«L'extrémisme juif est semblable à Daech», selon Jean-Michel Poffet

Fribourg, 06.08.15 (cath.ch-apic) L’extrémisme juif est un dévoiement religieux semblable à Daech, selon le directeur émérite de l’école biblique de Jérusalem. Pour le dominicain fribourgeois Jean-Michel Poffet, qui a vécu en Israël de 1999 à 2008, ces actes violents sont le fruit d’une lecture fondamentaliste des textes sacrés. Elle repose sur les mêmes mécanismes et galvanise un expansionnisme conquérant dont les communautés chrétiennes sont aussi victimes. Interview.

Claude Klein, professeur de droit à l’Université hébraïque de Jérusalem, parle «des proportions incroyables» qu’a pris le terrorisme juif. Pouvez-vous souscrire à ce propos?

Oui, tout-à-fait. C’est un dévoiement religieux et politique semblable à ce qui est en train de se passer en islam avec Daech. Je n’ose d’ailleurs plus parler d’expérience religieuse: que veut dire le mot «orthodoxe» dans ce contexte?

Qui sont ces extrémistes?

Ce sont des fondamentalistes absolus. Dès qu’un verset biblique mentionne le nom d’un village dans lequel a transité Josué ou Abraham, ils considèrent qu’il est à eux. Le problème, au fond, c’est une question d’interprétation des textes sacrés. C’est un enjeu qui vaut également pour le christianisme et l’islam. Il faut apprendre à lire la Torah, la Bible et le Coran dans leur contexte. Cela me paraît fondamental. Dans l’Eglise catholique, le magistère nous y invite. La constitution dogmatique Dei Verbum, du Concile Vatican II, est le fruit d’un long combat, mené notamment par le Père Lagrange, en faveur d’une lecture qui soit à la fois croyante, historique et critique de la Parole de Dieu.

Or le judaïsme n’a pas d’équivalent qui pourrait proposer, voire imposer, une certaine lecture. Il y a de grandes Universités et de grands intellectuels juifs, mais les milieux fondamentalistes ne s’en préoccupent pas. Pis encore, ils sont scandalisés par des études historiques qui s’opposent à leur lecture «conquérante» des livres bibliques.

Le gouvernement israélien augmente la pression sur ces extrémistes. Pour quelle raison selon vous?

A cause de l’ampleur de l’indignation internationale. Netanyahou commence enfin à s’opposer à ces actes barbares, mais je crains que ce ne soit que des mesures de surface. Le gros problème reste l’expansion des colonies juives dans les territoires palestiniens que le gouvernement tolère. Or, il faut bien reconnaître que c’est de là qu’émerge la violence.

Comment ces mouvements fondamentalistes considèrent-ils les communautés chrétiennes?

Pour eux, les chrétiens «polluent» la Terre Sainte. Dans un esprit de conquête, ils ont commis un nombre impressionnant de déprédations contre des églises ou des monastères. Ils ont été jusqu’à brûler l’Eglise de Tabgha le 18 juin dernier. Elle était tenue par des bénédictins très ouverts sur le judaïsme.

Et comment réagissent ces communautés prises pour cible?

Elles dénoncent ces actes auprès des autorités tout en essayant de ne pas se laisser contaminer par la violence. Elles tiennent, souvent avec héroïsme, une position évangélique qui se manifeste dans l’amour qu’elles essayent de porter à celles et ceux qui constituent leur milieu, qu’ils soient juifs ou musulmans. Ces communautés tentent de vivre au quotidien un évangile de paix dans un souci de justice. J’ai beaucoup de respect pour eux.

Vous avez passé près de dix ans à Jérusalem. Comment vivez-vous personnellement cet état de violence?

Je n’ai pas de mot pour dire ma souffrance et, certains jours, ma révolte. Je ne comprends pas qu’Israël ne réagisse pas plus fermement face à cet aveuglement. La montée de la violence est constante, du côté israélien comme du côté musulman. Il faudrait aboutir à un ordre juridique qui soit respecté de toutes parts, mais tant que la question palestinienne n’est pas réglée, elle pourrit tout. Elle est une véritable infection pour toute cette région et bien au-delà.

Je n’ai pas beaucoup de motifs d’être optimiste pour le moment. La situation est extrêmement complexe. Les Israéliens sont tenus par une peur viscérale, qui remonte à la Shoah. Le désastre des soi-disant «printemps arabes» l’a accentuée. Face à cette peur, certains veulent être encore plus durs, pensant être ainsi plus en sécurité. La réaction musulmane est connue. Et les chrétiens sont malheureusement pris en tenaille là au milieu. (apic/pp)

Pierre Pistoletti

Portail catholique suisse

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