Un synode pour sauver l’Amazonie et l’Église (3/3)

Dans l’aire pastorale d’Assurini, une région rurale difficile d’accès au cœur de l’État du Para, un prêtre s’emploie tout seul à faire vivre une Église catholique en déficit de moyens, mais pas de bonnes volontés.

Le Père José Geraldo Magella Vidal freine son pick-up à l’amorce d’une descente. Devant lui, la piste de terre rouge déjà difficilement praticable depuis plusieurs kilomètres s’est transformée en patinoire boueuse. Quelques dizaines de mètres en contrebas, un motard tente, avec un homme venu lui prêter main forte, d’extraire son véhicule d’un profond trou d’eau dans lequel il est resté embourbé. «Même avec votre 4×4 vous ne réussirez pas à passer mon Père, lance l’un des deux hommes au prêtre. Quelqu’un est parti demander l’intervention d’un bulldozer, mais il ne sera là au mieux que dans l’après-midi».

De retour dans la voiture, le Père Geraldo consulte son téléphone portable. Pas de réseau. «De toutes façons il n’y en a que très rarement dans la région. Il va falloir changer l’organisation, réfléchit-il à voix haute. Car le détour nécessaire pour pouvoir rejoindre la communauté de «4 bocas» où je devais célébrer la messe peut prendre une demi-journée. Je vais demander au motard de s’arrêter sur son chemin pour prévenir que je passerai à la fin de la semaine. Je pense de toutes façons que ça leur fera plaisir que je célèbre l’Eucharistie un dimanche. Ça fait tellement longtemps!». Et d’ajouter, en souriant: «Vous voyez, c’est ça être prêtre en Amazonie. Il faut aimer l’imprévu et accepter de s’adapter aux réalités!»

Lorsque la piste est trop mauvaise, le Père Geraldo continue à pied | © Jean-Claude Gerez

Une aire pastorale de 5000 km2

Comme tous les mardi, le Père Geraldo, comme on l’appelle ici, a quitté à l’aube la ville d’Altamira, 120’000 habitants, siège de l’immense prélature du Xingu (370’000 km2), dans l’État du Para, au cœur de l’Amazonie brésilienne. Il a emprunté le premier bac à 6 heures du matin. Après les 45 minutes de traversée du Rio Xingu, un affluent du fleuve Amazone, il a débarqué sur l’aire pastorale d’Assurini, créée en 2008 par Mgr Erwin Kräutler, désormais évêque émérite de la prélature, après l’avoir administrée pendant près de 40 ans. «Cette aire pastorale s’étend sur plus de 5’000 km2, précise le Père Geraldo. Elle regroupe environ 30’000 personnes réparties en une cinquantaine de communautés».

Longtemps, Assurini a été considéré comme un lieu éloigné de tout, où les gens de la ville venaient parfois passer leurs fins de semaine. «Mais la population a changé, souligne le prêtre. Aujourd’hui, il y a ici des familles qui ont refusé d’aller vivre dans les zones de Relogements urbains collectifs (RUC) de la périphérie d’Altamira. Elles ont préféré acheter un petit lopin de terre avec les maigres indemnités perçues quand leurs maisons ont été submergées par la montée des eaux lors de la construction du barrage hydroélectrique du Belo Monte, à partir de 2012. En quittant Altamira, beaucoup de ces personnes étaient des fidèles de l’Église catholique. Mais en l’absence d’une réelle présence pastorale, peu le sont restées».

Seul prêtre dans un désert sacerdotal

Tout cela, le Père Geraldo en était conscient avant de se lancer dans l’aventure. «Je suis originaire de l’archevêché de Mariana, dans l’État du Minais Gerais, au centre du Brésil, précise ce curé de 53 ans. J’étais très engagé dans le Mouvement Évangélique Populaire Ecclésial (MEPE), qui œuvre au côté du Mouvement des Victimes des Barrages (MAB). Lorsque la décision de construire le barrage du Belo Monte a été entérinée, j’ai convaincu l’évêque de m’envoyer ici comme missionnaire». En 2011, le Père Geraldo débarque donc à Altamira. Il travaille dans plusieurs paroisses de la région et accompagne les habitants impactés par la construction du Belo Monte.

La chapelle de Sao Sebastiao sert aussi d’école | © Jean-Claude Gerez

«En mars 2018, Mgr Joao Muniz Alves, l’évêque actuel, a demandé aux trente curés de la prélature si l’un d’entre eux voulait se porter volontaire pour être missionnaire à Assurini, en remplacement d’un prêtre belge atteint par la limite d’âge», se souvient le Père Geraldo. L’évêque a rappelé tout de même que les conditions de vie étaient précaires et la mission évangélisatrice ardue. Il a insisté aussi sur l’importance de la fibre sociale du futur missionnaire et son souci de la préservation de l’environnement. «J’ai accepté ce ministère sans hésiter, se souvient Père Geraldo. Mais sans vraiment mesurer ce que signifiait être l’unique prêtre dans un tel désert sacerdotal».

