Les facultés de théologie catholiques à la loupe

En Suisse, quatre instituts de formation catholiques délivrent des diplômes académiques en théologie: les facultés de Fribourg, Lugano, Lucerne et la Haute Ecole de Coire. A quoi servent de telles études et dans quelle mesure ont-elles leur place à l’Université? Les recteurs respectifs de chaque faculté partagent leur point de vue.

Si vous deviez définir votre faculté en un mot, lequel choisiriez-vous?

Luc Devillers, Fribourg: Ouverture

René Roux, Lugano: Contemporain

Robert Vorholt, Lucerne: Une ruche bien remplie

Christian Cebulj, Coire: Discernement

Comment définissez-vous la théologie?

Luc Devillers, Fribourg: Une réflexion intellectuelle, ancrée dans l’histoire et en prise avec le monde d’aujourd’hui, sur la question de Dieu. La théologie catholique plaide volontiers l’unité, et se construit dans la diversité des langues et des cultures autour d’une vision universelle de l’humain attiré par Dieu.

René Roux, Lugano: Comme la partie de la connaissance humaine qui est, selon la tradition chrétienne, ouverte à la transcendance et questionne le mystère de Dieu. Ainsi que la relation de Dieu aux hommes et au monde et, de là, traite en conséquence du sens de la vie.

Robert Vorholt, Lucerne: La théologie est l’enseignement et la science de Dieu. Mais pas n’importe quel Dieu: le Dieu et Père de Jésus-Christ, qui aime l’humanité. A cet égard, la théologie est l’enseignement de Dieu et des hommes.

Christian Cebulj, Coire: L’expérience de chaque personne se situe au centre de la foi chrétienne – et non pas la religion ou l’Eglise. La théologie est donc un reflet raisonnable de la foi, qui fait appel à l’espérance, à la mémoire des sciences et à la parole publique de Dieu.


La parole aux étudiants


A quoi sert la théologie dans la société d’aujourd’hui?

Luc Devillers, Fribourg: Pour les croyants, elle aide à creuser la quête du sens profond de la vie. Plus largement, la parole chrétienne peut dire quelque chose à tout le monde – nous ne sommes pas dans un ghetto. Elle questionne la société au plan des valeurs comme la justice, le respect, l’éthique.

René Roux, Lugano: Elle sert avant tout à former des personnes appelées à œuvrer dans des secteurs spécifiquement religieux ou pour d’autres activités traditionnellement liées à la foi chrétienne – l’éducation, les services sociaux ou les ressources humaines. La théologie défend aussi la dignité humaine et joue un rôle d’analyse critique de la société.

Robert Vorholt, Lucerne: La théologie permet aux gens de prendre conscience de leurs propres racines. Elle sert donc aussi leur orientation. D’autre part, la théologie promeut le dialogue sur les plans sociaux, politiques et scientifiques. Et surtout, elle sert à clarifier ce que la foi croit.

Christian Cebulj, Coire: Elle doit aider à façonner le monde – et non pas se retirer dans une sphère purement théologique. Elle se situe toujours sur les plans mystique et politique puisqu’elle est un discours public sur Dieu. Elle doit notamment s’immiscer dans les questions de justice sociale et d’éthique.

Est-ce une branche académique?

Luc Devillers, Fribourg: Oui et non. La théologie dépasse l’aspect purement académique en se déployant dans une dimension spirituelle et mystique. Mais on doit aussi la considérer comme une science, car elle pose des questions et y répond en suivant une certaine méthodologie. A ce titre, elle a sa place à l’université.

René Roux, Lugano: Oui, parce qu’elle repose sur des méthodes scientifiques. Ceci dit, tous les modèles développés par les théologiens professionnels ne sont pas toujours parfaitement cohérents ou fondés méthodologiquement. Comme la philosophie, l’art ou la littérature, la théologie n’est pas le patrimoine exclusif des universités.

Robert Vorholt, Lucerne: Oui. Comme d’autres disciplines, elle doit approfondir son sujet par l’autoréflexion. Elle doit suivre une certaine méthodologie et une certaine herméneutique. Mais la théologie est plus que de la science. C’est aussi un espoir, une sagesse, un dialogue.



Christian Cebulj, Coire: La foi, en tant que telle, est une expérience et non pas un objet de réflexion. Mais comme acte secondaire, la foi a besoin de la théologie entendue comme une science académique et rationnelle. La théologie est donc un outil important pour interpréter l’expérience de la foi.

