la prévention».

Selon le rapport de la Commission, le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg a signalé peu de cas dans la première moitié de l’année 2010, à savoir seulement 3. La raison en est que la Commission «SOS Prévention» venait d’être mise sur pied. De nombreuses victimes avaient ainsi déjà été signalées. En revanche, dans la seconde moitié de 2010, six nouveaux cas ont été révélés.

Encore beaucoup de travail à accomplir

Dans les diocèses de Sion et de Lugano, pratiquement aucun cas n’a été annoncé. Sion a connu un seul cas, et Lugano aucun. Le rapport 2010 comprend 9 cas directement rapportés par les communautés religieuses. Les couvents, monastères et communautés religieuses sont désormais concernés par la statistique de la Commission. Mais le formulaire de signalement n’a été présenté que le 21 février dernier, lors d’une réunion de la CES avec les responsables des communautés religieuses. L’effet se fera donc sentir sur les statistiques de 2011. Pour le moment, la Commission n’a reçu qu’une réponse de la part des capucins et des religieux pallotins. «Il y a là un grand besoin d’agir et encore beaucoup de travail de motivation à accomplir», reconnaît Adrian von Kaenel.

Les évêques du monde entier devront préparer, d’ici la fin du mois de mai 2012, des directives pour faire face au fléau des abus sexuels à l’égard de mineurs commis par des membres du clergé, a demandé en mai dernier la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF). «Nous n’avons pas beaucoup à changer dans les directives actuelles de la CES, que des détails. Notre travail de ces dernières années est pour l’essentiel confirmé», a déclaré Me von Kaenel. Ainsi, l’information entre les diocèses circule mieux et avec plus d’efficacité. Les prêtres qui ont eu des histoires problématiques doivent être signalés quand ils changent de diocèse.

Le PDC a longtemps influencé la CES pour ne pas s’engager contre l’apartheid

Au cours de la conférence de presse, Bruno Soliva a noté que des politiciens démocrates-chrétiens (PDC) liés aux milieux économiques, par des contacts informels, avaient influencé l’attitude timorée de la CES qui a longtemps hésité à condamner l’apartheid. Les milieux économiques, en particulier les banques, ont réussi à convaincre l’Eglise catholique sur la réalité d’un danger de révolution communiste en Afrique du Sud, si le mouvement de libération ANC prenait le pouvoir, a soutenu l’historien. Les lobbys politiques favorables au gouvernement de Pretoria ont réussi un temps à freiner les évêques dans leur condamnation de l’apartheid, et ces derniers n’ont jamais eu de position claire sur le boycott de l’Afrique du Sud jusqu’à la fin du régime d’apartheid, a-t-il souligné.

L’étude, mandatée par la CES et réalisée sous la responsabilité de la Commission «Justice et Paix», relève que l’attitude de l’Eglise suisse envers la politique d’apartheid ne peut être réduite aux activités de la Conférence épiscopale. Dans les années 70 déjà, des groupements et mouvements d’Eglise ou proches de l’Eglise (Jeunesse Etudiante Chrétienne/JEC, Jeunesse Ouvrière Chrétienne/JOC, Société Missionnaire de Bethléem/SMB, Déclaration de Berne, etc.) avaient attiré l’attention sur la situation insupportable en Afrique du Sud. Mais l’étude révèle que la CES «a longtemps réagi de façon hésitante et indécise face à ces appels».

Ce n’est que dans la deuxième moitié des années 80 que cela a changé, quand des groupes de base de l’Eglise, des groupes de solidarité et des mouvements d’étudiants, l’Action de Carême, puis la CES – grâce notamment à son secrétaire général d’alors, le Père Trauffer -, ont publiquement critiqué les violations des droits humains en Afrique du Sud.

Ce changement d’attitude des évêques a été considérablement influencé par les contacts directs avec les institutions ecclésiales locales, comme la Conférence des évêques catholiques d’Afrique du Sud. La présentation de cette étude à Johannesburg, le 9 août dernier, en présence de Mgr Werlen, d’Antonio Hautle, directeur de l’Action de Carême, de Bruno Soliva, du Père Josef Elsener, de la SMB, et de Wolfgang Bürgstein, de Justice et Paix, a fait grande impression.

L’Abbé d’Einsiedeln a renouvelé, le 15 septembre à Berne, ses remerciements à «Justice et Paix» et aux œuvres suisses d’entraide, en particulier à l’Action de Carême et à Caritas, pour avoir poussé la CES à prendre position sur la question de l’apartheid. Les évêques, reconnaît-il, ont longtemps manqué de courage face à l’économie et aux banques. Le 9 août dernier à Johannesburg, Mgr Werlen a présenté ses excuses au peuple sud-africain en raison de l’attitude passée de la CES, soulignant que si l’on ne peut pas changer le passé, «l’on peut changer notre attitude, nous engager pour la justice et la paix pour tout homme!». (apic/be)

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