Le pape confirme un changement de regard sur la théologie de la libération

La théologie de la libération, autrefois «diabolisée» par certains dans l’Eglise, bénéficie aujourd’hui d’un autre regard. Un constat confirmé par le pape François lors des JMJ de Panama, fin janvier 2019, lors d’une conversation avec des jésuites, publiée le 14 février par la revue «Civilta Cattolica».

«Aujourd’hui, nous les vieux, rions en pensant à quel point nous étions inquiets au sujet de la théologie de la libération», a déclaré le pape François devant une trentaine de ses confrères jésuites. Le compte-rendu de la séance de questions-réponses entre le pontife et les membres de la Compagnie de Jésus a été publié quelques semaines plus tard dans la Civilta Cattolica, en italien, espagnol, anglais et français.

Pionniers de la lutte sociale chrétienne

Parmi d’autres questions des novices réunis dans le cadre des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ), l’attention a été portée sur ce que pouvait apporter à l’Eglise universelle le témoignage qui a caractérisé la Compagnie de Jésus en Amérique centrale. «En Amérique, vous avez été des pionniers dans les années de luttes sociales chrétiennes», a souligné le pape. S’il a reconnu que certains théologiens de la libération avaient, à l’époque, commis des erreurs, il a regretté la condamnation générale du mouvement.

Méfiance envers le marxisme

La théologie de la libération a émergé en Amérique latine dans les années 1960 et 1970. Ses adeptes puisaient dans l’Evangile les principes et l’inspiration pour libérer les peuples des conditions de vie injustes dans lesquelles ils se trouvaient. Durant les années 1980, la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF), alors dirigée par le cardinal Joseph Ratzinger, futur pape Benoît XVI, a publié deux documents majeurs sur la théologie de la libération. Tout en saluant la préoccupation du mouvement pour les pauvres et la justice, ils condamnaient une tendance prétendument exagérée à se référer au marxisme dans son analyse de la société. Parmi les théologiens de la libération les plus célèbres, on compte Mgr Hélder Camara, Mgr Oscar Romero, Leonardo Boff, ou encore Gustavo Gutierrez.

Le pape François, le cardinal Müller et Gustavo Gutierrez réunis pour une messe

Le pape François a fait, de façon insolite, référence à ce dernier lors de sa rencontre avec les novices à Panama. Dans une anecdote «amusante», le pontife argentin a raconté avoir concélébré une messe avec le théologien péruvien et le cardinal Gerhard Ludwig Müller, alors préfet de la CDF. «Et c’est arrivé parce que Mgr Müller l’a conduit à moi en tant qu’ami, a souligné le pape. Si à ce moment-là, quelqu’un avait dit qu’un jour le préfet de la CDF allait amener Gutierrez pour concélébrer avec le pape, on aurait pensé qu’il était ivre», s’est amusé le pontife. Le cardinal Müller est en effet connu pour ses positions conservatrices au sein de l’Eglise. Début février 2019, il a publié un «Manifeste pour la foi» (Glaubensmanifest), qui critique implicitement certaines avancées du pape François.

Des responsables catholiques proches des dictatures

L’histoire du pape sur la concélébration avec une figure progressiste et une autre conservatrice avait sans doute pour objectif de démontrer que les positions ne sont pas si tranchées qu’on veut bien le croire, au sein de l’Eglise, sur la théologie de la libération. «Il y avait plusieurs façons de l’interpréter», a d’ailleurs suggéré le pontife. Le pape n’a pas précisé quand s’était déroulée cette cérémonie. La journaliste américaine Cindy Wooden, de l’agence Catholic News Service (CNS) indique qu’elle aurait pu avoir lieu en septembre 2013, alors que le cardinal Müller et Gustavo Gutierrez ont eu une rencontre privée avec le pape François à la Maison Sainte-Marthe, où il réside et célèbre quasi quotidiennement une messe.

Le pontife argentin a rappelé aux jeunes jésuites à Panama que dans l’Amérique centrale de la fin du XXe siècle, les fronts étaient cependant très opposés et politisés. «En ce temps-là, d’autres membres de la hiérarchie ecclésiastique étaient très proches des régimes de l’époque, ils étaient très ‘insérés'» Pour cette raison, l’idée de canoniser Mgr Romero était pour certains impossible, car pour eux il était marxiste et donc pas chrétien, a expliqué le pontife. L’ancien archevêque de San Salvador, assassiné par des escadrons de la mort en 1980, a été canonisé le 14 octobre 2018 au Vatican par le pape François.

Processus de purification

«L’important est de ne pas être submergé par l’idéologie d’un côté ou de l’autre», a-t-il ainsi souligné face aux jésuites.

Le pontife argentin a déploré que «ceux qui ont condamné la théologie de la libération ont condamné tous les jésuites d’Amérique centrale [qui s’étaient impliqués dans ce mouvement, ndlr.]. J’ai entendu des condamnations terribles. Et celui qui l’acceptait, acceptait tout sans faire de distinctions». Ainsi, pour le pape François, «l’histoire a aidé à discerner et à purifier» les positions sur la théologie de la libération. (cath.ch/cns/rz)

Raphaël Zbinden

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