L’œcuménisme du pape François: un élan intérieur

But central de la visite du pape François à Genève le 21 juin 2018, la visite au Conseil œcuménique des Eglises (COE). Ce voyage, à l’occasion des 70 ans du COE, révèle la fibre œcuménique du pape argentin. Ami de longue date d’un pasteur luthérien à Buenos Aires, il milite pour des relations proches avec les autres Eglises.

«L’œcuménisme se fait en marchant»: disait le pape, le 30 mai dernier, aux délégués du Patriarcat orthodoxe de Moscou. En marchant… Justement: sa visite au Conseil œcuménique des Eglises (COE), le 21 juin, est placée sous le slogan «Marcher, prier et travailler ensemble». Il s’agit bien d’un pèlerinage œcuménique qu’accomplit le Saint-Père à Genève.

Cheminer avec les autres Eglises chrétiennes a été un leitmotiv dès le début de son pontificat. Le 20 mars 2013, le 265e successeur de l’apôtre Pierre déclare, à l’adresse des Eglises: «Je désire vous assurer, suivant en cela mes prédécesseurs, de la volonté ferme de poursuivre le chemin du dialogue œcuménique».

«Que s’accomplisse le grand mystère de cette unité»

Ses prédécesseurs? Jean XXIII, l’homme de Vatican II, Paul VI, qui leva les anathèmes contre l’Eglise orthodoxe, Jean Paul II et l’encyclique Qu’ils soient un (1995) et Benoît XVI. Ils ont ouvert la voie: François l’approfondit. Son credo, qu’il emprunte à Jean XXIII: «Que s’accomplisse le grand mystère de cette unité que Jésus-Christ a demandée à son Père dans une ardente prière».

Le dilemme face aux orthodoxes

«Qu’ils soient un afin que le monde croie»: le leitmotiv de l’unité, réaffirmé au concile Vatican II, est, pour François, le «meilleur service à la cause de l’unité des chrétiens, un service d’espérance pour le monde encore marqué par des divisions et des rivalités», disait-il le 20 mars 2013. En lien avec le Conseil pontifical pour la promotion de l’Unité des chrétiens, mené par le cardinal suisse Kurt Koch, il multiplie les gestes de réconciliation depuis cinq ans.

Et le panorama se fait large, ouvert à toutes les confessions chrétiennes. Il va voir les dirigeants des autres Eglises, ou les accueille au Vatican.

A l’égard des orthodoxes, un pontife romain est pris entre le patriarcat œcuménique de Constantinople, dirigé par Bartholomée Ier, qui détient la primauté d’honneur dans l’orthodoxie, et l’Eglise orthodoxe russe, numériquement la plus importante, sous la houlette du patriarche Cyrill.

Déjà huit rencontres avec Bartholomée

Entre Rome et Constantinople, les contacts sont fréquents, depuis la rencontre historique entre Paul VI et le patriarche Athénagoras en 1964 à Jérusalem. Chaque année, lors de la fête des apôtres Pierre et Paul, le 29 juin, une délégation de Constantinople se rend à Rome. Politesse rendue lors de la fête de saint André, le 30 novembre de chaque année, à Istanbul (Constantinople). Cette tradition s’est poursuivie avec François.

Les relations se sont renforcées depuis 2013: déjà huit rencontres en cinq ans. Fait sans précédent, pour la première fois, le patriarche orthodoxe de Constantinople a assisté à la messe d’intronisation du successeur de Pierre, le 19 mars 2013. Le pape et Bartholomée Ier se sont ensuite retrouvés à plusieurs reprises, à Jérusalem, à Rome et à Istanbul en 2014, puis à Lesbos (Grèce) et à Assise (Italie) en 2016, et enfin en Egypte en 2017. De plus, François et Bartholomée Ier ont co-signé plusieurs déclarations ou messages.

L’œcuménisme en action

Face à Moscou, la tâche était plus délicate. Ainsi Jean Paul II n’a jamais pu se rendre à Moscou, en dépit de ses demandes. Fait exceptionnel, François y parvient, en un lieu neutre et étonnant: l’île de Cuba. Le 12 février 2016, à l’aéroport de La Havane, le pape rencontre Cyrille, son «frère», mot qu’il emploie au cours de l’entretien. Il glisse même à la fin de leur conversation, «finalmente» (finalement en italien). «Il est très clair, confie alors le pape argentin, que c’est la volonté de Dieu».

