Rencontre avec le cardinal Christian Tumi, archevêque de Garoua

APIC-Interview

Le synode africain est bien parti

Jacques Berset, Agence APIC

Depuis la diffusion, en juillet dernier, du document préparatoire (»lineamenta») à l’Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques,

l’Eglise africaine réfléchit intensément à son identité. Ce sera pour nous

l’occasion de mieux connaître la théologie africaine, une théologie originale qui, en toute fidélité à la foi chrétienne, veut réfléchir sur la Révélation à partir de l’homme africain, de sa culture et de sa sagesse.

Le Synode africain, qui devrait se dérouler en 1993, soit à Rome soit en

Afrique – la décision appartenant au pape -, semble en effet bien parti.

C’est ce qu’a confirmé à l’agence APIC le cardinal Christian Wiyghan Tumi,

archevêque de Garoua (Cameroun), lors de son récent passage en Suisse. Il

s’agit pour ce Synode de «trouver, comme l’a dit Jean Paul II, le langage

qui traduise vraiment la foi en Afrique».

APIC:Le prochain Synode sur l’Afrique, est-ce vraiment l’affaire des

Africains; les Africains ont-ils choisi les thèmes des travaux ?

CardinalTumi:L’Afrique est bien présente à Rome ainsi que dans la préparation de Synode. On rencontre au Vatican les cardinaux Francis Arinze,

président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux (Nigéria)

et Bernardin Gantin, préfet de la Congrégation pour les évêques (Bénin),

sans compter les prêtres africains qui travaillent dans les divers dicastères romains. Beaucoup d’évêques africains font aussi partie des membres de

ces dicastères.

Ce sont les évêques africains eux-mêmes qui ont déterminé les thèmes :

il y a d’abord l’élaboration du questionnaire, que l’on appelle «lineamenta». Le pape a proposé le thème de l’Eglise en Afrique et sa mission évangélisatrice vers l’an 2’000 : «Vous serez mes témoins». C’est nous qui

avons décidé comment analyser ce thème. Nous avons choisi cinq grands titres : évangélisation, inculturation, dialogue avec les autres religions,

justice et paix et moyens de communication sociale. Les présidents de chacune des commissions sont des évêques qui sont en Afrique. Nous nous réunissons à Rome par commodité, car c’est quelques fois plus difficile pour

nous de nous réunir en Afrique. Cela ne nous gêne absolument pas pour notre

travail d’être à Rome.

APIC:N’est-ce pas symbolique qu’un Synode sur l’Afrique se réunisse à

Rome ?

MgrTumi:Le pape n’a pas encore décidé si le Synode aura lieu en Afrique

ou à Rome. Je suis d’accord avec vous que, psychologiquement, ce serait

très symbolique de le tenir en Afrique. Il faut cependant admettre que nous

manquons parfois chez nous de structures pour travailler. Mais il y a des

pays qui seraient prêts à nous accueillir, non sans arrière-pensées. Certains espèrent notamment tirer des avantages politiques d’un tel rassemblement.

APIC:Quelles vont être à la base les répercussions d’un tel Synode ? N’y

a-t-il pas le risque que cela reste un exercice très abstrait et intellectuel ?

MgrTumi:Pas du tout. C’est justement pour cela que nous nous sommes donné trois ans de préparation. Les «lineamenta» sont maintenant à la base :

on est en train de réfléchir dans les paroisses, on les étudie dans les

villages. Dans mon diocèse de Garoua par exemple, dès avant la mi-février,

deux secteurs avaient déjà fait parvenir leur synthèse. Pour le Cameroun,

selon les règles, diocèses ou paroisses choisissent chacuns les questions

qui les touchent particulièrement parmi les 81 questions posées. Nous avons

examiné le document et le questionnaire, et après avoir choisi les thèmes à

traiter, chaque prêtre retourne dans sa paroisse et explique les questions

dans un langage simplifié.

Après les synthèses diocésaines et les synthèses des provinces ecclésiastiques (regroupant plusieurs diocèses), nous aurons les synthèses nationales. Elles doivent être remises à Rome jusqu’en novembre, pour permettre la

rédaction, par des évêques africains, de la synthèse continentale appelée

«instrumentum laboris», le document de base qui sera utilisé durant le Synode. Ce document sera très concret, car nous ne sommes pas des métaphysiciens, ce qui nous intéresse, c’est la pratique.

APIC:Ce qui sous-tend tout ce travail de réflexion, est-ce la théologie

de l’inculturation ?

MgrTumi:Non, c’est l’évangélisation de l’Afrique, qui est plus importante que l’inculturation. On doit évangéliser l’homme et sa culture. Mais ensuite, il faut se demander comment proposer l’Evangile, la Parole de Dieu,

à l’homme africain aujourd’hui, en tenant compte de ses valeurs. Si on a

fait un groupe de travail évangélisation et un groupe de travail inculturation, c’est parce qu’il faut analyser pour unifier. Il n’y a pas d’autre

moyen d’aborder le problème que d’étudier les croyances traditionnelles de

l’homme africain concret, pour que quand on lui propose l’Evangile, on sache ce à quoi il croit. Mais la Parole de Dieu est quelque chose de tout à

fait neuf, qui vient rencontrer l’homme africain avec sa culture, pour les

purifier. Nous attendons une grande impulsion de ce Synode.

Pour nous, l’idéal de l’inculturation, c’est le Christ : il a assumé

tout ce que nous sommes, sauf le péché. Nous disons qu’en principe, tout ce

qui est bien dans nos cultures africaines doit être assumé par l’Eglise.

Concrètement, nous sommes en train d’étudier nos cultures pour repérer nos

valeurs spécifiques. Il y a, à mon avis, au moins déjà deux cultures : celle des gens vivant dans les villes, qui ne sont plus en contact avec la

tradition villageoise, et celle des villages. A Yaoundé ou Douala, par

exemple, les jeunes ne connaissent plus la langue de leurs ancêtres, mais

seulement l’anglais et le français. Ils ont désormais une autre culture,

qu’ils assument à leur manière.

APIC:Quelles sont les valeurs que vous avez repérées ?

MgrTumi:Nous étudions par exemple dans la tradition la stabilité du mariage : dans la tradition, le divorce n’existait pas. Bien sûr, si la femme

ne pouvait pas avoir d’enfant, l’homme pouvait prendre une deuxième femme,

mais la première femme reste la première femme. Dans la tradition, quand il

doit faire le sacrifice coutumier, l’homme prend toujours la première femme, ce qui veut dire que c’est elle qui est reconnue. C’est pourquoi l’Eglise baptise toujours la première femme en cas de polygamie, car la première, c’est la vraie.

Nous avons bien d’autres valeurs encore, comme l’hospitalité africaine,

qui sont tout à fait chrétiennes. Nous avons besoin pour cette oeuvre d’inculturation de théologiens, d’anthropologues, de sociologues. Il faut

d’abord étudier ce qui est en accord avec l’Evangile, car c’est l’Evangile

qui doit rester la règle. (apic/be)

Encadré

Le cardinal Christian Wiyghan Tumi, archevêque de Garoua (Cameroun), est

depuis l’an dernier président du SCEAM, le Symposium des Conférences Episcopales d’Afrique et de Madagascar. Né le 15 octobre 1930 dans la partie

anglophone du Cameroun (diocèse de Bamenda), il a été nommé évêque par le

pape Jean Paul II en décembre 1979. Il a d’abord été chargé du diocèse de

Yagoua, puis il est devenu archevêque de Garoua en 1984. Il a reçu la pourpre cardinalice en 1988, devenant ainsi le premier cardinal camerounais.

(apic/be)

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