Le lien à Rome restreint-il la liberté de recherche?

Luc Devillers, Fribourg: Non. Le préambule de la constitution apostolique Veritatis Gaudium (2017) sur les universités catholiques est d’ailleurs d’une ouverture remarquable. Les contraintes sont plutôt dues aux lenteurs administratives de «l’appareil» romain : ainsi, l’approbation d’un nouveau professeur prend des mois.

René Roux, Lugano: De fait, c’est le cas. Vu l’importance institutionnelle et existentielle de la théologie dans la tradition catholique, un organe de contrôle est nécessaire pour limiter l’influence des groupes de pression au niveau local ou national – groupes qui menaceraient de standardiser la théologie en la faisant succomber de temps en temps à la pensée dominante.

Robert Vorholt, Lucerne: Je n’ai pas encore fait l’expérience que le Vatican limite notre science. Parce que la théologie est une science de la foi, il s’agit toujours de clarifier ce que la foi croit. Il ne s’agit pas d’une affaire purement académique, mais aussi de la tâche des évêques. Une théologie saine exige un dialogue avec les évêques.

Christian Cebulj, Coire: Non, parce que nous sommes autorisés à enseigner et à apprendre en toute liberté de l’Eglise. Dans Veritatis Gaudium (2017), le pape François a rendu hommage à la théologie académique et a renforcé son statut dans l’enseignement catholique. Toute faculté théologique catholique doit enseigner la foi de l’Église catholique et non celle d’une autre Église.

La théorie du genre fait débat. Comment se situe votre faculté par rapport à cette question?

Luc Devillers, Fribourg: Dans certaines facultés, en particulier dans le monde protestant, les gender studies constituent une approche en tant que telle, utilisée notamment dans les sciences bibliques. Personnellement, je suis plutôt dubitatif. Est-ce un effet de mode? En parlera-t-on encore dans vingt ans? Pas sûr!

René Roux, Lugano: La question du genre est très complexe: elle mélange des problèmes existentiels avec des concepts idéologiques qui font l’objet de débats et de controverses. La faculté se situe dans un rôle de réflexion critique basé sur la vision anthropologique chrétienne.

Robert Vorholt, Lucerne: Le corps professoral s’intéresse à cette question depuis plusieurs décennies. Il a fait un travail important à cet égard. En sensibilisant le grand public à ce problème, dans un premier temps, puis en élaborant des propositions en vue d’une plus grande justice entre les sexes. Nous aimerions maintenir cette orientation à l’avenir.

Christian Cebulj, Coire: Ce n’est pas notre objectif de recherche principal. Mais l’intégration du genre est un sujet dans plusieurs de nos disciplines, comme l’éthique, la dogmatique, la liturgie ou la théologie pratique. Il ne s’agit pas de dogmatisme, mais de formation à la sensibilité au genre.

La faculté existera-t-elle encore dans vingt ans?

Luc Devillers, Fribourg: Je l’espère, mais les défis sont nombreux. La relève des professeurs dominicains est incertaine. Quelques membres de la faculté voudraient plutôt la mener du côté d’un enseignement non confessionnel. Reste qu’avec près de 500 étudiants, Fribourg se porte bien. Ce qui est de bon augure pour la suite.

René Roux, Lugano: Lors de sa fondation, il y a 26 ans, la faculté de Lugano s’est fixé l’objectif d’atteindre 100 étudiants. Aujourd’hui, elle compte 300 étudiants ordinaires et atteint 200 auditeurs libres. Depuis quelques années, la croissance est considérable. Et nous avons l’espoir que les choses continuent ainsi.

Robert Vorholt, Lucerne: Une chose est claire: la théologie doit se préparer aux vents contraires. Nous devons donc assurer un nombre stable d’étudiants et des échanges académiques soutenus. En ce qui concerne les ressources de nos professeurs, de nos étudiants et des collaborateurs de la faculté, je ne peux qu’envisager l’avenir avec confiance.

Christian Cebulj, Coire: Je pense que oui. Nous sommes une faculté de théologie liée à l’Eglise par une longue tradition. Et il y aura toujours des gens pour qui la religion est importante. Peut-être que dans 20 ans d’autres engagements ecclésiaux auront vu le jour. Nous saurons nous y adapter.

Pierre Pistoletti

Portail catholique suisse

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