Avec Justin Welby, primat de la Communion anglicane, les rencontres sont également courantes: quatre fois en cinq ans de pontificat. C’est du jamais vu à Rome. En cela aussi, François a suivi l’élan de ses prédécesseurs. En 1967, le patriarche anglican Michael Ramsey était venu à Rome pour rencontrer Paul VI.

Pourtant le dialogue anglican-catholique est confronté à des questions délicates. Les différences sur l’ordination des femmes pèsent dans les discussions. «Il y a certaines préoccupations qui constituent des obstacles sérieux à notre pleine unité», reconnaissent le 5 octobre 2016 le pape François et le Dr Welby.

«Apprendre à nous transcender»

Quant aux Eglises protestantes, la célébration des 500 ans de la Réforme en 2017 a ouvert à François un boulevard. Le 30 novembre 2016, il va à la rencontre de l’Eglise luthérienne à Lund en Suède, pour commémorer le début de l’événement. Avant de rejoindre le pays scandinave, le pape confie, à propos de la division des Eglises: «Lorsque nous nous éloignons, nous nous refermons sur nous-mêmes et devenons des monades, incapables de nous rencontrer, nous nous laissons prendre par les peurs. Il nous faut apprendre à nous transcender pour rencontrer les autres». Car, ajoute-t-il, «si nous ne le faisons pas, nous aussi, chrétiens, risquons de nous rendre malades de nos divisions».

François ne se résigne pas à la division. «L’unité vient d’abord de notre union à Dieu, dit-il. Il nous faut donc réparer un moment crucial de notre histoire, en surmontant les controverses et les malentendus. Pour cela, a ajouté le pontife, il s’agit de purifier le passé, en le regardant avec amour et honnêteté, pour reconnaître notre faute et demander pardon, car Dieu seul est juge».

A Lund, il rend hommage à la Réforme: elle a contribué à mettre l’Ecriture davantage au centre, dans la vie de l’Eglise, et affermi une attitude de prière où c’est toujours Dieu qui prend l’initiative.

Un ami luthérien

Le luthéranisme lui est familier, en fait. Pour François, il est associé au nom du pasteur Anders Ruuth, professeur de théologie spirituelle à la faculté protestante de Buenos Aires. Le Père Jorge Bergoglio enseignait la même matière à la faculté catholique. Echangeant souvent avec lui, le pape se souvient de son ami avec affection.

Ce mouvement de rapprochement avec le protestantisme, François l’a aussi entrepris le 22 juin 2016. A Turin, il implore le pardon de l’Eglise vaudoise d’Italie «pour les attitudes et les comportements non chrétiens, et même non humains, que, au cours de l’Histoire, nous avons eus contre vous». La «Table vaudoise», autre nom de cette Eglise fondée au 12e siècle, lui répondra ne pas pouvoir pardonner à la place de «ceux qui ont payé leur témoignage à la foi évangélique de leur sang et avec d’autres souffrances». Traces d’un passé douloureux, les disciples du marchand lyonnais Valdo furent excommuniés en 1184, puis rejoignant la Réforme protestante, ont été victimes de terribles massacres en France et en Italie.

Pas d’œcuménisme «élitiste»

Le pape François arrive, le 21 juin prochain à Genève, dans un temple du dialogue entre chrétiens, le Conseil œcuménique des Eglises. Il garde au cœur la nécessité et le désir d’un rapprochement entre les Eglises. «Aucun dialogue œcuménique ne peut progresser si nous restons immobiles, disait-il le 4 juin 2017 devant une délégation luthérienne allemande. Nous devons continuer à avancer: non en nous précipitant pour atteindre des objectifs ambigus, mais en marchant patiemment ensemble, sous le regard de Dieu».

«Aucun dialogue œcuménique ne peut progresser si nous restons immobiles»

Et de pointer les thèmes délicats: l’Eglise, l’eucharistie et les ministères, qui «méritent des réflexions précises et bien partagées». Car pour le pape, «l’œcuménisme ne saurait être élitiste, mais il doit impliquer autant de frères et de sœurs dans la foi que possible, devenant une communauté de disciples qui prient, aiment et proclament». Le message de Genève aura sans doute cette tonalité: retrouver l’esprit des disciples pour faire progresser l’unité des chrétiens. (cath.ch/bl)

Bernard Litzler

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