Pour un «viri probati» plus large

L’étape «4 bocas» reportée, cap sur Sao Sebastiao do Mocotto, une communauté regroupant près de 200 familles, à trois heures de route du débarcadère. Encadré par la forêt tropicale, le gros bourg se déploie autour d’une rue centrale en terre, jalonnée de deux stations service, une école, une supérette, un poste de santé, une chapelle en bois et… trois temples évangéliques. «Le Père Geraldo vient nous rendre visite une à deux fois par mois, explique Seu Sebastião Nobrega de Oliveira, 66 ans, laïc très impliqué dans la paroisse, au point d’avoir largement participé -et financé- la construction de la chapelle. C’est hélas trop peu pour conserver les fidèles face à la présence des églises évangéliques, dont les pasteurs vivent tous ici».

Interrogé sur son profil «idéal» de «viri probati», thème qui sera largement abordé lors des débats lors du prochain Synode pour l’Amazonie, qui se tiendra du 6 au 27 octobre prochain à Rome, Seu Sebastião fait la grimace. «Puisqu’il n’y a pas assez de prêtres et pas suffisamment de vocations chez les jeunes, je suis d’accord sur le principe pour que des hommes mariés d’âge mûr puissent être ordonnés. Mais personnellement, je ne me sens pas d’assumer une telle responsabilité car c’est beaucoup de travail et, à cause de mon âge, je ne suis pas sûr que la santé suive». Quitte à changer les choses, Seu Sebastião suggère plutôt d’ouvrir le «viri probati» à des hommes plus jeunes. Voire même d’ordonner des femmes.

Les femmes plus actives pour évangéliser

Sandra, sa fille, a bien reçu le message. «J’espère que le Synode pour l’Amazonie va autoriser le diaconat féminin, explique cette femme de 37 ans au regard déterminé. Car je pense qu’en Amazonie aujourd’hui, ce sont les femmes qui sont les plus actives pour l’évangélisation». Cette maman de deux enfants estime en outre avoir un vécu qui donne une légitimité à sa volonté de s’impliquer encore davantage au sein de l’Église catholique. «J’ai migré pendant dix ans en Guyane où j’ai travaillé avec des orpailleurs au cœur de la forêt. J’ai fréquenté un temple évangélique car il n’y avait pas d’Église catholique à proximité. Et je sais que beaucoup étaient dans mon cas».

Sandra, l’institutrice, aimerait s’investir dans un ministère | © Jean-Claude Gerez

De retour chez elle après avoir guéri d’un cancer du sein, Sandra s’est promise de s’investir d’avantage, «à condition de recevoir une formation théologique», précise t-elle. Le «financement» de ces nouveaux missionnaires demeure aussi une interrogation. «Je suis institutrice, rappelle Sandra. Je ne pourrai pas m’investir dans un ministère qui me prendra l’intégralité de mon temps sans un revenu de substitution». Une réalité bien comprise par le Père Geraldo. «Le problème financier est souvent le principal frein à une implication plus importante des laïcs, reconnaît-il. Le Synode devra y réfléchir. Parmi les différentes pistes, je pense qu’il faut mettre l’accent sur l’importance de la dîme».

Cinq baptêmes, une messe et un anniversaire

La dîme, justement, a été particulièrement fructueuse lors de son passage dans la communauté de Villa Ressaca, le lendemain. Après une nuit passée dans son hamac sous la véranda de la maison de Seu Sebastião, à peine gêné par des moustiques pourtant voraces, Père Geraldo a repris la route. Plusieurs heures de piste chaotique ont de nouveau été nécessaires pour rejoindre ce bourg vallonné abritant 120 familles. «Au programme, cinq baptêmes, une messe et un anniversaire dans une maison! s’exclame le curé. J’aime beaucoup célébrer chez les fidèles. Ça créée une forme de proximité». Surtout lorsque l’espace est limité.

