Notre rencontre est un «message», assure le pape François à l’imam d’Al-Azhar  

«Le message c’est la rencontre». C’est ce que le pape François a affirmé à l’imam d’Al-Azhar Ahmed Mohamed el-Tayeb en l’accueillant au Vatican, le 23 mai 2016. L’intellectuel musulman suisse Hafid Ouardiri se réjouit de cette nouvelle étape de rapprochement entre les deux religions.

Lors de la première visite au Vatican du chef de la prestigieuse institution sunnite, a indiqué le Saint-Siège, il a été question de «l’engagement commun des autorités et des fidèles des grandes religions pour la paix dans le monde, du refus de la violence et du terrorisme, de la situation des chrétiens dans le contexte des conflits et des tensions au Moyen-Orient et leur protection».

Accueilli par le pape François dans la bibliothèque du Palais apostolique, l’imam d’Al-Azhar s’est entretenu avec lui en privé pendant 25 minutes. Au terme de l’entretien, ils ont été rejoints par les huit membres de la délégation du grand imam sunnite, dans laquelle figuraient deux autres religieux et l’ambassadeur d’Egypte auprès du Saint-Siège Hatem Seif el-Nasr. Le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, s’est aussi joint au groupe accompagné de quelques membres de son dicastère.

«Dépasse ce qui divise, recherche ce qui unit»

Le pape François a offert à l’imam el-Tayeb un exemplaire de l’encyclique Laudato si’ ainsi qu’un médaillon représentant l’olivier de la paix. Il a alors longuement expliqué au chef religieux sunnite le sens de cette médaille sur laquelle figure un olivier faisant le lien entre les deux parties d’un même rocher, avec cette inscription en italien: «dépasse ce qui divise, recherche ce qui unit».

Au terme de la rencontre, sur le pas de la porte de la bibliothèque, le pape François et l’imam Ahmed Mohamed el-Tayeb se sont embrassés. Puis, dans une autre salle du Palais apostolique, l’imam et sa délégation ont participé à une brève rencontre avec la délégation vaticane menée par le cardinal Jean-Louis Tauran.


«J’espère que l’imam d’Al-Azhar sera inspiré par la liberté du pape François»

L’intellectuel musulman genevois Hafid Ouardiri, directeur de la Fondation de l’Entre-connaissance, confie à cath.ch sa satisfaction de voir un rapprochement entre l’influente institution sunnite et l’Eglise catholique, en particulier dans le contexte des «situations dramatiques» que vit actuellement le monde musulman.

La rencontre entre le pape François et l’imam d’Al-Azhar, c’est donc pour vous une bonne nouvelle…

Hafid Ouardiri: Oui, je me réjouis de cette étape historique. C’est important qu’elle se fasse maintenant, alors que certains extrémistes font tout leur possible pour créer la division entre les religions. J’espère qu’elle pourra enrichir les deux bords. Ce serait notamment très positif qu’Ahmed el-Tayeb puisse s’inspirer de la liberté de parole du pape François et de son indépendance vis-à-vis des forces politiques.

Vous voulez dire que l’Université d’Al-Azhar serait trop sensible aux influences politiques?

La religion doit pouvoir agir au-delà des pressions politiques. On a dit par le passé que l’Université était infiltrée par les Frères musulmans et les salafistes. Ce qui est sûr,actuellement, c’est qu’elle est totalement sous la coupe du pouvoir militaire et dictatorial du président el-Sissi. L’institution ne devrait subir aucune sorte d’influence et devrait pouvoir s’élever au-dessus de toutes ces querelles politiques. J’aimerais que l’imam puisse prendre la même liberté de parole que le pape François et qu’il ose dire leur fait aux élites qui instrumentalisent l’islam de par le monde et maltraitent leur peuple.

Le dialogue islamo-chrétien semble en marche dans le monde. Qu’en est-il en Suisse?

Je pense qu’en Suisse, l’on ne peut pas encore parler de «dialogue». Nous sommes plutôt dans une forme d’échanges entre religions, nous apprenons à nous connaître. Nous construisons cette confiance qui nous permettra un jour de discuter réellement de ce qui nous relie et de ce qui nous différencie. Mais ce chemin est parcouru d’étapes très encourageantes. J’ai par exemple participé, ces derniers jours, à un très beau spectacle interreligieux, à Lausanne. J’ai eu l’occasion de prononcer l’appel à la prière lors de la «Messe pour la paix», du compositeur Karl Jenkins, à l’église Saint-Jean de Cour. La pièce musicale a été écrite en mémoire des victimes de la guerre du Kosovo. Beaucoup de gens m’ont fait part de leur émotion d’entendre une prière islamique dans une église. Je leur ai répondu: «Tout est possible quand les êtres humains décident de s’enrichir mutuellement».

La Fondation de l’Entre-connaissance organise prochainement un séminaire sur le soufisme*. Quelle place ce courant de l’islam peut-il prendre dans le dialogue interreligieux?

Le soufisme enseigne profondément le respect de l’autre. Il affirme que, quelle que soit notre religion, nous faisons tous partie de la même famille humaine, sous le regard de Dieu. Alors oui, le soufisme, un mouvement qui promeut la mystique et la spiritualité, peut aider des musulmans en mal de repère à mieux se situer et à entrer dans une relation saine avec la société dans laquelle il vivent. Je pense que ce courant peut «libérer» des musulmans enfermés dans des dogmes et être un moyen d’agir contre la radicalisation. Pour cela, il n’y a cependant pas besoin d’intégrer la confrérie soufie. Pour moi, tout musulman qui vit sa foi de manière véritable est soufi. Il est néanmoins nécessaire de savoir ce qu’est le soufisme et ce qu’il n’est pas, c’est l’objectif du séminaire de Genève. (cath.ch-apic/imedia/ami/rz)

*Séminaire «Qu’est-ce que le soufisme et qu’est-ce qu’il n’est pas»?, Temple des Pâquis, rue de Berne 49, Genève. 3 et 5 juin 2016.

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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