Jean Vanier, le vrai rebelle d'aujourd'hui

Le film «Jean Vanier, le sacrement de la tendresse», est l’une de ces œuvres qui changent quelque chose dans nos vies. Pas pour ses qualités cinématographiques, parfois discutables, mais certainement pour les réflexions essentielles et profondes qu’il transmet.

Le film, était présenté en avant-première suisse, le 12 février à Genève, la ville qui vit naître le fondateur des communautés de l’Arche, en 1928.

Au regard de son parcours, on comprend que beaucoup considèrent Jean Vanier comme une «grande âme», le comparant à des figures telles que Gandhi, Nelson Mandela, ou encore Martin Luther King. Comme ces derniers, ce fils de diplomate issu de l’aristocratie canadienne a radicalement bifurqué du «boulevard» de succès que la société lui avait tracé. Promis à une brillante carrière dans la marine militaire, Jean Vanier a préféré créer, en 1964, avec pour seul bien une vieille maison délabrée de l’Oise, près de Paris, une communauté d’accueil de personnes en situation de handicap. Plutôt que de fréquenter les «grands» de ce monde, il a choisi d’aller vers les plus «petits».

«La tyrannie de la compétitivité»

Mais au-delà de l’appel authentique du cœur, Jean Vanier a produit une réflexion profonde et éclairée sur les principaux maux de notre société, qui font que les handicapés sont rejetés et méprisés. Il dénonce «la tyrannie de la normalité et de la compétitivité».

Là est peut-être son message le plus pertinent. Plus largement, il pose la question du but de l’existence. Notre culture nous incite à penser que la réalisation sociale est l’ultime quête à poursuivre. Sous le slogan enjôleur «Crois en tes rêves», la littérature, le cinéma, la musique et la publicité font penser à des millions d’enfants et d’adolescents qu’ils deviendront forcément un jour chanteuse à succès, auteur célèbre, homme d’affaire richissime, ou footballeur adulé. Une machine de «propagande» bien huilée au service de la «tyrannie de la compétitivité». D’autant plus difficile à identifier qu’elle est enrobée d’une bonne couche de qualités «consensuelles» telles que le courage, la persévérance, la force, le refus de la fatalité. Le fondateur de l’Arche n’appelle certainement pas à la médiocrité ou à la passivité. Il pose juste la question de la direction dans laquelle chacun choisit de placer son énergie de vie: vers soi-même ou vers les autres?

«La réconciliation est plus forte que la haine»

La partie du film sur la communauté de l’Arche de Bethléem, en Palestine, illustre particulièrement bien cet enjeu. L’endroit accueille des musulmans et des chrétiens, dans une société où le handicap est encore mal accepté. La journaliste et cinéaste Frédérique Bedos donne la parole à un collaborateur du centre, arabe chrétien, de nationalité israélienne. Il affirme avoir découvert, parmi ces résidents qui se fichent royalement de l’appartenance religieuse ou ethnique des personnes qu’ils rencontrent, une vision de «la famille humaine», la conscience que «la réconciliation est plus forte que la haine». Il appelle les Palestiniens et les Israéliens à «abandonner leurs rêves», de puissance et de contrôle. La paix ne peut passer selon lui que par la création d’un seul Etat où tous seraient reconnus à la même valeur.

«Jean Vanier, le sacrement de la tendresse» parvient à démontrer que les personnes en situation de handicap ont cette aptitude inestimable de nous rappeler que l’on peut rencontrer l’autre pour ce qu’il est, sans jugement. En les regardant plus attentivement, nos sociétés trouveraient peut-être la même paix et la même joie primale. Et selon les termes du Père Rafik, prêtre du Patriarcat latin de Jérusalem proche de l’Arche, ces sociétés devraient, comme Jean Vanier, «passer de l’amour de la force à la force de l’amour».

Raphaël Zbinden

15 février 2019

Portail catholique suisse

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