La chapelle catholique est très sommaire | © Jean-Claude Gerez

Coincé dans un angle, derrière un autel improvisé, le Père Geraldo fait face à une soixantaine de personnes massées sous le auvent en «L» d’une maison cossue, entourée de cacaoyers chargés de fruits mûrs. «Qui sont les parrains et les marraines?», s’enquiert le prêtre. Parmi les élus, une femme s’avance. «Mon père, je fréquente l’Assemblée de Dieu. Ça pose un problème?» «Je m’en moque, répond le Père. Ce qui est important, c’est que nous nous retrouvions tous dans la prière !» Au terme de la messe, le curé interroge. «Qui fête son anniversaire aujourd’hui?» Un adolescent s’avance, timide. «C’est toi? Et bien nous sommes deux, mon fils. Car moi aussi!»

L’Église seulement pour les grands moments

À la fin de la cérémonie, autour du barbecue, les conversations portent sur les difficultés de l’Église catholique en Amazonie. «Les gens ne fréquentent plus l’Église que pour les moments importants, comme les baptêmes, les mariages et les enterrements», avance un quinquagénaire aux mains calleuses. «Avant, par ici, aller à l’Église était le seul moment de socialisation, se souvient sa voisine. Mais depuis que l’électricité est arrivée dans la région, les gens préfèrent regarder la télé novela et les jeunes surfer sur les réseaux sociaux plutôt que d’aller écouter la Parole». «Moi, j’ai rejoint l’Assemblée de Dieu, parce que je m’y sens mieux accueillie, assume la marraine d’un des baptisés. Et je pense que le rôle d’une Église c’est de parler de Dieu, pas de faire du social».

La chapelle catholique est très sommaire | © Jean-Claude Gerez

Elisvaldo Crispim Gomes n’est pas d’accord. Vivant sur les berges du Rio Xingu, à quelques kilomètres à vol d’oiseau du barrage du Belo Monte, ce laïc de 42 ans, au physique fluet, »aime célébrer la parole de Dieu». Mais il estime aussi que «l’Église doit défendre les plus démunis face aux tout puissants, surtout quand l’environnement est en danger». Et «Val», comme le surnomme ses amis, sait de quoi il parle. Il y a une vingtaine d’années, l’Institut national de la colonisation et de la réforme agraire (Incra) lui avait attribué ainsi qu’à ses quatre frères et sœur, 50 hectares de terre, en bordure du Rio Xingu. De quoi vivre à peu près dignement, du moins jusqu’à la construction du barrage du Belo Monte.

«La terre sous les eaux»

«J’ai été victime de nombreuses pressions de la part du consortium chargé de la construction du barrage pour me forcer à quitter ma terre avec une indemnisation indécente, raconte t-il. Mais j’ai résisté». Le paysan est même parvenu à mobiliser un temps ses voisins pour faire valoir collectivement leurs droits. «Mais ça n’a pas tenu, déplore le Père Geraldo, qui l’a accompagné dans ce processus. Les voisins ont fini par être indemnisés correctement, mais Val a payé pour avoir été le rebelle». Pourtant, le pire était à venir. «Un matin, je suis sorti de ma maison, se souvient Val. Une partie de ma terre était sous les eaux. Y compris la route qui permettait d’accéder au village. Nous étions coupés du reste du monde».

L’épisode a ébranlé Val dans ses convictions. «Lorsque Mgr Erwin Kräutler se battait contre la construction du Belo Monte, je l’écoutais tout en me disant que ce barrage pourrait peut-être apporter une vie meilleure dans la région, admet-il. Mais je n’avais pas saisi l’importance du danger». Aujourd’hui, Val se dit intimement convaincu que c’est le rôle de l’Église catholique «de sauver la Maison Commune, qui est en grand danger». Et de conclure: «j’ai participé activement l’an dernier aux deux réunions préparatoires pour le Synode qui ont eu lieu dans l’aire pastorale d’Assurini. J’ai perçu beaucoup d’inquiétude. Alors j’espère qu’avec le Synode, le monde entier va entendre les cris de détresse poussés par les habitants de l’Amazonie».

Un Synode crucial pour la planète

Après presqu’une semaine à sillonner l’aire pastorale d’Assurini à bord du 4×4, c’est finalement à pied que le Père Geraldo se rendra dans la communauté de «4 bocas». La faute à une route vraiment impraticable. Après deux heures de marche sous un soleil de plomb, les chaussures parfois coincées dans la boue, le prêtre finit par se présenter devant une petite chapelle au ton beige. À l’intérieur, à peine une douzaine de personnes l’attend pour célébrer l’Eucharistie. Durant son homélie du Père Geraldo évoque le prochain Synode pour l’Amazonie. «Cette réunion qui va se dérouler en octobre à Rome sous la responsabilité du pape François est fondamentale pour l’avenir de l’Amazonie, clame le prêtre. Elle est fondamentale pour l’avenir de la planète. Et pour sauver la Création de Notre Seigneur». (cath.ch/jcg/mp)

Jean-Claude Gérez

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